Dans son édition du jeudi 19 décembre 2013, le quotidien El-Watan a rapporté les propos critiques d'enseignants opposés aux retouches apportées aux bulletins scolaires des lycéens de 1re et 2e années. Toutefois, ces critiques n'ont pas porté sur cette nouveauté que sont les notes-bonus mais sur leur éventuelle utilisation par leurs collègues. C'est ce qu'a affirmé dans les colonnes du quotidien l'animateur d'un syndicat enseignant : «Cette note risque d'être déviée de son objectif principal (...) Elle n'a pour objectif que le gonflement de la moyenne de l'élève et l'épuisement des enseignants par une surcharge de travail administratif qui ne répond à aucune logique pédagogique.» D'emblée surgit une contradiction de taille. L'auteur parle d'un «objectif principal» assigné à cette note/bonus. Ainsi, il lui reconnaît de facto une valeur pédagogique. Et de se contredire juste après en ne lui reconnaissant «aucune logique pédagogique», au prétexte qu'elle constitue «une surcharge de travail administratif» pour l'enseignant. Il passera sous silence l'impact de cette note-bonus sur les élèves. A l'évidence, ces arguments avancés sont doublement irrecevables. Sur le plan de l'éthique professionnelle, nul n'a le droit de s'engouffrer dans la funeste logique du «présumé coupable». Les propos accusateurs sont clairs : «Cette note-bonus n'a pour objectif que le gonflement des notes.» Qui est habilité à donner des notes ? L'enseignant bien sûr. Ses milliers de collègues apprécieront ce procès d'intention qui les cloue au pilori de l'opinion publique. Sur le plan purement pédagogique, la surcharge administrative dont il s'agit se matérialise par le geste mécanique du report d'une note et du calcul d'une moyenne. Peut-on parler de surcharge dans ce cas ? A moins que les détracteurs de cette innovation – c'en est une — ne jugent que les activités d'apprentissage concernées par les notes-bonus qui sont improductives pour nos élèves. Fallait-il encore le démontrer ? L'auteur des critiques s'est bien retenu de faire cette démonstration, sachant qu'elle se retournerait contre lui. En effet, comment disqualifier un «geste administratif» alors qu'il ne s'agit que de porter une note-bonus dont «l'objectif principal» est reconnu par les détracteurs eux-mêmes ? Au-delà de ces contradictions véhiculées par un raisonnement que l'on attendait plus pertinent, émanant d'un pédagogue du terrain, il y a lieu de se pencher sur l'objet de ces critiques. Une innovation à fructifier En quoi consiste cette note/bonus et quelles sont les modalités de son administration ? Elle porte sur des apprentissages connus pour leur déficit au sein de l'école algérienne. Sont concernées par cette forme d'évaluation les activités suivantes : - La lecture/plaisir de livres de littérature pour améliorer – entre autres — l'expression orale et écrite ; - la technologie et les sciences expérimentales (sciences naturelles, la physique et la chimie) qui, depuis l'avènement de la réforme, ont vu disparaître les incontournables manipulations effectuées en TP (travaux pratiques) de laboratoire, remplacées par des TP virtuels sur ordinateur ; - l'élaboration, en groupe ou à titre individuel, de projets pédagogiques interdisciplinaires. Seules les notes supérieures à 10/20 sont retenues dans l'évaluation de ces activités. Si les enseignants y adhérent, les élèves, eux, le feront de bon cœur ; cette nouveauté boostera le «rendement» scolaire. La note-bonus s'inscrit dans ce principe, intangible en pédagogie scolaire, «quel que soit son statut en classe — celui dicté par la norme scolaire que symbolise la note/sanction (faible, moyen ou fort) — l'élève est toujours disposé à fournir des efforts lorsque les activités proposées répondent à ses centres d'intérêt, sont attractives et qu'il leur trouve un sens positif». Telles que citées dans les nouveaux bulletins scolaires de 1re et 2 A.S., les quelques activités soumises à la note-bonus sont en parfaite harmonie avec ce principe. Cela nul ne peut le contester. Voyons de plus près. Comme son nom l'indique, la lecture-plaisir n'a pas de caractère obligatoire, sinon elle perdrait tous ses bienfaits. Elle se décline en un livre librement choisi par l'élève, en arabe, en tamazight et en langues étrangères. Le titre et/ou l'auteur de l'ouvrage l'ont incité à ce choix, voire un conseil apporté par son entourage, son enseignant de langue notamment. Il le lira avec plaisir et sera heureux de le présenter à ses camarades en classe. Ainsi, ponctuée par un résumé écrit, cette activité aura doublement servi : l'élève améliore son capital linguistique et, dans la foulée, engrange un bonus pour sa moyenne. Il y aura toujours des voix qui s'élèveront pour dire que seule une certaine catégorie d'élèves pourra tirer profit de ce bonus, celle habituée à la lecture en tant qu'acte culturel familier. Cette idée reçue est fortement ancrée dans les esprits. Il nous faut la combattre en donnant à tous nos enfants, sans exclusive socioculturelle, les moyens d'accéder aux plaisirs et aux bienfaits de la lecture qui reste (et restera) l'unique moyen pour maîtriser une langue. C'est l'une des missions de l'école que de réduire les inégalités devant l'accès à la culture et aux langues. Quel est l'enseignant qui refusera un tel challenge même au prix de son confort personnel (la fameuse «surcharge de travail administratif») ? Nous ne devons pas douter du dévouement désintéressé de