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ZOHRA DRIF : LE 8 MARS, SON COMBAT ET L'ECRITURE DE L'HISTOIRE
«Je n'ai jamais cru aux droits offerts sur un plateau d'argent»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 03 - 2014

Au mois de janvier dernier, Zohra Drif livrait dans un ouvrage de 607 pages ses Mémoires d'une combattante de l'ALN, Zone autonome d'Alger chez Chiheb Editions. Un livre qui retrace son parcours de combattante, son engagement dans la lutte et qui a fait d'elle, mais aussi de Hassiba Ben Bouali, de Djamila Bouhired, de Yacef Saâdi, de Ali la Pointe, de Samia Lakhdari, de Fatiha Attali... et de tant d'autres encore les icônes de la Bataille d'Alger. A sa lecture, ceux qui savaient l'auteure une moudjahida incontestable mais qui ne connaissaient que très superficiellement son parcours et celui de ses compagnons sont édifiés par les détails qu'elle donne quasi journellement des moments cruciaux et très douloureux que ce groupe de combattants a eu à vivre pour libérer l'Algérie et plus généralement de ce que les habitants de La Casbah ont enduré au plus fort de la guerre. Depuis sa sortie, le livre ne cesse d'être salué : «Un ouvrage mémoriel qui mérite sa place dans l'écriture de l'histoire de l'Algérie contemporaine», selon Hocine Tamou dans le Soir d'Algérie du 6 février 2014 ; ou encore l'écrivaine Fadhila M'Rabet qui parle d' une auteure «qui garde tout au long de son livre une grande générosité et une rigueur intellectuelle» (in El Watan du 4 février 2014) ou, comme le dit très justement le moudjahid Djillali Guerroudj dans El Watan du 16 février 2014 : «Zohra Drif offre généreusement à notre jeunesse une pléiade de figures de femmes et d'hommes auxquels les jeunes d'aujourd'hui pourront s'identifier pour construire leur propre avenir.» L'insolite et l'inattendu sont venus de ceux dont on se serait le moins attendu, en l'occurrence de Yacef Saâdi, responsable de la Zone autonome d'Alger : Zohra Drif a eu droit à une attaque en règle traitant la moudjahida de «traître». Grave accusation qui fait depuis réagir des citoyens, d'anciens moudjahidine et moudjahidate, des hommes de culture et des historiens excédés par cette sortie de Yacef Saâdi. Une pétition circule et des rencontres ont été organisées, en solidarité avec la moudjahida, même si l'accusateur, Yacef Saâdi, s'est fendu d'un mea culpa quelque peu équivoque, d'ailleurs.
Pourquoi, en ce jour du 8 Mars symbolisant la lutte des femmes à travers le monde, avons-nous choisi de parler de Zohra Drif, de son livre et de son combat ? La réponse se trouve d'abord dans le contenu du livre et dans ce que nous y avons particulièrement apprécié : à aucun moment, Zohra Drif n'a mis au-devant de la scène sa personne, son héroïsme, elle a essentiellement parlé des autres, de ceux et celles qui l'accompagnaient dans son combat. Elle y explique comment elle s'est engagée résolument dans ce combat libérateur. Avec beaucoup de sincérité, elle y a parlé de sa peur et de celle de ses camarades, car les héros ont peur aussi, comme tout un chacun, peur dans les moments terribles d'une lutte, d'une bataille, même si la conviction et la rage de vaincre finissent par transcender et prendre le dessus. Enfin dans le déroulé précis de l'histoire de ces combattantes de La Casbah qu'elle nous offre, et sans le vouloir peut-être, elle a battu en brèche des idées reçues sur le combat des femmes, confiné trop souvent et sciemment par le discours ambiant, dans la logistique ou les secours sanitaires apportés aux combattants. Elle le fit, sans pour autant diminuer ni minimiser le rôle de tous les acteurs et actrices de cette lutte, y compris d'ailleurs l'engagement de ces aides logistiques de toutes natures. C'est pour toutes ces raisons que nous avons choisi, en ce jour du 8 Mars symbolisant la lutte des femmes, de lui donner la parole. Mais plus que sur son livre, nous la questionnerons aussi sur la poursuite de son combat de femme, car, et peu le savent ou certains l'oublient, Zohra Drif a poursuivi son combat et le poursuit encore aujourd'hui, pour la liberté de la femme. Elle a choisi de se battre à l'intérieur du Système. C'est son choix et c'est son droit. Mais même de là où elle officie (Sénat) l'on ne peut pas dire qu'elle n'a pas fait entendre sa voix pour combattre tous ceux qui continuent à voir en la femme algérienne une mineure à vie.
