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Abdelaziz Bouteflika :
l'imparfait du subjonctif
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 07 - 2013


Par Badr'eddine Mili
On a beau dire, Abdelaziz Bouteflika aura marqué l'histoire de l'Algérie post-indépendance avec une constance indéniable en se retrouvant, à chacun de ses grands tournants, dans la position d'un homme-clef du système politique soit pour déclencher des crises soit pour les résoudre.
Servi par une baraka à laquelle il croit, sincèrement, en soufi disciple d'Ibn El-Arabi et de l'Emir Abdelkader, mais aussi par un don politique qui lui fait décoder et démêler, avant les autres, et avec beaucoup d'opportunisme, les situations les plus compliquées et les plus embrouillées, ce fils d'Oujda, grandi dans la proximité des zaouïas et de la poésie populaire des grands bardes de l'Ouest, s'est, dès son jeune âge, imposé comme un politicien intelligent qui savait, patiemment, attendre son heure, toujours embusqué dans les coulisses des cercles tutélaires. Comme son modèle Houari Boumediene à qui il vouait une amitié et une fidélité jamais démenties, sans, toutefois, posséder sa profondeur stratégique et son érudition idéologique, il n'avait été ni un militant de parti ni un militaire au sens strict du terme.
La conception qu'il avait des affaires de l'Etat ne souffrait le voisinage d'aucun engagement partisan auquel il aurait voué toute son âme, ainsi que le firent, avec des fortunes diverses, les premiers dirigeants du Mouvement national et de la Révolution armée, ce qui expliqua les rares atomes crochus qui le lièrent au FLN pré-ou post-indépendance, même s'il dût, après 2004, en accepter, par calcul, la présidence d'honneur, alors qu'il était chef d'Etat, censé avoir été élu par consensus, au-dessus des apparentements partisans.
L'armée n'avait pas été, non plus, un horizon vers lequel il aurait souhaité tendre. Tout juste si elle devait lui servir de boussole pour s'orienter et de marche-pied pour gravir les échelons de la hiérarchie de l'Etat ainsi que le 19 juin 1965 eut à l'illustrer.
Non, Abdelaziz Bouteflika était, avant tout, l'homme des jeux politiques souterrains, réservés aux seuls initiés, et dans lesquels il excellait. Il était l'homme des passages en force qui ne trouvait sa mesure que dans les épreuves imposées par les concurrences entre les clans et les chefs pendant et après la Révolution.
Avec le temps, il apprit à les connaître et à en apprivoiser la balance avec une certaine science de la manœuvre et de la psychologie politique, arrivant, toujours, à tirer son épingle du jeu et à se dépêtrer des situations les plus périlleuses, aidé, il est vrai, par l'omnipotence du dogme inamovible de la légitimité révolutionnaire, c'est-à-dire la raison du plus fort.
Il le prouva, une première fois, lorsque, envoyé, avant 1962, en mission au château d'Aulnoy par l'état-major général de l'ALN, il réussit à obtenir d'Ahmed Ben Bella, réprouvé par ses codétenus, l'onction dont l'armée des frontières avait besoin pour disqualifier le GPRA et le CNRA, les instances légales de la Révolution avec lesquelles elle était en conflit, officiellement, au sujet des Accords d'Evian. Il le fit, une seconde fois, lorsqu'il parvint à arracher au premier vice-président et ministre de la Défense, la décision d'engager, avec le soutien du groupe d'Oujda dont il était l'égérie, le processus de divorce d'avec un président victime de ses improvisations et de ses naïves illusions. Ce fut, à partir de ce moment-là, qu'il s'ouvrit, par son entregent et sa ruse, une voie royale vers la concrétisation de ses ambitions, affranchi, à un âge précoce, de tout parrainage, hormis la protection du président Boumediène qui le présentait, chaque fois qu'il le dépêchait auprès des chefs d'Etat étrangers, comme son frère siamois, investi de tous les pouvoirs pour parler en son nom.
