Saïd Khellil, responsable du MDC. Figurant parmi les animateurs importants du MCB et des événements du 20 avril 1980 et ancien cadre dirigeant du FFS dans les années 1990, Saïd Khellil a jeté, avec quelques-uns de ses compagnons, les bases d'un mouvement politique, le MDC, mouvement pour la démocratie et la citoyenneté qui s'était auto-dissous, quelque temps après sa création. Dans cet entretien, le Dr Saïd Khellil livre son point de vue sur de nombreuses questions : les élections présidentielles qui débutent aujourd'hui et leur implication sur l'avenir du pays, le rôle de l'armée dans le champ politique ainsi que la problématique de tamazight au sujet de laquelle il vient de cosigner avec une quarantaine de personnalités et militants du MCB une déclaration-appel à des marches à l'occasion de la célébration du 34e anniversaire du printemps berbère. Une initiative à laquelle Saïd Khellil et ses camarades ambitionnent de donner un prolongement qui se traduira par la création d'un mouvement politique. Le Soir d'Algérie : les Algériens s'apprêtent à élire leur président aujourd'hui, et dans quelques jours, la Kabylie va célébrer le 34e anniversaire du printemps berbère. Quel constat faites-vous, compte tenu de ces deux événements majeurs ? Saïd Khellil : Nous venons avec quelques amis de signer un appel qui fait le point sur la situation que vit le pays et qui réitère les principales revendications des militants de la cause identitaire. Je dois le dire, tout de suite, il y a, certes, des acquis mais de pure forme, des concessions contrôlées. Le pouvoir semble retenir d'une main ce qu'il donne de l'autre. En un mot, il y a quelques concessions contrôlées qui font que l'amazighité qui est le socle identitaire de l'Algérie reste toujours marginalisée et n'a pas encore la place qui doit être la sienne dans son pays. Ceci d'une part. A cela est venu se greffer l'échéance électorale du 17 avril. Avec des amis et des militants, nous avons jugé de prendre position. Notre constat est que le scrutin d'aujourd'hui n'a pas de sens car il intervient dans un processus maîtrisé, verrouillé et qui ne laisse pas de place à l'expression libre, au débat contradictoire et que l'essentiel reste à bâtir, dans ce pays, à savoir un Etat de droit et une véritable démocratie. Cela étant dit et bien exprimé dans notre appel d'Ighrem (wilaya de Béjaïa, ndlr) par une quarantaine de militants. Par conséquent, conviction est faite que nous sommes appelés et qu'il est de notre devoir de revenir sur le terrain pour impulser notre combat et défendre nos revendications qui sont plus que jamais d'actualité. Vous parlez de retour, sous quelle forme, par la création d'un parti politique ? Nous n'avons d'autres choix que de revenir pour encadrer cette nouvelle génération qui nous interpelle et nous sollicite pour donner notre avis ou qui nous demande d'intervenir dans des conférences. Ces jeunes nous disent que rien n'est perdu ; cela fait chaud au cœur et nous donne du courage et des raisons de croire. Même si je sais que le pari n'est pas facile pour les militants de ma génération qui ont tant souffert, du moins ceux qui ont fait le choix de rester libre et de ne pas jouer le jeu du système. Je considère donc qu'on n'a pas le droit d'abdiquer et de laisser le terrain, nous devons, plus que jamais, nous investir et rester aux côtés de cette nouvelle génération. Il s'agit de trouver les formes et les voies d'organisation intelligentes qui permettront de poursuivre la lutte de manière efficace et qui permettra d'atteindre les objectifs. Plus que jamais, il faut s'impliquer, en accompagnant ces jeunes qui expriment le désir de continuer le combat. Plus explicitement, vous allez vers la création d'un parti politique ? Nous n'excluons rien. Nous ne nous traçons aucune limite, nous serons toujours là pour donner plus à la cause amazighe et à l'Algérie. Mais rien n'est encore arrêté, aucune décision n'est prise dans ce sens. Je dis seulement, et quel que soit le parcours des uns et des autres, il y a une prise de conscience sur la nécessité de se rassembler comme cela s'était fait vendredi dernier à Béjaïa ce qui nous a permis de lancer cet appel pour la marche du 20 avril prochain. J'espère que nous n'allons pas en rester là et qu'il va falloir explorer toutes les voies qui mènent vers la reconquête du terrain. Cette ambition est partagée par l'ensemble des amis militants qui ont signé cet appel. Il y a une prise de conscience qu'il ne faut pas laisser le terrain vacant, d'autant plus que notre pays traverse une période critique de son existence. Il serait aussi aventureux d'abandonner notre région, la Kabylie à son sort et de la