Le Soir d'Algérie : Que représente pour vous le 8 Mars ? La nature des célébrations officielles qui lui sont consacrées chaque année, vous satisfait-elle ?
Zohra Drif : C'est une journée très importante. Historiquement, et dès l'origine, elle a toujours été liée au combat des femmes pour leurs droits dans tous les domaines. Ainsi, le 8 Mars est une date de bilan du chemin parcouru grâce aux luttes des femmes et de celui qui reste à parcourir.
Que cette journée soit célébrée, de quelques façons que ce soit, est une victoire en soi, car cela représente l'aveu, même inconscient et involontaire, que les femmes vivent une condition particulière, pas toujours juste et donc l'aveu de la nécessité du changement de cette situation. Il va sans dire qu'en tant que militante, je n'ai jamais cru aux droits offerts sur un plateau d'argent. Les droits des femmes, comme toutes les causes justes, exigent de la mobilisation, de l'engagement et des sacrifices.
Peu de gens se rappellent qu'alors que feu Rabah Bitat — votre époux — présidait l'Assemblée nationale qui venait d'adopter dans les années 1980 le code de la famille, vous vous étiez élevée contre ce statut en manifestant, avec beaucoup d'autres femmes dont d'anciennes moudjahidate et de jeunes militantes féministes devant l'enceinte de cette institution. Très brièvement, pour nos lecteurs, pourriez-vous raconter cet épisode de votre combat et ses retombées, s'il y en a eu ?
Les femmes algériennes se sont mobilisées contre toute tentative d'atteinte à leurs droits, dès la fin des années 1970 et le début des années 1980. En 1980 (et non en 1984) et face à la tentative du pouvoir de l'époque de faire adopter un code de la famille injuste et inique, des jeunes femmes (des enseignantes, des étudiantes, des cadres... se sont mobilisées malgré le système du parti unique et ont appelé à des manifestations d'affirmation de leurs droits constitutionnels. Parmi ces femmes, il y avait déjà Louisa Hanoune, Khalida Toumi et Warda Medjahed. J'étais à l'époque avocate au Barreau d'Alger et aux côtés de plusieurs consœurs et de sœurs moudjahidate, nous avons décidé de rejoindre et de soutenir ces jeunes femmes avec lesquelles nous étions en totale symbiose et dont nous étions très fières car nous les considérions comme les dignes héritières de notre combat libérateur de Novembre 1954.
C'est ainsi que nous nous sommes retrouvées le 28 octobre 1981, puis le 16 novembre 1981 et enfin le 13 décembre 1981 dans des manifestations devant l'APN pour dire ensemble notre refus de statut mineur à vie que comptait imposer le gouvernement aux femmes algériennes. A la fin de décembre de la même année, nous nous sommes réunies en tant que moudjahidate, cette fois-ci au siège de l'UGTA, et nous avons élaboré une plateforme de revendications que nous avons envoyée au Président Chadli Bendjedid. Nous avons tenu, en tant que combattantes de la Libération nationale, à rappeler notre solidarité avec les initiatrices du mouvement de protestation, et surtout exiger, qu'au nom des valeurs du 1er Novembre 1954, les femmes algériennes méritaient un statut de citoyenne. En effet, nous considérions que la négation des droits des Algériennes relevait de la trahison du combat et des sacrifices de nos chahidate et nos moudjahidate.
Le résultat immédiat en a été le retrait du projet du code de la famille du bureau de l'APN. Hélas, cela ne durera que deux ans, puisque en 1984 et malgré la mobilisation des femmes, le code de la famille, que les jeunes militants appelaient si justement le code de l'infamie, a été adopté.
Quel prolongement avez-vous donné à votre engagement de femme ? Et pour être plus précise, vous qui êtes avocate de formation, les textes qui régissent, aujourd'hui, le statut personnel vous paraissent-ils, en l'état, pouvoir répondre à l'aspiration de liberté que portent encore les femmes, notamment celles de plus en plus nombreuses dans le pays qui appellent à sortir du schéma patriarcal oppressant vis-à-vis de plus de la moitié de la population algérienne et qui placent leur combat dans un féminisme laïque où le religieux — une affaire entre Dieu et l'homme — ne doit être ni instrumentalisé ni ne doit régenter les affaires strictement personnelles ?