Il était tout feu, tout flamme, enjoué, croyant aveuglement à sa bonne étoile, le sourire séducteur, les yeux parlants, la mise impeccable, signée par les grands couturiers parisiens, des qualités qui le distinguèrent, très nettement, de son auguste mentor, attaché, lui, à paraître sous des dehors plus spartiates. Avec de tels atouts, il se hissa, rapidement, sur le piédestal des coqueluches de la presse internationale à laquelle il n'arrêtait pas de s'adresser, avec, il faut le reconnaître, beaucoup d'aisance, à coups d'imparfait du subjonctif, sur le perron de l'Elysée ou sous les lambris du palais de Manhattan dont il était devenu un familier. Plus rien ne le retint, après qu'il se fut introduit dans la cour des grands et qu'il eut l'honneur de présider, au nom de l'Algérie, l'Assemblée générale de l'ONU. Il s'était forgé une telle notoriété internationale qu'il cessa d'assister aux réunions du Conseil de la Révolution et plus tard, aux sessions du comité central du parti, provoquant un profond malaise parmi ses compagnons comme Chérif Belkacem ou des ministres comme Belaïd Abdesselam et Ahmed Taleb El-Ibrahimi qui voyaient d'un mauvais œil cet envol et cette liberté soustraits à tout contrôle. De plus, l'image de play-boy de la diplomatie qu'il donnait à voir de lui, à l'étranger, jurait avec le rigorisme du socialisme d'Etat que la doctrine officielle du pouvoir révolutionnaire tenait à proposer comme modèle à suivre aux pays non alignés, accueillis en grande pompe à Alger, en 1973, pour avaliser les thèses algériennes sur le nouvel ordre économique international et le nouvel ordre mondial de l'information. Qu'on ne s'y méprenne, cependant, pas : Abdelaziz Bouteflika, pour aussi fin diplomatie et funambule planétaire qu'il fut, n'en était pas moins un homme isolé, coupé des arrières d'un intérieur qui l'avait, vite, délégitimé, à cause de ses longues absences, de sa morgue de fort en thème et du complexe de supériorité qu'il affichait vis-à-vis de ses pairs.
D'ailleurs, aux yeux du pré carré du pouvoir d'Etat, il n'était que l'habile interprète des thèses qu'il défendait dans les forums mondiaux. Pas la source. Il n'en avait pas la paternité. La politique étrangère était le domaine réservé du président Boumediène, gestionnaire direct et exclusif des dossiers mondiaux du non-alignement et des relations avec les dirigeants des pays socialistes, Brejnev, Mao, Tito, Castro, l'interface exclusif de Nasser, de Kadhafi, de Hafez El-Assad, de Saddam Hussein, du Shah d'Iran, de Yasser Arafat et des Américains dont il recevait, en leader influent, le secrétaire d'Etat, Henry Kissinger, qui venait, en personne, au Palais du peuple, prendre connaissance de ses analyses et de ses avis. Echoyaient à Abdelaziz Bouteflika les contacts avec les Français et les Marocains auxquels le Président répugnait pour les raisons que l'on sait, ce qui lui fit coller, pour longtemps, l'étiquette, alors, dévalorisante de «libéral pro-occidental» qui lui sera fatale lorsqu'il fallut trouver un successeur au défunt président Houari Boumediène qu'il pensait pouvoir remplacer, légitimement, à la tête de l'Etat en tant que binôme primus inter pares et héritier présomptif incontestable. Une illusion entretenue le temps de la lecture d'une oraison funèbre qu'il déclama, sur le ton d'un gospel, les yeux cachés par des lunettes noires ; une ambition, spectaculairement, avortée par le 4e Congrès d'un parti du FLN dominé par l'aile socialisante qu'il tenait pour quantité négligeable et par l'armée qui lui préféra l'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé.
Une décision qu'il reçut comme un coup de glaive dans le dos, aggravée par la mise en débet prononcée, à son encontre, par la Cour des comptes pour sa mauvaise gestion présumée des fonds alloués aux représentations diplomatiques algériennes à l'étranger.L'infamante exclusion du comité central du parti adoptée, à l'unanimité, par la commission de discipline finit par l'abattre et lui fit prendre le chemin d'un exil discret au cours duquel il vécut les affres d'une longue traversée du désert dans le rôle énigmatique de conseiller des émirs du Golfe.
Une blessure très vive qui demeura, longtemps, béante et qui éclairera, plus tard, en sus de ses traits de caractère prononcés, bien des positions politiques et bien des comportements personnels, quant il fut rappelé aux affaires, en 1999, par les décideurs militaires, suite à la démission du président Liamine Zeroual, une phase parmi les plus critiques de la vie politique de l'Algérie de cette époque.
