Que l'on soit amateur, ou complètement ignare de ce que peut être l'art, «Picturie générale» s'en moque éperdument. Ce qui l'intéresse, c'est de faire découvrir au plus grand nombre, mais surtout à un large public, sa vision de l'art, de l'Algérie, de la vie et des émotions. Pensé et organisé par des artistes algériens, anciens étudiants des Beaux-Arts d'Alger, c'est la deuxième fois que cet événement a lieu dans la capitale. En arrivant devant ce grand immeuble au style haussmannien de l'époque coloniale, au square Port-Saïd, on ne peut deviner que dans l'un des appartements se déroule un évènement artistique hors norme, où des artistes et des codeurs passionnés en ébullition ont investi les lieux. 16 artistes algériens réunis par leur amour de l'art, leur goût pour la liberté et leur indépendance y exposent leurs œuvres : peintures, sculptures, vidéos, photos se côtoient, se contredisent, se complètent avec harmonie. Le vernissage a eu lieu samedi dernier à la «Baignoire», un espace détourné dans le but de faire «cohabiter l'art et l'entreprise». Le principe de cette entreprise de consulting est simple et innovant : ouvrir leur espace de travail aux expériences culturelles «inédites qui permettront aux artistes d'exposer, de se rencontrer» tout en s'adaptant aux contraintes du lieu et de son utilisation quotidienne par les salariés. En errant dans cet espace, on découvre au milieu une table de réunion, entourée de chaises, Coup de barre, une œuvre brute et saisissante de Djamel Agagnia. Sur une palette de marchandises en bois sont placées des figurines couleur terre. Des personnages asexués, tristes, éreintés, tous semblables, sortis d'un même moule, d'une même usine quelconque d'un travail à la chaîne. Ces personnages «de l'esclavage moderne» sont alignés à l'image de soldats, une armée de corps besogneux tatoués d'un code- barre, tels des produits commercialisés, «de l'esclavage moderne, très efficace aux mains de lobbies et de politiques qui veulent manipuler l'homme en marchandisant son effort, son temps afin que lui-même devienne marchandise». Dans une autre pièce est accrochée la peinture imposante et émouvante de Maya Ben Chikh El-Fegoun, une peinture tout en couleurs qui représente l'union et la fin de deux périodes de la vie artistique de Maya. «J'ai uni mes deux premières obsessions, les corps blancs nus et cet animal qu'est le porc, pour enfin passer à autre chose.» Le tableau est divisé en trois parties, on y croise tantôt une femme nue debout donnant son bras sans fin à un porc, une autre le serre très fort et l'autre tendant les bras vers «cet autre chose», cet avenir incertain. Adel Bentounsi a lui aussi tourné une page, celle de la peinture. Dans le couloir, il y projette Brûlure au cœur, un autodafé de ses tableaux. L'artiste s'est filmé en train de brûler ses peintures qu'il avait présentées lors de la première édition de la «Picturie générale». Adel explique qu'après s'être épanoui avec ses œuvres, «elles m'ont accompagné dans mes peines, mes tristesses et mes joies. Elles ont adhéré à mes engagements contre le dysfonctionnement politico-social», il a souhaité s'en séparer par le feu «afin qu'elles gardent leur sensibilité et leur dignité». La marchandisation de ses tableaux, la négociation financière de son art l'ont convaincu de tout détruire, détruire ce à quoi ses œuvres étaient réduites, à de simples objets fétichisés par le capital. La recherche de soi, de son identité, de son épanouissement personnel réunissent, à mon sens, les artistes dans ce lieu. Nous nous sommes tous, à une période ou bien toute notre vie, à poser ces questions existentielles : «Qui suis-je ? Où vais-je ?» La sculpture astrolabe de Sofiane Zouggar ne prétend pas y répondre, mais plutôt les symboliser par une installation composée de deux objets : l'un est un astrolabe nautique qui fut le principal instrument de navigation du XVIe au XVIIIe siècle, l'autre, des pieds de harraga du XXIe siècle posés sur cet instrument de navigation, de repère en mer. Des pieds sans corps et sans tête qui cherchent leur direction, leur chemin. Cette présentation partielle et partiale de «Picturie générale 2» ne reflète qu'une infime partie de l'exposition, des artistes et des interprétations possibles. Car c'est là précisément que réside la force de leurs œuvres, laisser libre cours à notre imagination et à nos émotions. La «Picturie générale 2» est ouverte à tous et sans contrepartie du 15 mars au 12 avril de 14h à 17h, au 3, rue des Frères-Oukid, square Port-Saïd, 4e étage.