L'aspect positif à retenir de cette séquence historique, c'est que les femmes ne se sont pas démobilisées, puisqu'elles se sont saisies de la plateforme de revendications des moudjahidate, qu'elles se sont, à juste titre, appropriées. Elles ont constitué «le comité d'action autour de la plateforme des moudjahidate». Je suis certaine que c'est grâce à cette mobilisation que nous devons les derniers amendements représentant une grande avancée par rapport à l'ignominie du code de la famille de 1984. Cependant, le combat doit continuer car d'autres injustices persistent dans ce texte et il faut qu'elles cessent, parce qu'il faut que la Constitution soit respectée. Voilà un chantier d'avenir qui interpelle aussi bien les femmes que les hommes, car c'est un chantier éminemment politique.
Vous déclariez, déjà en 2007, au lendemain de la présentation par le Premier ministre Belkhadem de son programme : «Je suis navrée de vous dire que, hélas, le citoyen ne croit pas en vous, en vos institutions, en votre politique...». Un peu plus tard, le 5 juin 2011, vous dressiez un tableau sombre de la situation du pays avec une double crise, celle de l'Etat et des institutions et la crise de la relation de la société à l'Etat et demandiez des réformes profondes du système politique. Les choses étant restées en l'état pour ne pas dire ayant empirées, quel est le sentiment de Mme Drif ? Poursuit-elle son combat et sur quel plan se situe-t-il aujourd'hui ?
D'abord, permettez-moi de ne pas être d'accord avec vous. Je ne pense pas du tout qu'il soit nécessaire de noircir un tableau et de déformer une réalité pour défendre des convictions, une vision ou un projet. Je suis militante de la guerre de Libération nationale et vous conviendrez avec moi que j'ai assez de recul pour juger sereinement de la situation de mon pays. Laissez-moi affirmer avec force que l'Algérie de 2014 n'a absolument rien à voir avec celle de 1954, ni de 1962, ni même de 1990. Je ne vous ferais pas l'insulte de redonner des chiffres que j'ai donnés au Sénat et qui attestent de l'évolution positive incontestable de la situation sociale, économique, sécuritaire et culturelle de notre peuple.
Nous parlions des femmes, revenons donc à elles. Outre un pays ruiné, dévasté, un million et demi de martyrs et 200 000 disparus, la France coloniale nous a laissé un peuple de femmes analphabètes à 99,9%. Aujourd'hui, nous avons gagné la bataille de l'éducation, de la formation supérieure, de l'égal accès au travail, à la couverture sociale et médicale. Nous nous occupons, enfin, de la question de notre statut dans la société et la famille, qui, je le rappelle, est une question de démocratie. J'affirme que c'est un bilan positif bien connu de tous les Algériens qu'ils se doivent de défendre, bec et ongles. La question reste : est-ce que pour autant je suis satisfaite ? La réponse est franchement non, car j'aspire à mieux pour mon pays et pour mon peuple. Ce mieux, j'estime que nous ne pourrons l'avoir qu'en construisant une vraie démocratie avec les Algériens et pour les Algériens de manière indépendante et souveraine, loin de tout agenda extérieur, d'Orient ou d'Occident. Comme la démocratie véritable, pas plus que les droits des femmes d'ailleurs, ne s'offrent ni sur un plateau d'argent ni sur Facebook, c'est aux Algériens de la construire. Si je suis en vie, je serai avec eux, à condition qu'elle soit pensée, conçue et élaborée par nous-mêmes.
Revenant à votre livre, Yacef Saâdi, pour étayer son accusation, a évoqué aux journalistes invités «des documents inédits», a-t-il dit, provenant des archives françaises. En fait, il s'agit de deux lettres que vous auriez adressées, après votre arrestation par les forces coloniales, à Hassiba Ben Bouali (encore cachée dans l'abri, ou caches conçues pour éviter d'être pris dans les perquisitions) et «que vous l'auriez suppliée de se rendre aux généraux (français) qui ne lui feront pas le moindre mal». Auparavant en 2004, l'historien Mohamed Harbi et Gilbet Meynier, dans un livre intitulé FLN documents et histoire 1954-1962, ont reproduit ces deux lettres. Sachant que vous êtes vivante et que ces lettres vous incriminaient directement, avez-vous, avant leur publication en 2004, été contactée par Harbi ou Meynier quant à l'authenticité de ces correspondance ?
