Me Khaled Bourayou, qui plaide depuis longtemps la cause de la presse devant les tribunaux, n'applaudit pas à l'institution de la Journée nationale de la presse, décrétée par Bouteflika le 3 mai dernier. Il estime qu'elle a procédé de la démagogie, étant donné qu'elle ne consent point de référent à la liberté de la presse. Sofiane Aït Iflis - Alger (Le Soir) L'évacuation du concept liberté est volontaire. La preuve en est qu'en 25 années de presse libre, les autorités en sont revenues à une loi sur l'information des plus liberticides, à des campagnes insidieuses ou ouvertes visant à ligoter la liberté d'expression. Me Bourayou affirme qu'on ne peut créditer de sincérité l'initiative du chef de l'Etat d'instituer cette journée nationale de la presse, tant est que ce dernier ne croit pas foncièrement aux libertés de la presse et d'expression. Il en veut pour preuve, l'avalanche de procès intentés à la presse depuis son investiture à la tête de l'Etat. Entre 2001 et 2003, des institutions, parmi elles le ministère de la Défense nationale (MDN), ont intenté 29 procès à la presse, pour offense au chef de l'Etat et outrage à corps constitués, note Bourayou, qui ajoute que «cette campagne contre la presse a été suivie par un durcissement des dispositions pénales relatives au délit de presse, à travers notamment les modifications apportées aux fameux articles 144 et 144 bis du code pénal». La progression des plaintes du ministère public contre la presse et les journalistes s'est poursuivie durant les années 2003, 2004 et 2005. «L'année 2003 a été marquée par une avalanche de décisions contre la presse, laquelle avait pris position contre un deuxième mandat pour Bouteflika. Pour l'exemple, le Soir d'Algérie a dû répondre de 5 plaintes déposées à son encontre par la présidence de la République. Le MDN avait intenté autant de procès à d'autres journaux», souligne Me Bourayou. La presse devait subir au même rythme le harcèlement judiciaire entre 2007 et 2009. Durant cette période, il y a eu 19 procès intentés au Soir d'Algérie, 33 à El Watan, 25 à El Khabar et 10 à Liberté, précise Me Bourayou qui explique que la diminution des plaintes contre la presse entre 2009 et aujourd'hui n'est pas due à une volonté des pouvoirs publics d'apaiser la relation avec la presse mais à d'autres facteurs : d'abord l'émergence au niveau de la justice des affaires de corruption, ce qui donne finalement raison à la presse d'avoir fait l'évocation de cette gangrène et deuxio les dossiers de presse sont de mieux en mieux ficelés, ce qui ne laisse pas de faille à exploiter pour la justice. Me Bourayou note cependant que les campagnes contre la presse évoluent en fonction de la conjoncture et des rendez-vous politiques. Cela étant, Me Bourayou déplore qu'un blogueur soit mis en prison pour avoir exprimé son opinion et qu'un journaliste risque des poursuites judiciaires pour avoir donné son avis sur un fait politique national. Un brin ironique, Me Bourayou relève que la journée nationale de la presse ainsi instituée coïncide avec la journée mondiale du bégaiement. «Sous Bouteflika, la presse n'a pas dépassé le stade du bégaiement», ironise-t-il.