Dans un réduit lui servant de local, Djamel donne des formes à différents tubes en verre à l'aide d'un chalumeau qu'il manipule avec doigté. Jouant sur le débit du mélange de gaz, acétylène et oxygène, la matière passe à l'état pâteux et devient malléable. Et selon les besoins de la réalisation, Djamel saute sans transition d'un art à un autre. Tantôt, c'est le sculpteur à chaud avec le couteau en tungstène du verrier, donnant naissance à une mandoline ou un sabre avec un étui gravé ; tantôt, c'est le peintre avec un bout de verre en guise de pinceau pour dessiner des poires, des tortues et des vases. Parfois, il s'improvise grand couturier prenant le verre avec des pincettes pour découper, plier ou souder avec le jeu des flammes de très beaux palmiers, des chameaux ou des gazelles en miniatures. Sans aucun moule, chaque objet est une nouvelle création né de l'exécution d'un mouvement plus ou moins rapide, d'un souffle ou d'une flamme de débits différents. A côté de l'aspect du verre, qu'il soit creux ou plein, les couleurs, comme le bleu, le noir ou le doré viennent ajouter une touche magique à son œuvre. Toute une alchimie et des formules d'oxydes que l'artiste expérimente dans son laboratoire. C'est le signe argenté, au regard affectif qui a eu le plus succès. Il est en quelque sorte son fétiche. Djamel est issu d'une famille de sculpteurs ; lui et ses frères ont succédé à leur père, verrier durant plus de 45 ans. Leur père a beau les conseiller de choisir un métier plus rentable, ces derniers, comme ensorcelés depuis leur tendre enfance par les maisons de verre en miniature que leur père créait à temps perdu et leur offrait, ont préféré perpétuer la tradition. Pour cela, Djamel, le plus mordu, avait abandonné ses études de chimie pour mieux se consacrer à l'œuvre. Son premier prix, il le décrochera en 1994. Il essaye à chaque fois d'apporter une empreinte originale à ses créations. A part un narguilé en cristal du XIXe siècle exposé au musée du Bardo et un ancien flacon trouvé à La Casbah d'Alger, les souffleurs de verre semblent ne pas laisser de traces. Pourtant, la technique remonte à des millénaires. La découverte du verre est attribuée à l'ancienne Egypte. Et on raconte que c'est un marchand qui le trouva fortuitement au bord d'un ruisseau après s'être réchauffé devant un feu de bois. Mais une chose est sûre, il y a 2000 ans, le verre était utilisé en Mésopotamie, et de là, il serait passé en Egypte puis en Chine. L'Europe, notamment l'Italie, n'a connu cette pratique bien plus tard. Les Phéniciens passaient aussi pour les inventeurs du verre, ce qui est faux, selon l'archéologue Charles Ricard malgré l'habileté qu'ils avaient acquis dans cette industrie. Ce chercheur décrit avec admiration cette dernière. On fabriquait déjà, disait-il, de petites fioles en forme d'amphores. Le procédé de fabrication était ingénieux. On gravait des sillons dans des vases, on dessinait à l'intérieur de la pâte et on y imprégnait même différentes couleurs. Notre artiste le montre bien : comme les «larmoires», ces flacons qui recueillaient les larmes des pharaons qui les emportaient avec eux dans leur tombe. Il nous transporte au paléolithique du Tassili où il a emprunté les motifs de gravure. Et pour introduire ces objets dans la vie quotidienne, il fabrique des objets utilitaires, comme les supports de couvert par exemple. A cette couturière qui cherchait l'originalité pour son défilé de mode, il avait offert des boutons, des agrafes à bec, des boches en forme de poisson et des brochets. Parallèlement à son travail d'artiste, Djamel lui arrivait de réparer de temps à autre la verrerie des laboratoires et réalisait du matériel de recherche pour les universités. Pour Djamel, la relève n'est pas assurée, car les souffleurs de verre en Algérie se compte sur les doigts d'une seule main. n