Par Ouali Aït Ahmed, ancien officier de l'ALN Ceux qui sont sincères rougissent souvent à l'écoute ou à la lecture des affabulations et des mensonges des personnes qui les débitent. Avec un aplomb des plus sidérants, elles modèlent ceux-ci, les pétrissent pour les transformer en cynisme, alors que l'histoire récente de notre chère Algérie ne peut que les inviter à se taire, à défaut de rechercher l'anonymat et se fondre ainsi dans la foule. J'ai beau essayer de garder mon calme à la lecture de l'article d'Ali Agouni, publié dans un quotidien national du jeudi 7 novembre 2013, sous le titre «La véritable justice, c'est d'opter pour une vraie réconciliation nationale», mais l'outrage fait à l'histoire est tellement inique que se taire équivaudrait à la trahison. Notons d'abord, au passage, que les instances responsables du FLN/ALN historiques (CNRA, CCE et GPRA) et les accords d'Evian signés par Krim Belkacem et la partie française ont été bien au-delà de la réconciliation, puisqu'un «tribunal de Nuremberg» n'a pas été mis en place pour juger goumiers, harkis, membres des «comités de salut public», militants actifs du MNA collaborateurs et indicateurs connus ou anonymes de l'armée coloniale. Le pardon a été tellement magnanime que ceux qui en avaient bénéficié pouvaient se déplacer sans danger aucun. Ce climat «bon enfant» ne pouvait s'expliquer que par le remords accablant qui rongeait les mis en cause qui travaillaient à se faire oublier, en rasant les murs, la patte blanche aidant. De par leur conduite apeurée, ils ont contribué, quelque peu, à ne pas aggraver le caractère titubant des premiers pas de l'Algérie indépendante. A ce moment, nous étions très très loin des chiffres démesurés avancés par les historiens idéologues de l'ancienne puissance coloniale quant à la mort de harkis et goumiers. Si l'élimination de ces derniers a été l'œuvre exclusive de la population qui avait subi leurs exactions et leurs atrocités, il n'en demeure pas moins que l'acte lui-même, en temps de paix, est abject et relève de la cour criminelle. Mais faut-il pour autant oublier tout ce qui a été fait en France pour les «collabos» au lendemain de la Seconde Guerre mondiale où tant d'assassinats ont été prononcés ? Et plus que la mort, des femmes ont eu les cheveux rasés à la tendeuse pour les exposer par la suite au mépris, aux quolibets et à la vindicte des foules !... Donc, de grâce, nous n'avons nullement besoin de leçons d'humanisme à recevoir de nos «maîtres» d'hier, pour qui nos pères et aïeux valaient bien moins que les bêtes de somme, ânes, mulets et bœufs en tête. Moins de cinquante ans après le pardon, voilà que le monstre s'étire, se réveille, baille et pousse ses cris tonitruants pour revendiquer les honneurs dus à l'engagement total contre la puissance coloniale dont la présence, en Algérie, ne faisait qu'asservir les autochtones considérés comme simples sujets et bons à utiliser comme chair à canon ou exploitable à vil prix. A ce propos, il est bien dommage qu'on fasse la confusion pour écrire dans un article récent, qu'Isabelle Eberhardt a pris la nationalité française de par son mariage avec un «indigène de Aïn Sefra, comme si un esclave pouvait affranchir un maître...»! C'est le monstre de Gramsci qui naît au clair-obscur, au moment où l'ancien ne parvient pas à mourir et le nouveau tarde à se faire jour, «tadamcact» en tamazight, (crépuscule du soir ou aube du matin). C'est le moment propice où le monstre guette ses proies qui s'attardent le soir ou sortent le matin, au petit jour ! Les Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Krim Belkacem, Didouche Mourad, Amar Ouamrane, Ali Mellah, Zighout Youcef, Mustapha Benboulaïd, Amirouche et Si El Houas, pour ne citer que ces grands parmi les grands, car tous les chouhada sont grands, sans oublier tous ceux qui ont continué le combat, tous sont mis dans le sac, par un tour de passe-passe délirant ! Les «collabos» d'hier se découvrent une nouvelle virginité pour se proclamer plus patriotes que les authentiques. Me voilà, encore une fois, contraint à parler de ceux qui ne sont plus de ce monde. En fait, ce sont les partisans de Messali qui le font retourner dans sa tombe, croyant défendre sa mémoire, alors qu'ils le font en vérité pour eux-mêmes, afin de calmer leur conscience trouble, se positionnant par là pour de nouvelles luttes partisanes, alors que l'histoire les a mis hors jeu. Dire que la décision de prendre les armes contre l'occupant pour le mois de décembre 1954 a été prise lors du congrès du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) tenu à Hornu (Belgique) relève de l'absurde et d'une volonté manifeste d'écrabouiller ceux qui ont déclenché le 1er