Non, ni l'un ni l'autre ne m'ont jamais contactée. Je n'ai découvert, ahurie, ces deux documents dans leur ouvrage, qu'à l'occasion de l'écriture de mon livre. Je signale que j'ai profité de l'écriture de mes Mémoires d'une combattante de la zone autonome d'Alger pour parler moi-même de ces deux prétendues lettres que j'aurais envoyées à ma sœur Hassiba Ben Bouali et ce, pour démontrer leur fausseté, pages 563-564. Cette accusation est tellement grave et cette ignominie si insupportable que son but n'est pas seulement de mener au suicide ou à la folie mais de détruire et d'anéantir même au-delà de la mort. Ce sont hélas des méthodes que nous connaissons bien de la part des services psychologiques de l'armée française.
Dans une contribution récente qui a suivi votre accusation par Yacef Saâdi, l'historienne Malika El Korso, qui poursuivait depuis quelques années un travail de recherche historique sur la femme algérienne dans la Révolution et qui partant, était, depuis 2010, en possession de ces deux lettres, a réagi en historienne professionnelle à propos de cette accusation. Que vous a inspiré cette réaction qui dissèque tant le contenu que les conditions de production de ces lettres ?
Je tiens à remercier sincèrement Malika El Korso et bien d'autres historiens algériens pour avoir respecté et fait respecter la démarche scientifique, le devoir académique et la rigueur méthodologique de l'historien digne de ce nom. Mais, revenons, si vous le voulez bien, à ces deux prétendues lettres. Madame Malika El Korso en véritable historienne nous a appris où se trouvaient ces deux prétendues lettres. 1) Elles sont dans les archives de l'armée française (Vincennes) dans un carton sur lequel est écrit : «Travail psychologiqu ». 2) Elle nous apprend que la même armée française a mis comme annotation : lettre récupérée de la cache où a été arrêtée Zohra Drif. 3) Les prétendues lettres auraient été datées vers la mi- septembre et le 18 septembre 1957.
Je déclare devant le peuple algérien qu'à la mi-septembre 1957, je vivais dans la même cache que Hassiba Ben Bouali et Ali La Pointe, au : 4, rue Caton. Pourquoi donc aurais-je écrit à Hassiba alors que je vivais avec elle nuit et jour ? Ceci d'une part. J'ai été arrêtée le 25 septembre vers 4 h du matin dans une cache se trouvant au 3, rue Caton, maison qui faisait face à celle où se trouvaient Hassiba et Ali. Avant mon arrestation, j'avais pris le soin de mettre le feu à tous les documents qui étaient dans notre cache. Comment et pourquoi ces deux prétendues lettres ont-elles échappé au feu ?
Après mon arrestation, j'ai été mise au secret à la villa Nador en sachant que Hassiba et Ali allaient changer d'abri comme l'exigeaient nos règles strictes de clandestinité. Comment donc aurais-je pu savoir où allaient se retrouver Hassiba et Ali après mon arrestation ? J'ai passé à la villa Nador 20 jours, du 25 septembre 1957 au 14 octobre 1957, date à laquelle j'ai été écrouée à la prison de Barberousse. On ne m'a sortie de là qu'un après-midi d'un jour, dont j'ignorais la date puisque la mise au secret implique la perte totale de la notion de temps, d'espace et de relation avec autrui et ce, pour m'amener dans le bureau du colonel Trinquier. Après quoi, on m'a remise au secret à la villa Nador.
Certains racontent que j'aurais été amenée pendant cette période au commissariat de Bab-El-Oued. C'est faux, archifaux. C'est du pur mensonge, car je n'ai jamais été emmenée à Bab-El-Oued ni dans un commissariat, ni dans un autre endroit.
En tout état de cause, je n'ai jamais écrit de lettres à ma sœur Hassiba pour lui demander de se rendre. Donner crédit à cette accusation gravissime ne peut être que le fait d'ignorant de ce que nous étions : nous étions deux combattantes de la Zone autonome d'Alger, Hassiba artificière et moi poseuse de bombes et en tant que telles, nous avions fait le choix, comme beaucoup d'autres sœurs, d'être des volontaires de la mort pour la libération de notre pays et non des volontaires de la reddition.
