L'année dernière, du bout des lèvres, le président de la République française François Hollande avait reconnu la répression à l'encontre de la manifestation des Algériens du 17 Octobre 1961 à Paris. Comme les mots ont un sens, une histoire, il faut appeler un chat un chat. Il faut donc rappeler aux gestionnaires de cette république dont les Français sont fiers, que ce jour-là, il s'est agi d'un évènement d'une extrême gravité car ce fut un CRIME D'ETAT. Pourquoi cette notion juridique est plus appropriée pour qualifier la tragédie qui s'est déroulée pendant des jours sous le regard du monde entier ? Parce que Paris n'est pas une petite bourgade isolée du monde inaccessible aux fonctionnaires de l'Etat. Parce que le crime n'a pas été commis par un vulgaire raciste ou un triste individu qui pète les plombs sous l'emprise de je ne sais quelle drogue. Parce que les manifestants réclamaient la fin d'un couvre-feu qui les discriminait en raison de leur origine. En clair, en raison simplement et «racistement» de leur faciès. Ce qui est un délit aux yeux des lois de cette république et de toutes les conventions internationales sur les droits de l'Homme signées par la France. Parce que les manifestants répondaient à une directive de leur gouvernement (GPRA) avec qui le gouvernement de la France négociait. Les manifestants n'étaient donc pas de vulgaires délinquants s'attaquant aux personnes et aux biens. Ils étaient du reste endimanchés et ne portaient aucune arme. Parce qu'enfin, les exécutants de cette tâche criminelle sont des agents obéissant à des ordres et couverts par les plus hautes autorités de l'Etat. Et l'un d'eux un certain préfet, Maurice Papon pour ne pas le nommer, une vieille connaissance des Algériens puisqu'il avait exercé ses fonctions de proconsul à Constantine, ce monsieur-là était ce 17 octobre 61 à la tête de la préfecture de Paris chargée de «l'ordre public». Du reste, ce préfet n'avait pas usurpé sa renommée car il avait déjà fait parler de lui durant la Seconde Guerre mondiale à Drancy, où il avait cautionné, organisé la déportation de Français juifs. Oui crime d'Etat car le nombre de morts et disparus ne se comptait pas sur les doigts d'une main, ils n'étaient pas des victimes de bavures inévitables dans des situations de trouble incontrôlables. Ils étaient des centaines à être assassinés dans des conditions inadmissibles qui plus est de manière lâche et ignoble. Les bras enchaînés, les visages en sang, insultés et couverts de vociférations racistes de la part de soudards, ces Algériens furent jetés dans la Seine non loin du «pont Mirabeau où coule la Seine» immortalisé par Apollinaire. On ne peut pas ne pas penser à la chanson de Serge Reggiani «les loups sont entrés dans Paris attirés par l'odeur du sang». Eh bien ce 17 Octobre 61, les loups n'étaient pas des étrangers mais bel et bien des Français qui, fort heureusement, ne représentaient pas forcément tous les Français. Car il ne faut pas mettre ces derniers dans le même sac puisque certains de nos compatriotes furent soignés et sauvés par d'autres Français. Et si ce 17 Octobre 61 n'est pas passé par pertes et profits, c'est grâce, d'une certaine façon, à des photographes et journalistes français qui ont brisé le silence en diffusant l'information. Bavure a-t-on dit, terme ignoble et irrecevable pour les familles, terme cher à tous les policiers pour échapper aux griffes de la justice et surtout au jugement de l'Histoire. C'est au nom du respect de l'Histoire qu'il faut précisément lutter et continuer à réclamer la reconnaissance de ce crime d'Etat, non pas pour faciliter des relations sonnantes et trébuchantes entre deux Etats mais pour que les peuples connaissent les auteurs de ce crime commis contre l'un et au nom de l'autre. C'est une des façons pour éviter à l'avenir que l'on déshonore cette république issue d'une révolution du siècle des Lumières. Rêvons au jour où cette république ne sera plus otage de cette France moisie pour reprendre une expression de Philippe Sollers. Si ce jour se lève un jour, une statue de la dignité retrouvée, œuvre d'artistes amis de la vérité, devrait trôner à l'entrée du port d'Alger où le visiteur pourra lire : Apollinaire l'immigré regarde Le pont Mirabeau où coule le sang des parias et de leurs enfants. Ce jour du 17 Octobre 1961 les Versaillais attirés par l'odeur du sang effacent sur les murs de la ville lumière «Liberté j'écris ton nom».* Il ne faudrait pas que la France s'auto-félicite pour ses attitudes glorieuses en offrant par exemple en 1885 la statue de la Liberté aux Etats-Unis d'Amérique inaugurée en 1886. Elle grandirait aussi en reconnaissant la part sombre de son histoire en Algérie, un pays dévasté par la politique de la terre brûlée qui s'est traduite notamment par les enfumages et autres misérables actions. A. A. * Réalisateur du film Enfants d'Octobre. * Ce modeste pastiche de poètes français est un clin d'œil à ces femmes et hommes, poètes et militants français qui ont soutenu la lutte du peuple algérien, comme l'avait chanté Bachir Hadj Ali dans un des poèmes : «Nous n'avons pas de haine contre le peuple français.» P. S. : pour ceux qui veulent s'informer sur le 17 Octobre 1961, voici un lien avec un documentaire de 10 minutes : http://youtu.be/IMjrgPboMj0