La situation économique et financière du pays suscite régulièrement des différences, des nuances et même des divergences d'appréciation entre le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque d'Algérie. Certes, Karim Djoudi et Mohamed Laksaci s'expriment, le premier en tant que membre de l'exécutif en charge de la gestion des finances publiques, et le second en tant que gouverneur d'une autorité monétaire et bancaire ayant vocation à préserver l'orthodoxie financière, chacun selon les prérogatives qui lui sont siennes et indépendamment. Toutefois, leurs discours manquent régulièrement d'harmonie, Karim Djoudi s'étant, à maintes fois, inquiété quant aux risques avérés de vulnérabilité de l'économie nationale tandis que les propos de Mohamed Laksaci, naguère alarmistes sont devenus plus confiants. Malgré quelques convergences concernant la tendance à la désinflation et à un moindre degré la revalorisation de la monnaie nationale, les constats de Karim Djoudi et Mohamed Laksaci sont souvent différents, contradictoires. Des divergences qui ne manquent pas de susciter la perplexité, dans le contexte politique et économique actuel. Karim Djoudi : 1. Position financière extérieure Le ministre des Finances a exprimé régulièrement des inquiétudes sur la balance des paiements. En novembre dernier à l'APN, Karim Djoudi avait estimé que la baisse des recettes pétrolières, de l'ordre de 12% durant le premier semestre 2013, est «inquiétante» et incite à la diversification des sources de revenus. «Il y a une inquiétude que personne ne peut nier (...) d'où la nécessité de continuer à créer des richesses (hors hydrocarbures) et de l'emploi et veiller à ce que nos équilibres ne soient pas perturbés à moyen terme». Notons que si les exportations se sont contractées de 10% en volume et de 2% en valeur, dans un contexte de récession en Europe et de faible croissance aux Etats-Unis, les importations ont cependant enregistré une hausse de 14% durant le premier semestre. Selon le ministre des Finances, l'excédent commercial a chuté de 50% durant le premier semestre alors que l'excédent de la balance des paiements «sera en 2013 inférieur à celui enregistré en 2012». Voire, le ministre des Finances a relevé récemment un déficit à court terme, concernant la balance commerciale, et un excédent «infime, à peine perceptible qui ne permettra pas d'augmenter les réserves de change». 2. Budget La gestion bugétaire requiert de la prudence, estimait voilà quelques semaines le ministre des Finances qui affichait un certain pessimisme, dans le contexte de crise économique mondiale, induisant une baisse de la demande pétrolière et impactant sur les recettes de l'Algérie. Un pessimisme que le premier argentier du pays a toutefois atténué, par la suite, reconnaissant certes un déficit important en prévision de clôture mais estimant néanmoins que le prix d'équilibre budgétaire se situerait à 71 dollars le baril. Ainsi, il affichera une certaine sérénité concernant le rythme croissant des dépenses notamment celles de fonctionnement, le contexte sociopolitique actuel l'imposant de facto. 3. Inflation Karim Djoudi a indiqué récemment que l'inflation a enregistré un recul à 3% en 2013, se stabilisant à 3,5%. Une tendance à la baisse qui se poursuit alors que le budget 2013 prévoyait un taux de 4%. 4. Valeur du dinar Le premier argentier du pays avait, voilà quelques semaines, noté une dépréciation de l'ordre de 9% du dinar par rapport à la monnaie européenne, durant l'été 2013. Une chute due au différentiel d'inflation avec les partenaires de l'Algérie, a-t-il indiqué tout en estimant que le Dinar allait s'apprécier depuis. Ce faisant, il n'avait pas manqué de rappeler que la gestion du taux de change incombe à la Banque d'Algérie qui «œuvre à anticiper...» Mohamed Laksaci : 1. Position financière extérieure La balance des paiements a été déficitaire en 2013, au moins durant les neuf premiers mois. C'est ce que le gouverneur de la Banque d'Algérie avait indiqué devant les députés, évoquant un déficit de 1,7 milliard de dinars à fin septembre. Selon Mohamed Laksaci, le compte courant de la balance des paiements a accusé un déficit de 1,2 milliard de dollars durant le premier semestre 2013 contre un excédent de 10 milliards de dollars durant la même période de 2012. Ce qui représente un «choc» pour la balance des paiements, notait-il, lançant de facto une mise en garde, un appel à la prudence et à une meilleure maîtrise des transactions commerciales. Or, l'appréciation du gouverneur a changé, l'optimisme prenant le pas sur l'avertissement même mesuré. «La position financière extérieure nette demeure toujours solide», arguera Mohamed Laksaci, évoquant une capacité de résilience appuyée face aux chocs externes et confiant sur la soutenabilité financière et économique à terme. Cela même si le gouverneur ne manque pas de noter une détérioration de l'excédent commercial à 2,52 milliards de dollars, à fin septembre dernier, un chiffre assez nuancé par rapport aux estimations du ministre des Finances. 2. Budget Le gouverneur de la Banque d'Algérie avait évoqué, il y a quelques mois, la vulnérabilité accrue des finances publiques, l'impact contraignant des dépenses publiques dont le poids avoisine les 50% de la richesse nationale, et le fait que les recettes budgétaires subissent l'effet de toute baisse de rentrées fiscales. Ce faisant, Mohamed Laksaci dont l'institution misait il y a quelques mois sur un prix d'équilibre supérieur à 100 dollars en 2013, s'est contenté uniquement de noter une moyenne de prix de 109,19 dollars le baril durant les neuf premiers mois de l'année. 3. Inflation L'inflation s'est stabilisée à 5,32% à la fin septembre 2013 contre 6,59% en juin de la même année. La tendance est à la désinflation, estime Mohamed Laksaci qui notait auparavant que la décélération s'était enclenchée dès février dernier. 4. Valeur du dinar Le taux de change effectif réel du dinar reste apprécié d'environ 5% à septembre 2013 par rapport à son niveau d'équilibre, indique le gouverneur de la Banque d'Algérie. Il note cependant que sous l'effet notamment de l'amenuisement du différentiel d'inflation entre l'Algérie et ses 15 principaux partenaires commerciaux, soit à 3,35% en septembre 2013, le taux de change effectif réel du dinar s'est déprécié de seulement 1,72% en moyenne au cours des trois premiers trimestres de 2013.