Venue jeudi à Bouzeguène présenter son dernier film Avant de franchir la ligne d'horizon, en hommage à l'artiste M'henni Amroun, la réalisatrice Habiba Djahnine dresse un tableau sans complaisance du cinéma algérien qui n'existerait, selon elle, qu'à travers des films et des réalisateurs mais sans filmographie propre, estime-t-elle dans l'interview qu'elle a généreusement accordée à notre quotidien. Le Soir d'Algérie : Une lecture de votre dernier film Avant de franchir la ligne d'horizon... Habiba Djahnine. C'est un film que j'ai fait parce que j'avais envie d'aller revoir et interroger des personnes avec qui j'ai milité pendant vingt ans depuis 1988, et un peu voir le parcours humain plus que le parcours militant. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui reste de notre combat. C'est ce que j'ai essayé d'interroger à chaque fois que j'ai parlé avec mes amis militants, même si je ne milite plus moi-même. Il y a une sorte de douleur, de tristesse et d'abattement et de choses que l'on rejette. Mais ce qui m'a intriguée, c'est que les gens ne parlent jamais vraiment d'eux-mêmes. C'est comme si leur combat avait été oublié et qu'il y a un manque total de reconnaissance. Et j'avais envie de les revoir juste pour dire que ces gens ont réellement existé. Mais à travers un message fort... Je voulais aussi dire, qu'à l'époque, il n'y avait pas que les islamistes d'un côté et le pouvoir de l'autre, mais il y avait aussi la société civile qui était engagée avec des idées de gauche et des idées progressistes... Depuis Lettre à ma sœur, Habiba Djahnine a sa propre vision du film documentaire... Le fait d'avoir fait Lettre à ma sœur m'a d'abord permis d'apprendre un métier qui est de réaliser des films documentaires, et après ça, j'ai fait Autrement citoyen, Retour à la montagne, et ensuite Avant de franchir la ligne d'horizon. Vous écrivez aussi beaucoup. L'écriture vous aide-t-elle dans ce métier d'images ? L'écriture est une façon de travailler différente du cinéma. L'écriture est beaucoup plus un travail solitaire de réflexion et d'introspection, alors que le documentaire, c'est aussi un partage avec les autres : d'abord avec une équipe de tournage, ensuite avec des gens avec qui on travaille pour pouvoir créer des images et une co-écriture avec les personnages. C'est vraiment un métier complètement différent. L'écriture, ça aide. Il y a des gens qui font des films sans savoir écrire. Pour moi, c'est une démarche pour faire du cinéma. A quand un passage à la fiction ? Je ne pense pas faire de la fiction. Ça ne m'intéresse pas beaucoup. La fiction est un métier à part entière, et puis je pense que je ne saurai pas le faire. La différence est dans la façon de faire les choses. Ce que j'aime le plus, c'est interroger le réel et j'ai envie de travailler avec cette matière du réel. Votre film est présenté aujourd'hui dans un village et devant un public hétéroclite. Il ne sera pas entièrement pensé dans son sens artistique et soumis à la critique... J'aime beaucoup présenter mes films dans les villages en Kabylie ou ailleurs en Algérie. J'ai une préférence pour ces lieux que dans les salles devant un public de cinéphiles. Peut-être que ce public est beaucoup plus important pour moi que le public de spécialistes. Pour vous qui avez beaucoup voyagé, quel regard porte le monde sur le cinéma algérien ? La situation du cinéma en Algérie inspire-t-elle à l'optimisme ? C'est bien difficile de parler de situation du film en Algérie. Ici, tout le monde est en train de ramer, d'essayer de créer quelque chose de nouveau ; cela dit, la situation est difficile, il y a beaucoup de blocages, et en même temps, il n'y a pas de salles de cinéma pas d'écoles, et dans ces conditions, il est difficile de faire du cinéma. Il faut vraiment une volonté politique pour y remédier. De notre côté, on essaye d'apporter cet élément de formation mais cela ne suffit pas. En effet, le cinéma tel que pratiqué en Algérie est très varié. Il y a de tout, de l'excellent cinéma et du très mauvais. Les étrangers font beaucoup plus attention à l'œuvre elle-même qu'au fait qu'elle soit algérienne ou autre. Pour eux, le plus important c'est l'œuvre indépendamment de son pays d'origine. Pour moi, il n'y a pas encore de cinématographie algérienne, il y a des films et des réalisateurs.