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C'est ma vie
Mohand Ousayeh ou le chantre d'issefra kabyles
Publié dans Le Soir d'Algérie le 30 - 11 - 2013

Natif de la Kabylie profonde, Mohand portait haut la parole des sages, une vocation innée chez lui, construite et embellie au fil des années qui se sont égrénées aux côtés des esprits mûrs et pleins de morales des vieux de son village et de ces poètes et conteurs illustres du chaâbi kabyle.
«Je suis né en 1961 dans le village kabyle de Bezzit, sur les hauteurs montagneuses et ô combien majestueuses de la wilaya de Bouira. D'une famille de fellahs, j'ai moi aussi appris à courber le dos pour cultiver la terre de mes ancêtres. Le travail était dur mais satisfaisant et noble, je suais pour manger mon pain et faisais cela en respectant Dame Nature et la terre si généreuse et féconde. Ainsi, j'occupais mon corps à semer le grain alors que mon esprit, déjà épris de la belle parole, s'exerçait à composer ce qui deviendra par la suite ma raison d'être. Il faut dire que très jeune encore, je passais des heures à écouter les complaintes et les rimes de ces artistes des temps passés que sont El Hadj El Hasnaoui, Slimane Azem, ou encore, un peu plus tard, Lounis Aït Menguellet et mon idole de toujours, Matoub Lounès qui m'ont inspiré et poussé encore plus vers la composition d'issefra qui sont tout simplement un genre de poèmes portant une ou plusieurs morales et qui ont de tout temps fait partie intégrante de la culture et de l'héritage traditionnels kabyles et berbères en général.
Ainsi, j'ai composé mes premiers issefra (poèmes) vers l'âge de dix-sept ans ; observer la nature, la vie et ses rouages m'ont inspiré très tôt, et à l'époque, je gardais mes vers à l'état oral et les enregistrais à la seule force de ma mémoire, je les entonnais alors aux membres de ma famille autour d'un feu ou d'un repas. «Je suis devenu l'intime de Matoub Lounès. C'est dans les années 1980, lors de sa première visite à Bouira avec Lounis Aït Menguellet à ses côtés, que j'ai rencontré Matoub Lounès pour la première fois. La profondeur d'âme, la franchise et la vertu qui se dégageaient de ses paroles m'ont tout de suite conquis, j'étais devenu un fan, et désormais, je ne ratais plus aucun de ses concerts.
J'ai également entrepris d'aller le voir chez lui, dans son village à Thaourirt Moussa, et c'est là qu'il m'a remarqué. Car loin de montrer la moindre animosité envers le fan entreprenant que j'étais, Matoub Lounès m'a ouvert les bras et compté parmi ses intimes, il m'a même rebaptisé de mon actuel nom qui est en réalité Mohamed Sayeh. Il m'a dit un jour : «Peu importe, moi je t'appellerai Mohand Ousayeh.» Et depuis ce jour, je me présente ainsi aux gens. Nous sommes vite devenus amis, et cela reste pour moi la rencontre la plus importante et décisive de toute mon existence, car connaître aussi étroitement un homme de cette grandeur était un honneur dont peu de gens sur cette modeste Terre peuvent se vanter.
Le 25 juin 1998, alors que j'étais chez moi en train de creuser un puits, la nouvelle de l'assassinat de mon ami m'est tombée dessus tel un couperet. Je n'eus plus la force de tenir debout, et les flots de larmes qui m'avaient alors submergé étaient la seule voie pour exprimer toute ma tristesse et mon chagrin suite à cette perte tragique et inattendue. Matoub était tellement valeureux et d'une force de conviction et d'opinion telle que sa mort est, à mon sens, une perte énorme pour nous qui avons encore besoin de ses conseils et de sa bienveillance. J'ai commencé à travailler la terre très jeune ; j'ai arrêté mes études au collège et j'ai tout de suite rejoint mon père dans la culture de la terre. J'ai donc, en 2003, souffert d'un mal de dos atroce qui m'a cloué au lit durant sept années. Je suis resté ainsi alité pendant toute cette période, suivant un régime alimentaire strict, engloutissant des quantités de médicaments et ne bougeant que pour me rendre chez le médecin. Ma mère, mes frères et sœurs m'ont pris en charge et aidé à surmonter cette étape douloureuse de ma vie.
