Du haut de ses vingt-sept printemps à peine entamés, Saïd Sitti est un jeune homme au teint pâle et à l'air mutin, au verbe facile et une gestuelle qui traduit une profonde sensibilité. Autodidacte depuis qu'il s'est vu contraint de quitter l'école à l'âge de treize ans, il a pour passion les langues arabe et kabyle, qu'il manie avec art et subtilité pour forger des colonnes entières dédiées à la vie, à la beauté et à la patrie qu'il chérit plus que tout. «Depuis ma tendre enfance, j'ai été attiré par la langue arabe classique, je lisais tous les textes que je trouvais, notamment dans mes livres scolaires, et je m'amusais à créer les suites auxquelles, malheureusement, je n'avais pas accès. Ainsi, Omar, le héros de Mohammed Dib, a été l'un de mes personnages préférés, je vivais avec lui ses aventures que l'on abordait en classe, et quand le chapitre fût clos dans le programme scolaire, pour moi, il restait encore un compagnon avec lequel j'arpentais les remparts et les ruelles d'une ville imaginaire où Omar et moi évoluions main dans la main en quête d'aventures et de découvertes. Un peu plus tard, je découvris, non sans plaisir et enchantement, l'art de la poésie dans toute sa splendeur. Mes premiers vers furent ceux de Moufdi Zakaria. Il savait avec génie partager son amour pour notre patrie l'Algérie, il peignait les paysages des Aurès et louait la bravoure et la force de nos martyrs. Moufdi Zakaria fut pour moi le mentor, le guide qui m'a fait découvrir et aimer la poésie et l'Algérie. Ainsi, et à l'exemple de ce que je lisais dans mes livres scolaires, je me mis, à l'âge de treize ans, à écrire mes propres poésies. Au début, mon sujet de prédilection était la nature dans tout ce qu'elle présentait comme beauté. Je participais à mon premier concours dans le cadre d'un festival national de la poésie et de la prose scolaires avec un texte ayant pour titre La nature pleure et pour lequel je reçus les félicitations du jury. La destinée n'étant pas toujours écrite comme l'être l'espère, et alors que j'étais dans ma deuxième année de collège, ma famille tomba dans le besoin, mon père travaillait occasionnellement, et nous envoyer à l'école mes frères, mes sœurs et moi-même était devenu pour lui une charge qu'il ne pouvait plus assumer. Je fus alors contraint de quitter les chers bancs de l'école et de me trouver un boulot. J'ai, de ce fait, trouvé un emploi comme ouvrier dans un chantier de construction, apprenti chez un forgeron et même vendeur pour un commerçant de fruits et légumes au marché. Je gagnais de petites sommes que je donnais à mes parents en échange d'un peu de temps que je consacrais à ma nouvelle passion ; la langue de Mustapha Lotfi Al Manfalouti, d'Al Khansa ou encore de Nizzar Al Kabbani. Certains après-midis du jeudi ou du vendredi, j'avais la permission de prendre deux heures pour moi-même, et c'est à cette époque que je commençais à fréquenter le centre culturel Mouloud-Mammeri. Je m'étais inscrit au cercle de littérature qui était tenu par un grand monsieur, Cheikh Youssef Aguini. C'est grâce à lui que je réussis à garder le cap et à m'améliorer. On lisait des romans, on effectuait des fiches de lecture de poèmes et de critiques. Je pouvais aussi avoir accès à beaucoup d'ouvrages qui m'étaient jusqu'à lors inconnus ou hors d'atteinte. C'est grâce à ce centre et à ceux qui y travaillaient que je pus rester à la hauteur de mes inspirations littéraires, et plus que tout, poétiques. Je continuais ainsi, durant encore cinq années, à allier petits boulots fatigants et peu gratifiants et mon cercle de littérature dans lequel j'avais désormais une place de choix puisque mes inspirations étaient maintenant intarissables et mes sujets commençaient à se diversifier grâce à un vocabulaire plus large et plus soutenu, je pouvais prétendre à un autre avenir que celui qui s'était imposé à moi. A vingt ans, j'étais majeur et décidé à en découdre avec cette vie qui s'entêtait à me priver de me consacrer pleinement à ma passion. J'ignorais encore que la même destinée qui m'avait privé d'école allait me permettre non seulement de faire ce que je voulais mais j'allais pouvoir me dédier entièrement à ma plume et à mon inspiration. Ma ville s'était dotée d'une maison de culture, et le hasard me permit d'entrer en contact avec certains responsables qui me donnèrent la chance de participer, pour la seconde fois, à un concours national. C'était en 2007, lors d'une semaine culturelle, et alors qu'Alger abritait la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe», j'ai été choisi pour représenter la wilaya de Bouira. Ma participation ne fut pas exceptionnelle ; j'avais présenté un poème baptisé Une pluie hors du temps et un autre abordant la cause palestinienne. Je n'avais reçu à cette occasion qu'un présent d'encouragement. Cependant, j'étais comblé de bonheur et de joie, puisque dorénavant, j'allais représenter ma wilaya dans d'autres événements qui allaient me permettre de tracer les lignes de ma future existence vouée aux belles lettres. Ma persévérance et mon talent étaient maintenant évidents, j'étais sollicité dans les déplacements représentant ma wilaya dans le cadre des semaines culturelles, des festivals et d'autres manifestations culturelles. Je participais avec des poèmes qui n'étaient plus uniquement en langue arabe, mais aussi dans ma langue maternelle, le berbère. Mon éloquence et ma langue soutenue me valurent également de décrocher une place en tant qu'animateur d'événements culturels ; je présentais les artistes invités dans ma wilaya et animais les galas et les concours. J'avais aussi réussi à me faire une place au sein de l'équipe de la maison de la culture en signant un contrat de pré-emploi, comme animateur et coordinateur du club de poésie de la ville. De simple élève, je me suis retrouvé à former et à conseiller des jeunes talents avec lesquels je partageais toute mon expérience et mon amour pour la poésie et la littérature, et cela fut pour moi le début de la consécration de mes rêves d'enfant. Une autre consécration et un honneur sans bornes : le jour où je reçus les honneurs du wali de Bouira. C'était en juillet 2013, lorsque, participant au Salon national des roses à Blida, mon poème décrocha la première place, j'ai eu la preuve que mes efforts n'avaient pas été vains et que mon talent était certain. La Télévision algérienne m'avait aussi reçu aux côtés d'un autre artiste de la région, et je ne vous cache pas mon plaisir et ma joie d'avoir réussi à sortir de l'ombre et des rouages d'une existence vouée à la difficulté et aux sacrifices. Aujourd'hui, et malgré toutes mes victoires, je reste un peu en marge de mes réelles ambitions ; je prépare un recueil de poésie dans les deux langues arabe et amazighe et mon petit contrat avec la maison de la culture ainsi que mes représentations et mes animations occasionnelles ne suffisent plus à me faire vivre et à poursuivre mes rêves. J'espère trouver un soutien pour pouvoir aller au bout de mes attentes et de mon talent, je ne veux plus seulement être un chanteur amateur, j'aspire à me consacrer entièrement à cet art qui coule désormais au plus profond de mon âme. Je garde espoir en la vie, en l'existence, en la destinée pour me mener là où mes vers et mes mots ne s'éteindront plus et où mon cœur ne palpitera qu'à travers les lettres de mes écrits.»