Par Ouali Aït-Ahmed Ancien officier de l'ALN Le grand Archimède, savant grec, s'il avait embrassé les sciences humaines, aurait bouclé la boucle à son principe immuable du «corps plongé dans l'eau» par un autre inverse au premier pour énoncer «tout fait historique, plongé dans l'océan de l'oubli, subit une poussée de haut en bas égale ou supérieure au poids de l'évènement déplacé». L'histoire d'un pays, écrite dans sa froide neutralité, avec ses hauts et ses bas, dont il faut toujours tirer des leçons, sert d'aiguillon aux générations montantes et permet d'éviter les erreurs du passé. Falsifiée, elle les condamne à revivre le même passé, en leur attachant les pieds à un pivot central, dans un mouvement rotatoire, avec des œillères les empêchant d'appréhender le proche et le lointain. Ces derniers temps, certains titres de journaux publient des témoignages véhiculant des contre-vérités, si ce n'est carrément des mensonges et des informations allant dans le sens de la division du peuple en «communautés» linguistiques, ethniques, religieuses, sexuelles ou autres, slogans chers à tous ceux qui ont horreur de l'algérianité, de la laïcité et de la citoyenneté et qui en font soit des tabous, soit des repoussoirs à effet répulsif en qualifiant les adeptes de «hizb frança», alors que ce sont eux qui s'y rattachent, par un cordon ombilical, datant d'un certain congrès musulman, tenu en 1936. Qu'est la tolérance si ce n'est la tolérance mutuelle et sa liberté de conscience ? On ne comprend nullement les sorties aussi bêtes que pernicieuses de certains qui avaient assumé de hautes responsabilités au sein de l'Etat, animés par un anti-kabylisme, honteux et de bas niveau. Il y a lieu d'avoir horreur des termes que nous adoptons, en tant qu'Algériens et qui nous sont attribués par les envahisseurs successifs : «Berbères, Kabyles, Arabes et Maghrébins» aux lieux d'Amazigh, Izwawen, Algériens, Nord-Africains. De tels comportements révèlent une volonté d'instaurer un colonialisme moral plus abject encore que celui dont nous avons triomphé le 19 mars 1962. Si ce dernier s'attaque au corps pour l'asservir, le premier anesthésie l'intellect et fait du support un zombie maniable et corvéable à merci. Dire que le Congrès de la Soummam n'était qu'une simple réunion ne fait que dévoiler la bassesse de l'auteur, en plus de l'ingratitude dont il fait preuve puisqu'il n'a bénéficié de sa promotion en grade qu'à la lumière des dispositions de la plateforme de la Soummam. Le colonel Ahmed Ben- chérif, que pouvait-il savoir de l'importance des assises d'Ifri du 20 Août 1956, lui qui était encore sous-lieutenant de l'armée coloniale, stationnée à Djouab. Il ne sait même pas que les congrès sont des réunions qui ne se confèrent un tel vocable que par les décisions et les dispositions arrêtées par les membres présents et non par le nombre des présents. Les circonstances de la tenue de congrès différent totalement, qu'elles aient lieu en temps de guerre ou en temps de paix. Pour ma part, je considère que les congrès qui se déroulent actuellement, dans notre pays, avec mille et plus de participants ne sont que des foires propres à violer les foules et asseoir l'idéologie du plus fort. Mais M. Benchérif n'a fait que suivre le sillage déjà engagé par ses maîtres penseurs, déjà avant l'arraisonnement de l'avion, le 22 octobre 1956, c'est-à-dire, un mois et demi après la clôture des travaux du congrès, ou plus récemment encore par d'autres dont les grades et les fonctions étaient dues aux dispositions de la plate-forme de la Soummam. Ingratitude, quand tu nous tiens !... Si les éléments de la Fédération de France du FLN et de la délégation extérieure n'y avaient pas participé, le motif est à rechercher ailleurs et non à diminuer de la légitimité du Congrès. Quant à l'arrivée d'une délégation de la zone I (Aurès-Némenchas), conduite par Omar Benboulaïd, elle avait l'avantage d'informer, au moins les congressistes de la tombée au champ d'honneur de Mustapha Benboulaïd, au mois de mars 1956. Ce qui a permis au CCE (Comité de coordination et d'éxecution) d'allouer à cette dernière la coquette somme de 70 000 000 de francs, prélevée sur les fonds recueillis de «l'opération Oiseau bleu» ou «Force K», promue par le gouverneur général