laisser se faire transformer en terrain de manœuvres politiques comme cela a été le cas par le passé lorsqu'elle a été toujours utilisée pour des positionnements de pouvoir. Vous parlez de risques de déstabilisation, de dérives... vous vous inscrivez dans le discours du pouvoir qui véhicule ce genre de crainte ? Pas du tout. Nous ne partageons pas la même approche. Le pouvoir joue sur les peurs et l'inquiétude des citoyens pour faire basculer leurs voix à son profit. Nous, nous partons d'une autre réalité. Nous vivons dans un contexte marqué par l'absence de perspectives et de projection sur l'avenir. L'Algérie est dans l'impasse qui, on le sait, est génératrice de crise qui est un terreau qui n'est jamais favorable à la construction. Les solutions sans cesse ajournées, trop de demandes, notamment sur les plans social et politique, émanant de la société restent insatisfaites. Quel sens donnez-vous à la coïncidence entre le point d'ordre de l'armée publié il y a trois jours dans la revue El Djeich et la déclaration de Bouteflika où il accuse un candidat, en l'occurrence Benflis, qui a juste interpellé les agents de l'Etat d'assumer correctement leur responsabilité de faire dans le terrorisme verbal ? L'intervention de l'armée est significative. Je m'explique : tant que les jeux semblaient être favorables au président-candidat, la grande muette, si je peux me permettre le jeu de mots, est restée muette. Dès lors, et pour des raisons qui nous échappent y a sans doute des données chiffrées que nous ignorons et qui créditent l'hypothèse que Benflis constitue une menace sérieuse pour Bouteflika et qu'il risque d'avoir les faveurs des urnes. Il me semble qu'il y a des données chiffrées que nous ignorons, un faisceau de présomptions qui permettent de comprendre que l'appel de l'armée veut dire que l'échéance électorale de 2014 est différente de celles qui ont prévalu jusque-là et durant lesquelles l'élection du candidat du pouvoir s'est déroulée comme une lettre à la poste. A mon sens, on s'est rendu compte que les conditions ne sont plus les mêmes et qui font que les choses ne vont pas se dérouler comme d'habitude car il y a comme une révolte latente au sein de la société, un rejet de l'infantilisation du peuple. L'armée est interpellée pour prendre ses responsabilités en faveur d'une voie salutaire qui est celle d'une véritable transition démocratique. Et l'intervention de Bouteflika à la télévision, dans tout cela ? Je n'ai pas pris connaissance de l'appel de l'armée dans sa totalité mais je le partage. Il ne faut pas croire que l'armée dans son ensemble est en faveur du Président-candidat ; elle n'est pas monolithique. Par contre le positionnement du chef de l'état-major est franchement en faveur de Bouteflika. D'où le danger. Ce positionnement clair et indéniable du chef d'état-major en faveur du candidat Président doit choquer le patriotisme de bon nombre d'officiers qui ne doivent, certainement pas, partager la position de leur chef. Mais ils ne peuvent pas le dire, par discipline, par devoir de réserve. Quant à la charge qui a été sonnée contre Benflis dont nous connaissons le parcours, un juriste, un homme de droit et malgré son appartenance au FLN et son parcours dans le pouvoir, je considère que c'est une dérive grave. C'est le signe d'un affolement dans les rangs du candidat du pouvoir. Il est à craindre que ça ne sera pas une élection sereine. Tout le jeu est fait pour que le Président-sortant soit reconduit à son poste mais ce 4e mandat ne sera pas à la hauteur des enjeux qui attendent le pays qui ne sera jamais comme avant, il y aura accentuation des dérives sur le plan politique, économique et moral. La situation est chargée d'angoisse et d'inquiétude. Il est à souhaiter que les citoyens fassent preuve de retenue et de raison pour éviter les débordements. Et la période de transition que vous préconisez, vous la définissez comment ? Nous sommes partie prenante de toutes solutions qui prennent en charge les revendications que nous avons toujours défendues, à savoir l'identité amazighe de l'Algérie, le statut officiel pour la langue amazighe et bien entendu un projet qui va dans le sens de la construction d'un Etat de droit valorisant la citoyenneté. Nous sommes prêts à travailler avec toutes les forces de ce pays qui sont prêtes à se rassembler autour d'un minimum consensuel préservant les valeurs républicaines. La Tunisie vient de nous montrer la voie pour la construction d'un consensus national qui restitue sa souveraineté au peuple. Il y a assez de maturité parmi les responsables politiques pour éviter les dérives constatées chez les pays qui viennent de vivre des révolutions.