Bien que visiblement amoindri et vieilli par ces années d'excommunication et d'oubli, reparaissant, à la tribune de l'hôtel El-Aurassi, au départ de sa campagne électorale de la présidentielle, un peu gauche, le geste hésitant, le nez chaussé d'épaisses lunettes à double foyer et vêtu d'un costume trois-pièces à la mode décalée, le faisant prendre, aux yeux des jeunes qui ne l'avaient pas connu, pour un has been, il ne prit pas beaucoup de temps pour rebondir, reprendre de l'allant, repartir à l'abordage du pouvoir, le style qui lui sied le mieux, usant et abusant de foucades et de formules populaires puisées dans un lexique aux ressources illimitées. Et très vite, il séduit, de nouveau, en jouant sur les cordes sensibles de la souveraineté, de la justice et de la vérité, les leitmotive préférés du peuple.
Il exigea, en «gaullien» assumé, d'être un président aux pleins pouvoirs, maître de l'ordonnance et du référendum, exprima, publiquement, ses réserves vis-à-vis de la Constitution et du Parlement qu'il n'hésite pas à mettre entre parenthèses et en quarantaine, et, un brin provocateur, il déclara que s'il avait eu vingt ans, il serait monté au maquis pour combattre le déni du droit. Y avait-il meilleur programme, plus simple et plus direct, que celui-ci – car il n'en avait aucun de pré-établi – pour s'attirer la sympathie et l'adhésion des plus larges secteurs de la population qui découvrit, non sans plaisir, en plus de l'orateur atypique bilingue qu'il était, un fqih, exégète du Coran et poète à ses heures, amoureux des traditions et des arts raffinés des cités de la «hadra» algérienne, en particulier de Constantine et de Tlemcen, les villes les plus visitées, en 14 ans de mandat, avec Sétif et Béchar dont il vanta, souvent, la beauté des femmes et des costumes. Pragmatique, opportuniste et toujours meilleur interprète que compositeur, il se saisit de la loi sur la rahma du président Liamine Zeroual qu'il dépouilla de ses garde-fous politiques et transforma en un programme consensualiste, valable ad-vitam aeternam. C'est avec ce viatique, réduit à une plaidoirie pour la repentance et la réconciliation nationale et renvoyant, sans autre forme de procès, dos à dos, tous les protagonistes des années noires, qu'il s'en alla sillonner un pays profond, lassé par le terrorisme et les violences d'une administration corrompue.
Non sans recueillir le retour d'écoute favorable de la population flattée par le discours mi-traditionaliste, mi-moderniste, promettant la réhabilitation de la dignité de l'Algérien résumée par le fameux «relève la tête ya ba !» et le retour de l'Algérie sur la scène internationale qui le firent identifier à Houari Boumediène, l'homme auquel il avait rêvé de succéder.
Ses adversaires lui prêtèrent, cependant, un autre projet et d'autres intentions plus subjectives : ceux de prendre sa revanche sur les forces qui firent échec à ses ambitions présidentielles de 1979, à savoir :
1- l'armée contre laquelle il engagea une guerre d'usure soft jusqu'à la faire rentrer dans les rangs, en l'encadrant par des hommes acquis à sa cause, à l'exclusion du DRS qui demeura, pour l'essentiel, en dehors de son champ de contrôle, en dépit de ses velléités de le faire chapeauter par Nourredine Zerhouni, son ami de toujours ;
2- le parti dont il demanda la soumission pour se laver de l'affront que lui fit essuyer la commission de discipline présidée par Amar Benaouda venu s'effondrer entre ses bras et faire son mea-culpa, en pleurant, lors de la cérémonie d'investiture de 1999, pour la décision de bannissement qu'il fit voter sur l'ordre de Chadli Bendjedid, le Président-secrétaire général du FLN.
Il y a peut-être du vrai dans ces suppositions, mais ce serait trop schématiser et trop caricaturer les positions et l'action de Abdelaziz Bouteflika qui ne sauraient être résumées aux égarements d'un gros ego, ses idées et son sentiment sur les questions de l'armée, du parti du FLN et de la démocratie, en général, à laquelle il est, du reste franchement hostile, devant être replacées dans un contexte plus global et moins simplifié.