Jacques Soustelle et poursuivie par Robert Lacoste, dans ses fanfaronnades du «dernier quart d'heure» et déjouée par Krim et Abane au profit de l'ALN. En outre, l'information relative à la zone I, devenue Wilaya I, lors du Congrès, a permis l'envoi en mission du commandant Si Amirouche Aït-Hamouda pour la réconciliation des deux clans nés d'une suite d'événements internes à cette parcelle intégrante et indivise de l'Algérie. En plus de ces voix qui falsifient l'histoire en invoquant le problème de la légitimité du Congrès, d'autres ronronnements, pour dire que le même Congrès devait se tenir à Souk-Ahras pour les unes et en zone II, devenue Wilaya II, pour d'autres. Le but recherché par les deux courants est tout à fait identique : pourquoi était-ce en «Kabylie» et non ailleurs ? Comme ci celle-ci n'était pas le cœur de l'Algérie !... Qu'ils le veuillent ou non, de par sa situation géographique et de par ses engagements lointains ou proches – début de la conquête française, création du mouvement national depuis l'Etoile nord-africaine, guerre de Libération — la «Kabylie» a toujours été à la pointe du combat. L'Algérie a vécu et vit toujours au rythme du cœur de cette région dont la mission historique n'est pas terminée. Si elle a été le fer de lance hier pour le combat de l'indépendance, elle le demeure encore pour le réveil des consciences et la restauration de l'identité propre, la tolérance et la citoyenneté refusant toute tutelle ni de l'Est, ni de l'Ouest, ni du Nord et encore moins du Proche ou Moyen-Orient. Si le Congrès a été fixé dans la zone III érigée en Wilaya III, lors de la tenue de ses assises, c'est que tout simplement tous les facteurs de réussite y sont réunis : carrefour central du pays, sécurité, conditions et capacités d'hébergement, rôle prépondérant durant les deux premières années. Prévu, au départ à Kalaâ n'Ath Abbas, symbole de la résistance contre les Turcs, les Espagnols et les Français lors de l'insurrection de 1871, c'est finalement Ifri et la région d'Ouzelaguen qui ont eu l'honneur et le privilège de l'abriter, après «l'affaire de la mule» transportant les documents, après suggestion, engagement intelligent et efficace de Si Amirouche qui était encore commandant. Une seule preuve suffit pour balayer les supputations des uns et les sornettes des autres : un des adjoints de Krim Belkacem, en l'occurrence Si Amar Ath-Chikh – et non Chikhi —qui devait assister aux assises au même titre que Mohamedi Saïd dit Si Nacer et Aït Hamouda Amirouche, est tombé au champ d'honneur entre Ibelkissen et Tanalt (Ath-Ituragh) le 11 août 1956, c'est-à-dire une semaine avant la tenue du Congrès. Avec ce délai et la marche qu'on ne faisait que la nuit pour éviter les postes ou les opérations militaires, on ne pouvait être au rendez-vous qu'à El-Kalaâ n'Ath-Hammad, et non vers une destination autre, ni au Nord-Constantinois et encore moins à Souk-Ahras, comme le prétendent d'aucuns, les délais de marche étant plus longs. Cet événement historique d'une importance capitale pour le combat libérateur et la Révolution, dont d'autres veulent en ternir l'éclat, s'est vu mis en parallèle avec le 20 août 1955, dont le théâtre fut le Nord Constantinois, comme si la perception des choses, le raisonnement et la stratégie étaient similaires, près de soixante ans après !... Je dirai, simplement, pour ne pas tomber dans des spéculations stériles, que les congressistes, dans leur unanimité, ont franchement introduit la mèche dans la plaie, pour stigmatiser l'action sans oublier la nuit rouge de la Soummam», pour ne plus refaire de telles erreurs stratégiques aussi maladroites que porteuses de retombées néfastes, sur la légitimité du combat. Les congressistes étaient plus à même d'évaluer les événements que nous tous, après ce long segment temporel qui nous sépare. Pour eux, la critique et l'autocritique sont salvatrices d'une dialectique saine et sereine. La récente sortie d'un certain Bougouba dans un quotidien Mon journal ne fait que suivre pour aller dans le même sens, en s'attaquant à la mémoire des hommes et de la Wilaya III historique. Au lieu de raconter «l'affaire Si Salah» dont il n'a ni les tenants ni les aboutissants, il aurait dû nous parler de ses démêlés avec l'ONM qui lui a retiré son