l'écrasante majorité des enseignants algériens. Quant aux travaux pratiques dans les sciences expérimentales, l'engouement des élèves est garanti. Il y a une magie qui s'opère dès qu'ils rentrent en laboratoire. L'enfant ou l'adolescent aime manipuler, toucher, observer, tâtonner, chercher pour découvrir ; bref, expérimenter «in vivo» des phénomènes scientifiques appris en salle de classe. Que vaut une leçon, fut-elle brillamment dispensée, si elle se confine à la seule parole de l'enseignant entre les quatre murs de la classe ? La notion, le concept, la loi ou le théorème n'ont de valeur pédagogique aux yeux de l'élève que si la manipulation en TP vient compléter la leçon du maître. En l'absence de travaux pratiques véritables (non simulés), la leçon se confinera dans l'abstrait improductif. Or, avec l'avènement de la réforme, c'est à une pâle copie des vrais TP que sont conviés les élèves via la simulation (des TP) par ordinateur. Cette simulation ne saurait remplacer la manipulation expérimentale. Le «clic» ne peut que compléter et non se substituer aux cinq sens que doit exercer l'élève face à une expérience. C'est là une évidence. En effectuant des expériences de laboratoire en situation réelle, l'élève se motive. Il trouve du plaisir à chercher et à découvrir pour mieux apprendre. Comme en lecture/plaisir, là aussi, la note-bonus servira de levier supplémentaire en vue d'améliorer les apprentissages de ceux qui en ont le plus besoin. Sur le plan psychologique, la note-bonus viendra atténuer, un tant soit peu, la nocivité du traditionnel système d'évaluation-sanction (compositions — devoirs surveillés — examens) mis en place au Moyen-Age par les jésuites de France. L'évaluation-sanction crée un climat anxiogène qui se traduit par des situations conflictuelles qui mènent souvent à la violence et au suicide. Elle aidera l'élève à briser le cercle vicieux «difficultés — pression – stress – frustration». Ainsi, un élève qui rate son devoir surveillé ou sa composition pourra rattraper son retard grâce à ces activités concernées par la note-bonus. De la sorte, celle-ci jouera un rôle d'appoint non négligeable au service des élèves en difficulté. Ces derniers s'en serviront pour se motiver et fournir les efforts nécessaires. De tout temps, les «damnés» de la note-sanction sont les victimes d'un système scolaire basé sur l'élitisme, générateur d'inégalités sur fond d'apartheid social et scolaire. La France est la mère-patrie de cet élitisme scolaire imposé par le pouvoir bourgeois depuis des siècles. Ce pays vient d'être rappelé à l'ordre en décrochant la lanterne rouge des évaluations internationales (PISA). Quelles auraient été les performances PISA des pays affiliés depuis leur indépendance au système d'évaluation scolaire français ? Comme toute innovation pédagogique, la note-bonus a besoin d'une phase d'expérimentation (avant son éventuelle) généralisation, d'où son introduction limitée aux classes de 1re et 2e années secondaires. Pour les craintes d'un «épuisement» qu'engendreraient ces activités d'appoint, il est un procédé recommandé par la sagesse pédagogique : solliciter en priorité les élèves en difficulté pour le gain de ces notes-bonus. De la sorte, l'enseignant pourra réaliser un de ses objectifs majeurs, symbole de sa réussite et motif de satisfaction : amener cette catégorie d'élèves à reprendre confiance, préalable à toute réussite. Cela ne signifie pas que les bons élèves soient exclus de ses préoccupations. En résumé, la note-bonus s'inscrit dans la lettre et l'esprit de l'évaluation formative (et formatrice) souvent prônée dans les discours officiels mais jamais concrétisée sur le terrain, en classe. La résistance à cette innovation dénote d'un attachement quasi atavique aux vieux schémas pédagogiques qui sacralisent la note-sanction, une copie aussi pénalisante que le bâton et le bonnet d'âne de triste mémoire. C'est pour avoir compris toute la nocivité de l'évaluation/sanction que la Finlande a opté pour la désacralisation de la note. Les petits Finlandais ne la découvrent sur leurs copies que vers l'âge de 12, voire 14 ans en Suède. C'est l'une des raisons qui maintient le modèle pédagogique finlandais au firmament de l'excellence scolaire. C'est dire ! A. T. [email protected] Les dernières nouvelles données par la presse confirment toute la nocivité de l'évaluation-sanction qui a poussé au suicide deux collégiennes à Blida et à la fugue de deux élèves à Constantine heureusement retrouvés à Annaba. Nous n'oublierons pas les suicides (ou les nombreuses tentatives) déjà médiatisés à leur époque et la mort par arrêt cardiaque de cette candidate au BEM à Akbou, et ce, dès la lecture de l'épreuve de mathématiques. Que Dieu ait leur âme d'innocents ! Pour ces quelques cas rapportés, combien de fugues, de suicides ou tentatives, d'actes de violence engendrés par l'évaluation-sanction et qui sont passés inaperçus ? A ce rythme, l'Algérie s'en ira battre le record détenu par la Corée du Sud dont le système scolaire basé sur la compétition affiche une moyenne annuelle de 800 suicides d'élèves tous cycles confondus. Il est temps d'arrêter le massacre de l'évaluation-sanction. Elle ne profite qu'aux seuls «commerçants» des cours payants. Et l'introduction de la note-bonus dans les bulletins des élèves de 1re et 2e AS ne doit être qu'un premier pas. Il n'est pas suffisant pour éradiquer le poison, mortel parfois, de la note/sanction.