Après avoir, certes, un temps, atermoyé et balancé entre emprunter une voie boumédiéniste de grandeur et de fierté fondée sur le «tout-Etat» et le protectionnisme et tenter des percées réformatrices du système politique et de l'économie sur les conseils de Sbih et Isaâd, d'un côté et du trio ultra-libéral, Khelil, Benachenhou, Temmar, de l'autre, en s'essayant à casser des tabous – la poignée de main de Ehud Barak, l'invitation adressée à Enrico Macias et l'exfiltration de Abassi Madani vers le Qatar – il parvint, dans un contexte mondial fluctuant, à emprunter une voie moyenne, à mi-chemin entre les deux.
Il s'imposa, cette fois-ci, comme la source et le maître du jeu et non plus comme la seconde main et le défenseur des idées des autres, ni fils prodigue de Houari Boumediène dont il s'émancipa définitivement, ne serait-ce qu'en battant son record de longévité à la tête de l'Etat, ni partisan du laisser-faire, laissez-passer défendu par les capitalistes algériens et qui aurait fait subir à la société des moins nantis des dommages irréparables. A la faveur de la manne pétrolière qui permit les «miracles» du désendettement, de la paix sociale et de la stabilité, il opta – c'est dans son tempérament autoritariste – pour une gouvernance césariste, paternaliste et distributive.
Un modèle hors normes, un vestige des pratiques d'un autre age qui cumule les défauts de l'une et de l'autre voie-bureaucratie, corruption galopante, économie informelle, paupérisation de la classe moyenne — sans profiter de leurs qualités — rigueur, justice sociale, ouverture, liberté d'initiative, culture du mérite, pluralisme médiatique.
Résultat : une segmentarisation hétéroclite de la société livrée au pouvoir d'une administration impitoyable, aux zaouïas ressuscitées, à l'affairisme compradore et à l'islamisme BCBG qui ne cache plus sa volonté de parvenir au pouvoir par la magie d'un «printemps arabe».
Le tout sur un fond de «patriotisme politique» qui accepte d'observer le profil bas durant la commémoration du cinquantenaire de l'Indépendance pour faire plaisir au gouvernement français, et d'un «patriotisme économique» qui n'hésite pas à ouvrir le marché algérien à tous les aventuriers de l'économie ultramondialiste, alors que le gouvernement promet, depuis dix ans, la mise en œuvre «imminente» d'une stratégie de ré- industrialisation de l'Algérie. Le bilan de la gestion de toutes ces années s'en retrouve mitigé, le bon alternant avec le pire : à côté de la sécurité et de la paix retrouvées, de la stabilité sociale achetée, des équilibre macroéconomiques au vert, de la réalisation des grandes infrastructures de base à des coûts exorbitants, objet de suspicion, d'un meilleur niveau de vie grâce à un modèle social assurant, sous perfusion, le minimum et partant, d'un allongement de l'espérance de vie, il y a le foisonnement de nombreux dysfonctionnements : violation de la Constitution, transgression de la justice, dévitalisation et manipulation des partis, surconsommation de Premiers ministres, maintien, en poste, pour l'éternité, de ministres incompétents, régionalisme institutionnel criant, scandales en série, avatar de la loi sur les hydrocarbures, improductivité d'un secteur public budgétivore, insolente domination des barons des conteneurs, anéantissement de la santé et de l'éducation que les gouvernants et leurs familles ont cessé de fréquenter depuis longtemps, corruption et instrumentalisation des parlementaires, des syndicats et du sport, folklorisation de la culture, maintien de l'audiovisuel sous scellés, et j'en passe...
On n'en est, certes, pas au niveau de pays comme le Maroc, surexploité par les inventeurs du salarié low-coast : 44 heures de travail hebdomadaire, pas de couverture sociale, pas de congé payé, pas de fiche de paie et moins de 60% du salaire européen. Quoique... si on cherche bien, on découvrira des poches du genre qui essaiment, de plus en plus, un peu partout, en particulier au niveau de la main-d'œuvre enfantine, clandestinement réduite en esclavage par les nouveaux négriers.
Bien évidemment, il ne viendrait à l'idée de personne d'incriminer, dans ce bilan, la responsabilité du seul Abdelaziz Bouteflika qui a semblé, en avril 2012, dépassé par des phénomènes sur lesquels il a donné l'impression de n'avoir plus aucune prise, malgré ses pouvoirs étendus d'architecte du système, et ce, en raison d'un défaut de maîtrise de la modernité, incluse dans une vision prospective claire, le dénominateur commun de la plupart des chefs de gouvernement — fusibles et chefs de parti – maison qui se sont succédé au Palais, en renonçant à exécuter leur propre programme, une incongruité, sans précédent, dans la pratique mondiale de la politique. Or, la gouvernance moderne est d'abord une affaire de prescience. Ce n'est plus avec les standards et les normes du siècle dernier qu'on peut arriver à proposer un avenir viable aux nations.
