Par Youcef Merahi L'écrivain s'adjuge ce titre en partant de son imagination, souvent de la réalité revue et corrigée, la quintessence du plus ténu des frémissements de son Être. Ainsi, il tape dans le mille quand il réussit à réécrire une émotion, une gestuelle, un souvenir ou un débris d'existence et arrive à provoquer auprès du lecteur un intérêt croissant. Au fil de mes pérégrinations livresques, j'en ai rencontré qui ont renforcé en moi l'idée que la lecture reste un doute perpétuel et un questionnement de tous les instants. Dans cette halte, je veux citer Anouar Benmalek dans «Tu ne mourras plus demain», Hamid Nacer-Khodja dans Jumeau, Sarah Haïdar dans Virgules en trombes et Asma Guenifi Je ne pardonne pas aux assassins de mon frère. Anouar Benmalek, l'auteur de O Maria, un livre sur la Reconquista espagnole, décortique la masse de souvenirs, juste après le décès de sa mère au destin maghrébin, pour traiter, domestiquer, adoucir et justifier son deuil. Benmalek se fait intimiste pour écrire le destin d'une maman, marocaine de nationalité, qui suit docilement la trajectoire d'un père de retour à Constantine après l'indépendance. Puis je me rappelle de cet auteur en quête de la tombe de ce père dans le cimetière-jungle de cette ville qui défie le vertige, tellement le rocher semble dérisoire. Tout y passe dans ce récit : la colère devant les structures hospitalières «inhospitalières» pour dire la faillite de la santé dans notre pays ; l'amour maternel qui s'efface à l'inexorable, la mort ; l'impuissance de l'être (de l'auteur) devant la maladie incurable et les derniers instants de «celle» qui «ne mourra plus demain», titre-faillite, choquant presque, indexant l'impuissance de l'homme affrontant l'Heure. Hamid Nacer-Khodja, «ce doux» comme l'appelait Jean Sénac, offre à notre fringale de lecture un livre (un récit, plutôt une confession) où la douleur grossit, comme une tumeur, au fur et à mesure que l'adolescence (cet âge de tous les tourments !) dicte sa loi à un lycéen en proie aux démons de l'amour, ce triangle des Bermudes, temps du Mythe s'il en faut. Narration par-ci, journal par-là, écriture sans concession, sans fausse pudeur ni regret, juste le temps pour NKH d'affronter le réel d'une Noura dont le visage s'effiloche face aux turpitudes de la vie. Y aurat- il une suite à cette tentative d'écriture ? Je ne le pense pas. NKH a «sacrifié» sa vie au profit du poète de l'absolu, Jean Sénac. Jumeau est le récit de l'indicible douleur quand on ne naît pas prince, mais roturier. Au fait, Jumeau est à rapprocher indubitablement au journal intime de son parangon, Yahia El Wahrani. Sarah Haïdar est sans concessions dans son écriture. Je reste admiratif devant ses chroniques journalistiques. Elle va plus loin dans Virgules en trombes qu'elle présente comme étant un «presque roman», alors qu'elle a tout simplement entrepris d'écrire un «contre-roman», dans le sens où Haïdar prend à contrepied tous les mécanismes d'écriture d'un roman classique. Il n'y a aucune «unité» dans cet écrit. J'y ai retrouvé le souffle dibien dans Qui se souvient de la mer et l'imprécation subversive de Djaout dans L'exproprié (première mouture). Denise Brahimi, à qui je l'ai fait lire, rajoute le travail d'une écriture souterraine de Kheïreddine. Un critique a posé la question de savoir s'il s'agit d'un «roman gore». Peut-être ! Dans un sens. Tout en restant simple, je dirai que ce texte renferme tous les éléments d'une déflagration volcanique. Ecriture en geyser alors ? Certainement. La suite nous renseignera davantage sur Sarah Haïdar. Dans un style clair et limpide, Asma Guenifi, par contre, nous fait revivre le cauchemar islamiste des années 90, à Alger, plus particulièrement à Bachdjerah, cette cité qui traduit la crise du logement. Cité-dortoir où a proliféré le crime dans toute son horreur. Ici, le frère. Là-bas, la sœur. Puis, silence ! On pardonne ! Ce que refuse Guenifi dans ce témoignage poignant. Parce qu'humain ! Ces quatre romans transfigurent la douleur physique et morale d'écrivains en quête d'eux-mêmes, de leur généalogie et de leur souffle. Aucun lecteur ne sortira indemne de cette lecture de romans à avoir absolument. En tous les cas, j'en suis personnellement endolori. Et c'est une bonne chose !