novembre, sous-entendant par là qu'ils étaient à l'origine du clivage qui s'en suivît. Or, tout le monde sait que Krim Belkacem n'a rejoint le CRUA (Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action) qu'après le rapport qui lui a été présenté par les vingt-cinq (25) émissaires qu'il avait envoyés au Congrès d'Hornu, dont Ali Zamoum et Saâd Mohammedi qui m'en ont raconté les péripéties et la volonté de diversion des organisateurs d'assises. En outre, on ne peut mettre en doute la déclaration de Mustapha Benboulaïd à ce sujet, dénonçant l'attitude de «zaïm». Donc, contrairement à ce qui a été dit dans l'article, les «six» n'ont nullement besoin de court-circuiter la prétendue décision d'Hornu, eux qui ont toujours travaillé pour l'unité et l'action. Bien au contraire, c'est la création du MNA (Mouvement national algérien) qui s'inscrit dans la volonté des promoteurs pour étouffer le FLN/ALN naissant, à l'instar de ce qui a été fait lors de la tentative de mettre sur pied le PUA (Parti pour l'unité et l'action) par Imache Amar et ses adeptes. Dans l'une, comme dans l'autre, on sent le roussi et les effluves sorties de la cuisine des services secrets français, d'autant plus que Jacques Soustelle, alors gouverneur général, avait déclaré, quelque temps après, qu'il avait «un atout en main : la carte de Messali». Tout cela ne fait que confirmer ce qu'a écrit le général Jacquin, chef des services secrets français en Algérie, dans son ouvrage daté de 1977, précisant à ses lecteurs que «Messali était agent des services secrets français et fiché sous le nom de M. Léon !» Tiens, tiens ! L'anagramme, l'inversion des lettres du nom Léon, forme tout simplement le mot «Nœl» : le père imaginaire dans la religion chrétienne, à la seule différence que ce dernier ne vendait pas les poils de sa barbe, comme le premier, pour acheter et mettre des cadeaux dans les bottes d'enfants laissées toute la nuit dans la cheminée familiale. Donc le surnom de «Léon», en plus de l'anonymat qui protège le personnage – caractère secret oblige ! — n'était pas choisi d'une manière fortuite ou innocente. N'était-il pas, somme toute, le père Noël de l'occupant colonial, à chaque fois qu'il y avait durcissement de la ligne opérée de par la composante de l'instance exécutive du parti ? Plus que les cadeaux à mettre dans les chaussures d'enfants innocents, il suscitait crise sur crise (crises Imache Amar, Lamine Debaghine, «berbériste», démantèlement de l'OS (Organisation spéciale) centralistes et Messalistes... ou faisait de la diversion (participation aux élections de 1947, etc). Tout cela comme cadeaux au colonat. Mégalomane sans limite, il prônait le «zaïnisme» pour mystifier, à souhait, la majorité des militants et ses foules, aidé en cela par l'analphabétisme et l'obscurantisme savamment entretenus à dessein par le régime colonial. J'invite l'auteur de l'article à lire ou à relire les ouvrages écrits par des historiens dignes de ce nom, comme Mahfoud Keddache, pour s'imprégner du fait que son idole n'a jamais été parmi les vingt-deux (22) – oui «22» comme les «22» du CRUA ! — fondateurs de l'ENA (Etoile nord-africaine) comme il veut l'affirmer. Et le premier président de cette honorable formation n'était autre que Hadj-Ali Abdelkader de Relizane, et ce, par souci d'unité nationale, alors que les Izwawen («Kabyles» péjorativement) majoritaires (18 sur 22). Par ailleurs, il est inutile de rabâcher la scène de la poignée de terre, faite le 2 août 1936, pour instruire la foule que «cette terre n'est pas à vendre». Or, en 1936, la terre avait déjà été vendue, un siècle auparavant, tout comme ses habitants, avec des prébendes à l'encadrement indigène (caïds, aghas, bachaghas, gardes-champêtres, amins...). Donc, à cette date, il fallait crier à la foule, avec le même geste auguste : «Cette terre est à libérer !» ... Par ailleurs, à défaut d'archives et de documents, nous avons, à notre portée, un instrument de mesure des faits historiques, pour passer au crible les témoignages : la logique et la logique dans son état de froideur et non en dilatation. Si Messali a été à l'origine de Congrès de Zeddine (Aïn-Defla) en février 1947, pourquoi était-il le seul à s'absenter, pour la création de l'OS ? Derdour, lui, a eu le courage au moins, de voter contre. Atteinte, de ce fait, d'un mal pernicieux dans l'œuf, cette organisation éphémère ne tardera pas à être démantelée, puisqu'elle n'aura vécu que trois années. Il est futile de dire à l'auteur de l'article, du fait qu'il devait être grand responsable du MNA qu'il n'y a pas de hasard ni d'accident de parcours. Si les troupes de ce mouvement combattaient exclusivement le FLN/ALN, que ce soit en Algérie ou sur le territoire