Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Après une longue bataille juridique, qui aura duré plus de 6 années, la justice anglaise vient donc de statuer sur le cas de Moumène Khalifa. Ainsi, à la suite de l'épuisement de tous les recours procéduraux, elle vient de décider qu'il sera extradé dans un délai de 28 jours à partir de la notification (3 décembre) du rejet de son pourvoi en cassation par la Cour suprême britannique. Même si tout ce souci d'exactitude relève du traditionnel formalisme de la justice, l'on ne peut s'empêcher de le prendre au pied de la lettre et par conséquent de s'attendre à ce que l'ex-golden boy passe son réveillon de fin d'année dans une prison algérienne. En clair, le compte est bon s'agissant du calendrier. Le 31 décembre, son transfert s'effectuera alors sous bonne escorte à moins que, d'ici là, quelques grains de sable en viennent à gripper la règle établie par Londres. C'est que l'affaire de ce magnat, courtisé en son temps par une bonne partie de la nomenklatura, constituait une véritable patate chaude dont on avait toujours voulu s'en débarrasser par crainte de révélations compromettantes. D'ailleurs, l'absence de célérité de la part de la justice algérienne illustre parfaitement une volonté politique ancienne d'évacuer ce scandale de la corruption généralisée grâce à laquelle l'accusé principal avait créé sa pompe à finance. En effet, il y a plus de 10 années (2003) que ce dossier traîne dans le labyrinthe de la procédure avec, entre-temps, un simulacre de procès «retentissant» où seuls les seconds couteaux furent jugés en 2007. Seulement, ce fameux procès de Blida, dont le but consistait surtout à amortir la détestable impression d'impunité qui irritait alors l'opinion, fut un révélateur inattendu d'un autre aspect de la gabegie à laquelle certaines personnalités de premier plan avaient contribué. Loin de rassurer, les audiences du tribunal conforteront, les lecteurs de la presse, dans leur certitude que notre justice fonctionnait toujours à deux vitesses. Dans ce registre, les témoignages de Medelci, alors ministre des Finances, et de Sidi Saïd, l'inamovible secrétaire général de l'UGTA, furent significatifs sur le sujet. Le premier avouant, pour se disculper, qu'il avait «manqué d'intelligence lorsque le gouverneur de la Banque centrale l'avait alerté sur les atteintes aux règles prudentielles dans la pratique de la banque Khalifa. Et le second reconnaissant, non seulement avoir rédigé un faux procès-verbal d'un conseil d'administration de la Caisse nationale des retraites mais, également, avoir cédé de gré à gré un patrimoine immobilier de l'UGTA au holding de ce même Khalifa ! Autant d'entorses à l'orthodoxie de leurs missions pour lesquelles ils ne furent jamais inquiétés politiquement et de surcroît au sujet desquelles le tribunal s'est dispensé du devoir de vérité de leur demander d'où leur venaient les ordres pour avoir agi de la sorte. Surréaliste à tous points de vue, ce procès-là n'avait-il pas fini par innocenter, dans l'esprit des Algériens, les accusés confinés dans les box ; et désigner au mépris ces faux témoins ? Grâce aux séquences montrant ces quelques caciques du pouvoir s'exprimer honteusement à la barre, dans la seule intention d'assumer seuls les dérapages pour épargner la vertu du régime, il a été évident que l'affaire Khalifa était bien plus qu'une magistrale opération d'escroquerie. Par ses ramifications dans la plupart des institutions de l'Etat, elle méritait judiciairement des qualifications du délit autrement plus graves. Même si l'on doit se contenter des chiffres approximatifs, relatifs au montant du préjudice occasionné à l'économie nationale, il tombe sous le sens que ce qu'avait entrepris ce personnage n'avait pu être possible qu'à travers le croisement de plusieurs centres de décision ou du moins influents. Lesquels, à leur tour, tiraient des traites à leur profit. Khalifa n'était-il que la tête chercheuse dans un système quasi maffieux dont les objectifs sont dissemblables mais dont les besoins sont les mêmes en terme de nerf de la guerre ? On peut le penser. D'ailleurs, le parallèle avec l'affaire Chakib Khelil est plausible dans la mesure où ce dernier doit à son tour apporter la preuve que les rétro-commissions dont il a été le chasseur ne lui ont pas bénéficié à lui seul et qu'elles ont servi également à arroser de multiples opérateurs du monde politique aussi bien que celui des affaires, ici en Algérie. Ceci étant dit, l'on imagine, d'ores et déjà, que la présence de Moumène Khalifa dans les geôles du pays n'est pas une bonne nouvelle pour tout le monde. D'une manière ou d'une autre, il récusera puis s'expliquera sur les facilitations et les encouragements dont il avait bénéficié. Puis de quelle façon il avait renvoyé l'ascenseur, à son tour, après chaque opération conclue. C'est dire que la perspective est éminemment périlleuse pour ceux qui gravitent encore autour du régime et même ceux parmi les «has been» qui furent, à un moment ou à un autre, dans ses bonnes grâces. Et si, par un improbable retour de manivelle, Khalifa et Khelil, ce duo de prédateurs, se décidaient, un jour, à dévoiler les dessous des cartes qu'ils détiennent ? Alors beaucoup de choses changeront dans ce pays. Notamment la République, en premier !