Il y a tant de choses qui sont survenues, depuis 20 ans, tant de découvertes, tant de révolutions technologiques qu'on ne peut plus en rester à l'age du papier et du crayon à mine pour traiter de questions qui relèvent de la haute définition et du digital à l'ère du «World War» et des blockbusters.
Le problème ne tient plus, aujourd'hui, en Algérie à la seule personne du Président. Le problème réside, plus globalement, dans la libération et la mise à niveau de toutes les institutions en charge de la gestion du pays qui sont, irrémédiablement, saturées et n'arrivent plus à progresser parce que inactualisées, obsolètes.
L'histoire, les ressources humaines et économiques de la Nation commandent de gouverner le pays autrement que le sont l'Ouzbékistan, l'Albanie, l'Ouganda ou la Colombie. Face à la pression extérieure sécuritaire parce qu'économique et face à la suprématie du marché international qui est devenu la norme de tout, l'Algérie doit se projeter dans la perspective d'une démocratie authentique et d'un développement intelligent et juste, au détriment de «la démocratie» autoritaire et du populisme borné, sans avenir, prônés, à tort, par les forces coalisées de la régression.
La Birmanie l'a fait. L'Algérie pourrait faire mieux, avec une volonté politique affirmée. Elle en a l'ambition et les moyens.
Il n'est plus permis, dans le monde d'aujourd'hui, de gouverner un Etat avec la poigne de fer d'un Enver Hodja, d'un Walter Ulbricht ou d'un Gomulka. Bien sûr qu'on ne peut pas changer l'ordre des choses, à coup de vœux pieux, d'incantations et de leçons de morale relevant plus de l'angélisme que du réalisme.
Ce sont l'histoire, les classes, les intérêts de classe, les dynamiques sociales, les niveaux de développement, les cultures, l'envergure et la représentativité des dirigeants politiques, les stratégies de puissance transnationales qui sont, en dernier ressort, les véritables facteurs déterminants du changement. Abdelaziz Bouteflika est sur le point de passer le témoin, souhaitons-le, dans l'ordre, la concertation et le respect de la Constitution et des délais prescrits.
Au-delà de son bilan clair-obscur, au-delà de ce qu'on peut lui reprocher comme impulsivité, fidélité à certaines amitiés, tendance monarchique, il restera, dans la mémoire collective, comme un homme de la terre, bien que citadin, l'homme qui a voulu gouverner l'Algérie, au centre, en la gardant enracinée dans la tradition des ancêtres comme l'avait fait l'Emir Abdelkader, son maître spirituel.
Quitte à en farder la vitrine par quelques touches faussement modernistes . Il a voulu être une sorte de dernier empereur, un père de la nation craignant pour l'unité et l'intégrité d'un pays continental, convoité de toutes parts, et la tenant, fermement, en main, pour la prémunir des risques de dénaturation, d'embrasement et de dislocation, lui faire passer le gué et atteindre la rive du salut, rêvant d'un prix Nobel de la paix pour l'avoir sauvée de la perdition.
Soit ! Vue de l'esprit ou réalité, le fait est que tout cela appartient au passé.
Les potentialités et les expériences accumulées, pendant 50 ans, prédisposent, désormais, société et Etat, à accéder à un stade qualitativement supérieur. A une autre vitesse. Sans crier, sempiternellement, au loup étranger dans la bergerie, en jouant de la diversion, et sans, non plus, sombrer dans la culture du désespoir et du «tout est noir» de la frustration et des ambitions déçues.
Le moment est venu d'envisager les voies et les moyens d'un tel passage, dans la sérénité, la vigilance et le débat dénué d'arrière-pensées. En tenant seulement compte de l'intérêt supérieur du pays et en brisant le monopole du patriotisme qui appartient uniquement au peuple. Au sens de nombre de nos concitoyens, la voie la plus judicieuse serait de travailler à la définition et à l'établissement d'un pacte national de gouvernement qui impliquerait, avant le rendez-vous de 2014, toutes les forces représentatives du pays, afin que l'élection présidentielle qui en sera le premier maillon soit l'amorce réussie d'une nouvelle ère politique.