Que l'ennemi d'hier tente de nous détruire, je le conçois et en comprends l'objectif : c'était une de ses armes de guerre totale contre nous. Le service de l'armée française possédait un véritable laboratoire de travail psychologique et le capitaine Léger, avant d'exercer ses prouesses criminelles dans nos Wilayas historiques 3 et 4, s'était entraîné dans la Zone autonome. Qui ne connaît pas les ravages de la Bleuîte, œuvre macabre des services psychologiques de l'armée française dans les rangs de l'ALN ? Les deux prétendues lettres que j'aurais envoyées à Hassiba, je ne les ai jamais écrites et jamais envoyées.
J'informe vos lecteurs que j'engage des graphologues assermentés pour démontrer du reste que l'écriture n'est pas la mienne, sans compter les fautes vulgaires de français qu'une brillante étudiante en 2e année de droit, que j'étais, ne pouvait commettre. Le plus terrible et triste dans cette véritable cabale, c'est lorsqu'un militant utilise des documents fabriqués par les services psychologiques de l'armée française pour détruire deux militantes dont l'une est hélas décédée et ne peut donc plus se défendre.
Ce faisant, cet ancien militant, honte à lui, se comporte au mieux comme porte-flingue de Godard, de Trinquier et de Massu. Grandeur et déchéance. Mais je vous rassure, peu importe qu'on m'attaque personnellement car notre Révolution fut et restera une œuvre grandiose. Il faut que nos jeunes en soient fiers et qu'ils sachent que c'est la plus grande œuvre de libération qu'un peuple colonisé a produite durant le 20e siècle.
Revenons, si vous le voulez bien, à la lecture de la contribution de l'historienne Malika El Korso. Elle nous interroge sur l'écriture de l'histoire : comment peut-on aussi légèrement livrer des éléments de cette histoire sans esprit critique dit-elle, sans recoupement avec la réalité du moment ? Ne pensez-vous pas que cela résulte, en grande partie, du peu d'intérêt porté par nos dirigeants à l'écriture de cette histoire pour des raisons que l'on ignore et qui font que certains, peu nombreux, se débattent et essayent de faire professionnellement leur travail alors que d'autres beaucoup plus nombreux se cantonnent à glorifier ou abattre avec la plus grande légèreté et avec toutes les conséquences désastreuses inhérentes à cette légèreté ?
Je vous ai déjà répondu en vous parlant de ce qu'est un véritable travail d'historien.
Par ailleurs, et au cours de la même soirée, Yacef Saâdi s'attaque de front aux, je cite, «communistes algériens qui ne sont pas les auteurs des actes héroïques dont ils se targuent puisque c'est moi qui fournissais les bombes». Fallait-il être détenteurs de bombes pour prétendre avoir participé au combat libérateur ?
Cette attaque contre les combattants de l'ALN d'origine communiste est indigne, injuste et ignominieuse. Les frères et sœurs de combat de l'ALN, d'origine communiste ont été aussi courageux que dignes et admirables. Beaucoup ont payé de leurs vies leur engagement total pour la libération de notre pays. Beaucoup ont vécu les pires tortures sans jamais trahir, enfin beaucoup d'autres ont connu les affres des arrestations, des emprisonnements et des disparitions. Personne, ni aujourd'hui, ni demain, ne peut attenter à l'intégrité, à l'honneur et à l'engagement de nos frères et sœurs de combat d'origine communiste. Maurice Audin, Fernand Iveton, Henri Alleg, Annie Steiner ont fait partie des meilleurs d'entre eux.
Dois-je rappeler que les initiateurs et les concepteurs de notre grandiose Révolution, les Abane Ramdane, les Ben Mhidi... ont eu le génie de nous organiser au sein d'un front, le FLN, qui abritait toutes les énergies, par delà les origines politiques et idéologiques à partir de 1956. Les uns venaient du PPA-MTLD, les autres du PCA, de l'UDMA, des Oulémas..., d'autres n'ayant jamais milité dans aucun parti, mais c'est cette union sacrée et ce front solide autour de la lutte de Libération nationale qui nous ont permis de vaincre l'un des plus terribles systèmes de colonisation malgré la puissance de son armée.