français, jamais leurs armes n'étaient pointées sur les services de sécurité de l'envahisseur ou l'armée coloniale. Dans le Djurdjura, ou dans les Bibans et les Babors, le FLN/ALN luttait sur deux fronts dont celui du MNA. La dernière bataille contre celui-ci remonte au 24 janvier 1956 (d'après le moudjahid Boudouaou) avec la victoire du FLN/ALN, renforcée par le ralliement de 18 «messalistes» qui ont eu par la suite un comportement honorable au sein des maquisards de l'ALN. Mais d'autres poches de résistance le faisaient signaler, par-ci et par-là, dans le Sud, à l'Est et à l'Ouest. L'armée française assurait la logistique aux troupes du «général» Bellounis, de Belhadj dit «Kobus» (propriétaire de la maison ayant abrité le congrès de Zeddine, en 1947, lors de la création de l'OS et de Bensaïdi, tous les trois adjoints de Messali. Des troupes d'élite du FLN/ALN ne cessaient de fondre comme neige au soleil. Les Ali Mellah, si Abderrahmane N'arous, Ahmed Chafaï dit «Rougi» et autres ont payé de leur vie la lutte contre le MNA, lutte poursuivie jusqu'en 1958 qui verra la mort et la liquidation physique de beaucoup de responsables de ce mouvement antinationaliste dont l'ennemi s'est inspiré pour donner le nom de «harkis» — le mouvement étant haraka — à tous les supplétifs et auxiliaires de son armée. L'action de ce MNA a été encore aussi néfaste sur le territoire français. Nous ne comprenons nullement ce silence des responsables de la Fédération de France du FLN, eux qui ne cessent de le stigmatiser en réunion restreintes. On oublie souvent que les mensonges répétés acquièrent d'autres formes pour devenir vérité. C'est sous cet angle qu'on peut interpréter la manœuvre maladroite de Louis Joxe, en mars 1961, à Oran, en déclarant que «la table de négociations réunira l'ensemble des belligérants y compris le MNA. La réaction des wilayas de l'intérieur et du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) ne se fit pas attendre. Des manifestations populaires, sur appel du président Ferhat Abbas, finiront par balayer les illusions du chef de la délégation française à Evian et par ricochet celles de de Gaulle, président de la République française. Je pourrais dire que si toutes forces vives étaient regroupées autour du FLN/ALN, la guerre n'aurait pas duré les sept ans et demi d'affres, de destruction et de morts. Mais le MNA, les harkis, les goumiers, les éléments d'auto-défense, les porteurs d'eau de l'armée, les collaborateurs connus ou anonymes, les élus dans les assemblées locales, régionales et nationales n'ont fait qu'attiser l'illusion d'une victoire par autant de moyens humains, matériels et financiers mis en branle face à une volonté farouche de se libérer du joug colonial, dont les moyens de combat sont dérisoires, surtout avec l'arrivée de de Gaulle au pouvoir utilisant «le bâton et la carotte». A y penser objectivement, notre victoire est due à quatre facteurs déterminants : la prise de conscience de notre statut d'êtres colonisés, l'unité nationale, la dimension politique de notre combat et l'esprit de sacrifice. Ces quatre facteurs, face à une armada des plus puissantes – la 4e à l'époque – étaient autant de piqûres de taon — aggun ou taggunt ou izi gezgaren en tamazight – face à un bœuf pour l'affoler et le faire fuir au hasard de ses pattes incontrôlées, malgré la richesse de la prairie à portée de ses mâchoires. C'est ce qu'on appelle «tikuk» en tamazight ou la fuite affolée d'un bœuf harcelé par le dard de taons !... Et ce qui était valable hier, dans l'affutage des quatre facteurs déterminants pour combattre la bête immonde, le demeure davantage aujourd'hui pour tordre le cou à tout ce qui peut fragiliser notre Algérie une et indivisible et promouvoir d'autres armes plus efficaces encore pour la cohésion sociale, telles l'algérianité, la laïcité, synonyme de tolérance et de liberté de conscience et citoyenneté qui réunissent et rassemblent pour la prospérité d'un pays qui a la chance d'être la clé de voûte du continent africain, berceau de l'humanité et le passage obligé du méridien de Greenwich, s'ouvrant ainsi, de zéro à l'infini, sur le reste du monde. Encore faut-il, pour cela, revoir de fond en comble le système éducatif pour avoir un enseignement de haute qualité, débarrassée de ses velléités à des buts inavoués à effet inverse, les zaouïas et écoles coraniques spécialement conçues pour l'éducation religieuse. Alors, et alors seulement, tous les enfants, de tous les horizons confessionnels, se sentiront profondément algériens, avec comme corollaire un grand amour pour leur patrie qu'eux seuls sauront défendre, becs et ongles dehors rendant à «César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu» !...