De quoi l'Algérie a-t-elle besoin, institutionnellement, politiquement, économiquement et socialement, à ce virage délicat de son évolution vers l'âge mur ?
D'abord d'un président, bien élu, dans le cadre d'un dispositif vraiment ouvert, sur la base de trois critères au moins :
1- un profond ancrage populaire et une expérience internationale qui l'aurait rendu proche de la communauté mondiale auprès de laquelle il pourrait plaider favorablement pour la réinsertion de l'Algérie, au plus haut niveau des concerts des Nations ;
2- des qualités d'intermédiation qui en feraient un homme d'écoute et d'action, suffisamment averti des dangers du messianisme de l'homme providentiel ;
3- une appartenance à l'élite intellectuelle avancée au fait des nouvelles configurations scientifiques, techniques et culturelles du monde moderne.
Ce président aurait à conduire quatre chantiers institutionnels fondamentaux, inscrits dans le pacte national qui consisteraient à :
1- réviser la Constitution afin de donner, davantage, de poids à la représentation nationale et de rééquilibrer les pouvoirs, dans le sens de l'indépendance et de la complémentarité ;
2- procéder à la refondation du paysage national en regroupant les sensibilités politiques autour de trois grands partis, représentatifs des principaux courants qui traversent la société : populaire, social-démocrate, libéral...
3- accorder aux régions un volant plus souple, pour impulser le développement économique et social, conformément aux besoins réels et librement exprimés des collectivités de base ;
4- convoquer des élections législatives, wilayales et communales anticipées, pour donner la chance aux élites d'exercer des responsabilités selon les dispositions de la nouvelle Constitution et de la règle du mérite.
Le nouveau gouvernement que nommerait le président serait conduit par un chef issu de la majorité élue et doté de prérogatives constitutionnelles pour exécuter son programme et en rendre compte, régulièrement, à la représentation nationale.
Ce programme devrait privilégier, dans le cadre d'une stratégie économique préconçue, quatre actions essentielles :
1- la définition et la conduite d'une politique audacieuse de l'emploi devant absorber, en priorité, le chômage des jeunes et des diplômés selon des recettes autrement moins primaires et démagogiques que celles qui ont eu cours, jusque-là, avec l'échec que l'on sait ;
2- le lancement, à grande échelle, d'une industrie du bâtiment adossée à une ingénierie nationale et l'affectation des logements sur la base des critères d'équité et de rentabilité sociales et économiques vérifiées ;
3 – la promotion d'une nouvelle éducation nationale, d'une université, d'une recherche scientifique performantes et d'une santé à visage humain, qui sauveraient les générations à venir d'un naufrage annoncé ;
4- la mise en œuvre de mécanismes opérationnels, efficaces, aptes à assurer une justice indépendante et la défense effective des droits de l'homme, bannissant l'exploitation, la discrimination, le sexisme et les pratiques liberticides. Naîtrait, alors, un Etat démocratique, régulateur, au vrai sens du terme, respectueux des droits et des aspirations de son peuple.
L'armée républicaine a une éminente responsabilité dans la réussite de ce processus, conformément aux compétences qui lui sont reconnues par la Constitution. Elle qui a reconquis sa popularité, sa respectabilité et son pouvoir d'attraction sur les jeunes, notamment, après son action à Tiguentourine, unanimement saluée, gagnerait, amplement, à contribuer, avec les autres forces du pays, à le faire aboutir.
L'Algérie enterrerait, définitivement, l'ancienne image d'un pouvoir militarisé face à une société islamisée qui iraient, fatalement, au clash. Les mutations qui secouent les pays du proche et lointain voisinage, dans un mouvement de transformation, en continu, ont rendu tout a fait caducs et le pronunciamiento militaire et le gouvernement d'un Etat par la religion, rendant la volonté populaire, incontournable, au-dessus de tout marchandage. En économisant la voie de la violence, l'Algérie opérerait un désenvoûtement libérateur qui permettra la création d'un large faisceau politique et social capable d'intégrer toutes les marges et de donner leur chance à tous. Elle aura tourné la page du dernier empereur qui serait, alors, entré dans l'histoire, de son vivant, avec la dignité qui convient à son rang, à l'issue d'un parcours long et heurté, sur lequel celle-ci se prononcera, avec objectivité, lorsque les passions se seront tues.


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