Depuis la capitale des Aurès, les Chaouis se font entendre et révèlent au grand jour les craintes du pouvoir, obligé pour la circonstance de la marche d'indignation revendiquée par différentes tendances, à gérer «démocratiquement» une manifestation qui lui est hostile et à encadrer intelligemment des frondeurs déchaînés contre ses symboles. Une marche qualifiée de succès patent en dépit de la cacophonie organisationnelle qui n'a pas eu raison de la détermination des milliers de participants, issus de différents horizons. Structurées ou non au sein d'organisations, associations ou mouvements citoyens, plus de dix mille personnes y ont pris part. Pour certaines, elles ont dû effectuer de longs trajets pour être du rendez-vous. Elles étaient venues de Khenchela, Oum-El-Bouaghi, Biskra, Béjaïa, Tizi Ouzou, Ghardaïa, voire même de Sidi Bel-Abbès, marquer leur solidarité et joindre leurs voix à celles des Chaouis, offensés dans leur amour-propre par les propos du directeur de campagne du Président sortant. Cependant, peu de temps avant que la procession ne s'ébranle de la place El Hadj Lakhdar mitoyenne de l'université qui porte le même nom et du palais de justice, l'on avait du mal à imaginer que cette manifestation allait s'avérer une réussite franche au nez même du dispositif sécuritaire impressionnant mis en place, à travers tous les carrefours et allées de la ville au moment où ses accès étaient placés sous haute surveillance de la Gendarmerie nationale qui a multiplié les barrages de contrôle. Et parmi les dizaines de jeunes quadrillés par des policiers et qui donnaient déjà de la voix sur les lieux du rendez-vous, l'on supputait que l'organisation serait défaillante ou que les services de l'ordre s'attelleraient à empêcher les descentes de marées humaines place El Hadj Lakhdar. Fausses présomptions ! Tout le monde, services de sécurité en premier lieu, sera surpris par l'ampleur de l'invasion de la place par des milliers d'âmes au moment même de l'entame de la marche. «Les descentes» effectuées successivement par le Premier ministre par intérim Youcef Yousfi et le ministre de la Santé Abdelmalek Boudiaf, tous les deux originaires de la région, pour tenter d'absorber la colère née de la blague de mauvais goût d'Abdelmalek Sellal, n'ont pas réussi à amnistier ce dernier. Des pancartes et des banderoles tous azimuts sont brandies par les manifestants. Elles abondent toutes, superbement, de sentiments d'écœurement à l'égard d'un pouvoir méprisant, incarné par la sortie funeste de Sellal et l'avidité du sérail qu'il représente dans sa quête de se perpétuer au sommet de l'Etat à travers l'effronterie du 4e mandat. Sur l'une d'elles, on pouvait lire «la dignité des Chaouis ne se négocie pas, les Chaouis n'iront pas aux urnes de la mafia», elle résume les autres slogans qui foisonnent du rejet des excuses de Sellal et de l'opposition à un quatrième mandat pour Bouteflika et autant d'expressions vouées à la gloire et l'honneur des Chaouis. Le portrait du président Zeroual, qui a rompu le même jour un silence qui a duré près de 15 ans pour dire ses inquiétudes et pensées de la situation que traverse le pays, est présent à la manifestation qui se terminera, d'ailleurs, par un rassemblement au pied de sa résidence et durant laquelle son nom sera scandé de manière très récurrente. «Bouteflika dégage» n'était pas en reste et était cadencé également par les marcheurs filmés de toutes parts et notamment des balcons d'où fusaient de temps à autre les youyous de femmes. Le nom de Benflis est également revenu sur les langues de ses sympathisants qui ont clamé à leur tour «Benflis houa erra'is». Les mouvements des Chaouis libres, des Aârouch, Barakat, Bzayed et tant d'autres tendances associatives et citoyennes étaient représentés dans la marche. Une marche dont l'itinéraire a été modifié pour s'étaler sur près de 4 kilomètres puisqu'il était prévu qu'elle prenne fin sur les allées devant la stèle du héros de la révolution Mostefa Benboulaïd où un imposant dispositif sécuritaire avait été mis en place dès la matinée. A peine ils y marqueront une brève halte, les manifestants décident de poursuivre leur procession jusqu'au quartier El Mezjara, lieu de résidence du président Liamine Zeroual. Un rassemblement de près d'une demi-heure y a été tenu sans que le vœu des marcheurs qui voulaient prendre langue avec le prédécesseur de Bouteflika soit exaucé puisque «Si Liamine» n'apparaîtra pas. La manifestation se terminera sans couacs ni débordements, tant il est vrai que les services de l'ordre ont fait preuve cette fois-ci, de beaucoup de retenue, se contentant d'encadrer et même d'assurer un cordon de sécurité à la procession. C'est qu'a priori, des ordres stricts afin d'éviter toute confrontation avec les manifestants ont été donnés et l'on s'imagine que le cas contraire aurait été lourd de conséquences devant les difficultés à contenir la colère des milliers de personnes qui y ont pris part.