Cette longue période d'inactivité m'a également permis de méditer et de réfléchir plus profondément sur le sens de mon existence et sur ce que je voulais réellement faire de ma vie. J'ai, à cette époque-là, composé bon nombre de mes cinq cents issefra que j'ai entrepris d'enregistrer sur cassettes audio ; j'ai aussi décidé de les éditer en recueils écrits en tamazight dès, que je serai rétabli. Après des cures diverses et un repos bien long, je me suis rétabli et repris le travail. Désormais, je suis dans l'aviculture, toujours en rapport avec la nature, et avec l'aide d'un ami du village, Rabeh Boucheneb, qui maîtrise la rédaction en tamazight, on s'est mis à la réalisation de mon projet : celui de mettre en page mes cinq cents poèmes.
Il y avait aussi Kamel Merabti, un poète en tamazight, Dani Ahmed, poète en langue française, et également deux jeunes étudiants de l'université de Bouira qui m'ont aidé dans mon périple et envers lesquels je resterai à jamais reconnaissant. Le premier recueil est intitulé Tir'ri ufalku (l'appel de l'aigle).
Ce premier recueil (que j'ai réussi à éditer grâce à la vente de l'huile d'olive familiale) s'est vendu à mille exemplaires à travers le territoire national, en France et au Canada où il a eu un franc succès de la part des lecteurs. J'ai choisi seize de mes cinq cents issefra, dont celui dédié à la femme kabyle dans toute sa splendeur et que j'ai baptisé Tamtuth Lakvayel Imazighen ; une ode à ces femmes valeureuses qui tiennent à leurs traditions et qui, malgré leur simplicité, se révèlent des perles de beauté et de grandeur d'âme et d'esprit.
Il y a également le poème L'Djenss Wer Ner'i qui parle de cette génération de gens incultes qui mènent le pays vers la dérive ; une génération qui préfère le gain facile et les apparences aux choses essentielles de la vie. Ce recueil s'achève par cent huit dictons, maximes et dires (m'thouls) de vieux sages que j'ai connus et côtoyés tout au long de mon existence et que j'ai voulu préserver pour la postérité. Après les avoir gardés en mémoire durant des années, je les ai mis sur papier pour que plus tard, leur sagesse ne soit pas perdue. Mon m'thel préféré est celui qui parle des gens sans grandeur d'âme et dont la bassesse mène indéniablement vers le ravin.
Yir Kemmouc D yir khenfouc (mauvaise bouche, mauvais nez)
Adikavel azagouriss amex yella (qu'il regarde son dos, comme il est fait)
Win irazen tazravt I gmass (celui qui creuse un trou pour son frère)
Adizwir Idervis netsa (l'y précédera)
Mon deuxième recueil paraîtra en 2014, Assif n wawal (ou le fleuve des paroles), est composé de cinq issefra d'une longueur qui atteint parfois les cinq pages.
Leur récit prend jusqu'à une demi-heure et j'en ai des centaines que je garde en mémoire et que je compte encore éditer si j'en ai l'occasion. Dans ce recueil, j'ai mis mon poème Reservi Yed a billet qui loue les bienfaits du voyage et de l'éloignement pour fuir les faux amis et les amertumes qu'ils causent. 
Il aborde aussi la mélancolie de la perte des êtres chers et des repères dans une existence peu amène. Il y a aussi celui dédié au gardien de la ville de Marseille, gardien dans le sens ange-gardien Aya Aâssess N Marseille qui est une louange à Marseille et à Paris, aux splendeurs de ces cités françaises que les Algériens rêvent de fouler dans un songe souvent irréalisable.
La deuxième partie de ce second recueil est dédiée à Medjrass Mohamed Ben Ahmed, qui était l'ami de mon père et dont les paroles pleines de bon sens m'ont poussé à lui dédier ce chapitre de mon livre. Je l'ai longtemps côtoyé et j'ai depuis toujours gardé en mémoire ses sages paroles, et à sa mort, en 2010, j'ai décidé de lui rendre hommage et j'en ai trouvé l'occasion dans ce recueil à travers deux longs issefra qui sont Izrem (le serpent) et 8 Magu 1945 (sur la révolution algérienne). Enfin, le troisième chapitre de mon livre porte encore les dires et les morales des vieux sages de mon village Bezzit et pour lesquels je garderai une estime et un respect éternels.


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