L'attaque contre nos frères et sœurs de combat d'origine communiste m'attriste et me révolte au plus haut point, d'autant qu'ils sont toutes et tous, pour les survivants d'entre eux, restés loyaux à ce pays et à son peuple. Tout simplement parce qu'ils sont fidèles et loyaux à leur idéal de justice et de liberté. Permettez-moi de m'indigner devant les tentatives d'encensement de l'ethnologie coloniale et de dénigrement des combattants de la Libération nationale d'origine communiste. Je me pose la question de savoir à qui profite ce double crime ?
Yacef Saâdi considère que votre livre est «truffé de mensonges et qu'il faudra mettre au compte de la falsification de l'Histoire». Qu'est-ce qui, selon vous, dans le contenu de votre ouvrage, a gêné ou contrarié ce moudjahid dont personne ne conteste l'héroïsme, y compris vous d'autant que tout au long de votre témoignage vous évoquez les grandes capacités de meneur d'hommes de Yacef ? Vous déclarez, entre autres exemples, «être admirative» devant ses capacités de négociateur lorsqu'il négocie en votre présence avec Germaine Tillion (page 451) ou encore lorsqu'il était malade et que la horde coloniale venait investir en force l'abri dans lequel vous étiez tous les deux. Vous en dites encore : «J'eus une immense gratitude pour lui car malgré son état vraiment inquiétant, il trouva la force de mener une dernière bataille pour qu'en combattant, notre mort ne soit pas vaine.» (page 526).
Le livre que j'ai écrit n'est pas un livre d'histoire ; ce sont des mémoires à travers lesquelles j'ai pris l'engagement de ne raconter que ce que j'ai vu, entendu et vécu. J'ai certainement dû oublier des gens, des faits, c'est là les caprices connus de la mémoire, mais je peux vous assurer que tout ce qui est dans ce livre est exact. Quant à ceux que cela dérange, j'ignore ce qui les agite, et pour tout vous dire, cela ne m'intéresse pas. J'ajoute que je suis juriste, mais ni psychiatre ni assistante sociale.
J'insiste encore : toujours, dans votre livre, en page 260 (dans le chapitre consacré (au courage hors du commun de Djamila Bouhired) vous écrivez : «Je découvris aussi que le sacrifice suprême pouvait s'incarner en une jeune femme et qu'il portait son nom, Djamila.» Cette sœur de combat dont vous nous avez dressé un sublime tableau à différents moments de votre livre a été, en 2009, l'objet d'un papier d'un hebdomadaire algérien qui lui dénie le fait d'avoir été torturée. Vous aviez alors par une déclaration très forte réagi publiquement contre cette abomination. Louiza Ighilahriz a subi le même sort de la part de Yacef Saâdi, comme en a aussi été l'objet la courageuse Fatiha Hattali, veuve du chahid Mustapha Bouhired. Cela fait un peu beaucoup. Est-ce une conspiration contre les femmes dont on apprend par les témoignages de ceux et celles encore vivants la grande part dans la libération du pays ou est-ce plus prosaïquement un égo démesuré de l'auteur de ce travestissement de l'Histoire ?
Je viens de vous dire que je ne suis ni psychiatre ni assistante sociale et je ne compte pas usurper les deux fonctions. Cependant, je remarque avec vous que les femmes, leur combat, leur courage et leur héroïsme dérangent certains. C'est un classicisme navrant, cela s'appelle de la «misogynie» ou «sexisme ordinaire», hélas courant les rues sous tous les cieux. Il faut bien sûr les combattre parce que ce travers relève d'une mentalité rétrograde et arriérée et entrave, outre la femme, toute la société. Le plus grave, c'est lorsque la misogynie se structure politiquement ; mais là aussi, je vous rassure, car j'ai été invitée par un rassemblement impressionnant de plus de 800 femmes venues des 48 wilayas du pays le 6 février 2014 à Alger qui a décidé de se constituer en collectif des Algériennes pour la défense de la mémoire de nos chahidate et moudjahidate. Alors : à bon entendeur, salut ! Comme vous voyez, Djamila Bouhired, Samia Lakhdari, Fatiha Hattali Bouhired, Louiza Ighilahriz, Zohra Drif et toutes les autres ont des millions d'héritières prêtes à défendre leur combat et leur mémoire.


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