attestation de moudjahed. Je lui apprendrai, seulement, que le colonel Si Salah, chef de la Wilaya IV historique, accompagné du commandant Si Halim, du capitaine Si Abdellatif et du lieutenant Si Saïd Moh-Ouidir, n'a vu le colonel Si Mohand Oulhadj, chef de la Wilaya III historique, qu'à son retour de Paris à la tête de la délégation dont faisait partie le commandant Si Mohammed Bounaâma. C'était à la suite du refus du comité de la Wilaya III qu'il y a eu revirement, de fond en comble, des positions des uns et des autres. Mais pour l'histoire , l'initiative prise par le colonel Si Salah et ses compagnons a permis de réveiller les consciences de ceux qui avaient abandonné les wilayas de l'intérieur à elles-mêmes, n'ayant plus reçu d'armes et de munitions depuis début 1958. J'en parle ainsi, en connaissance de cause, du fait que Si Salah et ses compagnons avaient passé la nuit au P.C. de la zone III, Wilaya III, installé, alors, dans la forêt d'Averrane faisant tampon entre les Ath-Djennad et les Iflissen. Donc, trêve de tirs au flanc, s'il vous plaît, d'autant plus qu'il s'agit de l'Histoire de notre patrie pour laquelle nous n'avons pas de pays de rechange. Mais ce climat de régionalisme primaire, dans lequel nous évoluons, n'est ni l'apanage d'une génération, ni d'un clan, ni d'une classe avide de gain facile et de corruption. Le danger, encore patent, devient réel lorsque des élites s'y fourvoient pour s'y engluer à jamais, elles qui doivent être, en principe, des repères pour les jeunes générations. Le rapport et le traitement des évènements de Berriane (Ghardaïa), il y a quelques années, et de Bordj-Badji-Mokhtar, récemment, illustrent le danger que court le pays, d'autant plus qu'une parle de «communautés» (Mozabites/Chambis, sunnites/ibadites, Touareg/«Arabes», «Berbères»/«Arabes», etc.) au lieu de parler d'Algériens tout court, dont les problèmes doivent être traités dans le cadre de la citoyenneté. Cela est d'autant plus fragilisé et miné de toute part, que la lumière ne peut venir que de notre système éducatif, dans la mesure où il y a une refonte totale du programme dans l'immédiat, flétrissant l'idéologie au profit du seul savoir et du réveil des consciences. La réduction du poids du cartable ou du volume horaire ne servira à rien, si la suppression de beaucoup de matières secondaires n'est pas opérée, tout en les introduisant une à une dans les programmes des niveaux supérieurs, à l'effet de modeler des têtes bien faites au lieu de têtes bien pleines. Au secondaire et au supérieur, l'orientation se fera selon les capacités et les résultats obtenus de chacun dans une proportion de 33% pour chacune des trois catégories des sciences. Qu'elles soient exactes, appliquées où humaines et sociales, elles doivent être performantes pour hisser le pays à un niveau honorable. Qu'ils fassent telle ou telle matière des trois catégories de sciences, l'important est de les amener à produire des idées et non à véhiculer celles des autres. Encore faut-il que les rémunérations soient égales à diplômes égaux, des indemnités pouvant être ajoutées à chaque fonction donnée, pourvu qu'un invente, produise des idées ou de la matière, chacun dans son domaine propre. S'il y a un rush certain vers les sciences humaines et sociales, c'est qu'il y a un traitement de faveur, dans les années 1980, pour les diplômés de cette catégorie. Aussi est-il urgent d'engager des réformes profondes pour un enseignement de qualité à tous les niveaux, du primaire au supérieur, en donnant un fort coefficient à l'histoire, du moins dans les trois premiers paliers (primaire, moyen et secondaire) une histoire dont nos enfants doivent être fiers, puisqu'elle s'enracine dans les profondeurs de l'antiquité de Thamazgha dont l'Algérie n'est qu'un appendice. Cela constituera un antidote du syndrome de l'Algérie qui s'invente des origines autres que la sienne propre, similaire à celui de Korsakov ou du mulet qui renie sa paternité qui le relie à l'âne, préférant se rattacher au cheval, son «oncle» issu de la même matrice que sa mère, la jument. Alors et alors seulement, nous nous en guérirons à jamais pour produire des idées et échapper, ainsi, à la sphère attractive de cet animal, connu pour incapacité de se reproduire physiologiquement.