Durant la semaine écoulée, nous assistions, impuissants et désespérés, à la mort de centaines d'Algériens consécutive aux douloureux évènements subis par le pays et aux mesures de rétablissement de l'ordre qui s'ensuivirent. Ainsi le sang de la jeunesse algérienne a coulé. Dans cette étape difficile, vous avez sollicité le soutien des citoyens. Nous pensons apporter la plus efficace des aides possibles en exprimant ce que nous croyons être la vérité, évitant, une fois pour toutes, le discours flatteur ou les acquiescements intéressés que d'autres ont cru devoir manifester aux régimes successifs pour le plus grand malheur de notre peuple. Il n'est pas de citoyen conscient qui ne ressente au fond du cœur la blessure grave infligée par la fin tragique de ces adolescents et la détérioration incalculable de notre patrimoine national. Cette même conscience nous dicte d'en rechercher les véritables causes pour en éviter la terrible répétition. Dans votre message du 10 octobre, vous avez, Monsieur le Président, évoqué certaines raisons, qui sont autant de mobiles, sans être pour autant des justifications de ce qui est advenu. Insuffisances dues aux catastrophes naturelles, à la sécheresse provoquant la baisse dans la production agricole, à la crise mondiale entraînant la chute du prix des hydrocarbures et, par voie de conséquence, celle des revenus de la nation aggravée par la dette publique, à une croissance démographique non maîtrisée. Certes, ces facteurs conjugués expliquent la pénurie générale actuelle peu supportable pour la plupart des familles aux revenus déjà faibles et rongés par l'inflation. Pour la jeunesse, le chômage inavoué et un avenir sans espoir constituent le lot de la grande majorité. Voilà qui expliquerait, semble-t-il, l'explosion de la dernière semaine. Elle n'aurait cependant pas revêtu ce caractère anarchique et destructeur si les manifestants avaient réellement eu la possibilité de dire librement leur malaise et leurs opinions dans les formes pacifiques que toute législation de pays démocratique se doit de prévoir. Le mal est donc plus profond et plus lointain. Monsieur le Président, si nous tenons à faire en toute objectivité notre autocritique comme vous l'avez clairement souligné dans votre message, force est de reconnaître que depuis 26 ans le peuple algérien, dans ses différentes composantes, n'a jamais eu la faculté de s'exprimer librement. Nous avons cru devoir sacrifier la naturelle diversité d'opinions, à un unanimisme de façade ou un monolithisme imposé, et cela en vue d'une hypothétique efficacité. Si l'unité de conception avait été un facteur indispensable durant la guerre d'indépendance – car une direction divisée n'aurait su parvenir à ses buts – aujourd'hui, une opinion captive dans un pays libéré ne saurait valablement éclairer l'Etat sur les réels désirs du peuple. Nul groupe dans un pays démocratique ne saurait s'attribuer le monopole de la pensée ou de son expression, ni celui du choix exclusif des gouvernants. C'est pourquoi, les avocats qui, durant la guerre de Libération dans les rangs du FLN, et certains au péril de leur vie, défendirent le droit à l'indépendance nationale, ont maintenant le devoir de dire que l'avènement des libertés individuelles est nécessairement conditionné par le respect du pluralisme démocratique. Confiants dans la détermination du chef de l'Etat, ils l'assurent de leur soutien dans la promotion de telles réformes. Alger, le 12 octobre 1988 Amara, Belhocine, Bentoumi, Bouzida, Haroun, Menouer, Rebbani, Tayebi, Zertal... Avocats au Barreau d'Alger et à la Cour suprême d'Algérie