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L'entretien de la semaine
NACIR BENHALLA, Docteur en psychologie clinique, maître de conférences à l'UNIVERSITE D'ALGER 2, AU SOIR MAGAZINE : «Aujourd'hui, nous avons affaire à une société en pleine souffrance»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 03 - 05 - 2014

Docteur en psychologie clinique, maître de conférences à l'université d'Alger 2, chercheur et psychothérapeute, Nacir Benhalla est riche d'une expérience clinique de plus de vingt ans. Il a notamment étudié le fonctionnement psychique du jeune adulte en souffrance. Les résultats de ses travaux ont été publiés dans des revues spécialisées et universitaires. Nacir Benhalla est également l'auteur d'un ouvrage de référence, Expressions et caractéristiques de la névrose en Algérie (éditions l'Harmattan, Paris 2013). Il évoque pour Soirmagazine certains aspects de la souffrance mentale en Algérie et explique le recours aux thérapies traditionnelles.
Soirmagazine : Vous avez beaucoup étudié le fonctionnement psychique du jeune adulte en souffrance. Pouvez-vous nous donner, en termes simples, un aperçu sur la névrose en Algérie et sur la psychopathologie spécifique développée par ces jeunes ?
Nacir Benhalla : La clinique au quotidien nous permet de collecter un ensemble de données. Sur la base de ces données, nous avons établi le constat suivant : la névrose en Algérie découle d'un certain nombre d'éléments relatifs à une période de mutation et à des changements psychosociologiques. Résumons simplement en disant qu'il y a beaucoup de jeunes adultes, beaucoup de désirs et beaucoup d'ambitions. Or, que trouvent ces jeunes en contrepartie ? Des manques et des faiblesses divers. Face au psychothérapeute, il y a des consultants qui souffrent notamment de la faiblesse d'un surmoi structurant, du manque de voies d'expression des désirs et de l'absence d'une culture sublimatoire. Résultat, leur psychisme est mis à rude épreuve, les conflits entre désirs et défenses s'exacerbent. Parfois, nous avons affaire à un comportement mécanique, et comme vidé de sa substance affective, un comportement machinal qui fait souvent appel aux faux selfs comme ultime recours d'adaptation.
Vous voulez dire que les jeunes Algériens, et plus particulièrement les plus fragilisés d'entre eux, se trouvent confrontés à des situations génératrices de structures pathogènes ?
Dans cette trajectoire, et compte tenu des éléments fournis par la clinique de tous les jours, nous pouvons avancer l'idée que la névrose en Algérie est en relation avec trois crises principales. Un tel lien aide à repérer la névrose. Pour commencer, il y a une crise identitaire qui met en évidence l'absence d'un modèle identificatoire suffisamment structurant. Ce modèle-là a été largement affaibli par les effets de la guerre de libération, il s'est davantage affaibli par la guerre contre le terrorisme. Il y a, ensuite, une crise culturelle caractérisée par un énorme déficit en voies et canaux d'expression des désirs collectifs : pas de salles de cinéma et de spectacles, pas de théâtre, pas de maisons de jeunes... Tout a été remplacé par des mosquées. Par définition, la mosquée n'est pas un lieu d'expression des désirs, mais, au contraire, l'endroit où l'on contrôle ces derniers. Enfin, une crise socioéconomique extrêmement rapide et dangereuse vient compliquer les choses. On le constate, par exemple, avec les effets induits par le boom des nouvelles technologies de communication sans cesse variées et de plus en plus sophistiquées. Parmi ces effets, un déferlement de désirs qui partent dans tous les sens. Les parents, hébétés, sont souvent désarmés face à des dépassements et à des dérapages sexuels ou pervers. Pour tout cela, nous pouvons émettre l'hypothèse diagnostique suivante : aujourd'hui, nous avons affaire à une société en pleine souffrance.
Les spécificités des souffrances de ces jeunes adultes seraient-elles en lien avec les bouleversements que vit la société algérienne ?
Bien que le concept emprunte aux sciences économiques, disons que tout peut s'expliquer en termes d'offre et de demande. C'est simple, le sujet demande un modèle identificatoire stable, efficace et authentique. En retour, on lui offre un modèle artificiel, fragile et non structurant. Le sujet est en quête d'une famille protectrice et rassurante. Ici encore, on lui propose une famille fragile, disloquée et instable. Le sujet demande des structures où il peut exprimer ses désirs, ses folies, ses tocs. Au contraire, on lui offre une multitude d'institutions dirigistes aux fins de niveler sa pensée et geler ses désirs. Enfin, le sujet demande des structures éducatives qui lui permettent de se former, de faire des projets et de rêver. A la place, on lui propose des structures où la formation est rapide, courte et sans lendemain. A cause de cela, le paysage social est en effervescence et sous l'emprise d'un malaise généralisé. Pour reprendre les termes de François Richard, nous pouvons dire que nous assistons à un véritable sabotage social. On ne sait plus qui est qui ni comment faire face à des sujets en surplus d'énergie. Cette énergie est véhiculée par une masse corporelle malmenée. Non canalisée, elle se trouve à la croisée des chemins. Livré à lui-même, le corps n'est ni gérable, ni contrôlable, ni même habitable. Ce surplus d'énergie déborde de partout. On a beau le dissimuler sous la djellaba, la barbe ou le nikab, il risque, malgré ses défenses et les faux selfs, de s'évader pour se diriger vers n'importe quelle direction.
A propos de mécanismes de défenses, que pourrait-on dire du recours aux thérapies traditionnelles et aux guérisseurs ?
Ce sont-là des symptômes d'une crise multifactorielle. Dans un tel contexte, les thérapies traditionnelles représentent un signal d'alarme et une défense. Le recours à ces pratiques témoigne d'un passage de l'adolescence à l'âge adulte extrêmement difficile et douloureux. Le vide psychique est ici largement comblé par le guérisseur qui, de ce fait, remplace les spécialistes de la santé mentale. Lorsque le guérisseur tend la main, touche le front de la personne souffrante, écoute attentivement ses plaintes, il gagne son empathie et sa confiance. Dans le même temps, le psychologue se retrouve dépassé par la demande. Il n'a ni le temps ni les moyens d'écouter tout le monde ou de répondre à toutes les sollicitations. C'est l'une des raisons qui expliquent que le nombre de guérisseurs soit en croissance constante dans notre société.
Vos patients ont-ils déjà eu recours aux guérisseurs ?
Dans le cadre d'une étude clinique réalisée sur une période de 10 ans et englobant un échantillon de 300 consultants à Alger-Centre, nous avons recensé un ensemble de thérapies traditionnelles auxquelles ont eu recours nos patients. Parmi les pratiques les plus répandues, nous avons retenu quatre : la rokia, le désensorcellement, l'herboristerie et la hidjama. Elles sont largement répandues chez notre population d'étude, 93% des personnes prises en charge ayant eu recours à au moins une de ces pratiques. Par ailleurs, il faut signaler que le fonctionnement psychique de la majorité de cette population est phobo-obsessionnel, la plupart des sujets souffrant d'une immaturité psycho-affective importante. La pensée magique est ici utilisée comme premier mécanisme leur permettant de se soulager rapidement de la douleur.
Quels sont les moments de survenue de ces pratiques ? N'y a-t-il pas des facteurs déclenchants ?
Le recours à de telles pratiques survient après un changement bizarre et incompréhensible dans la vie de ces jeunes adultes. En proie à des sentiments de culpabilité et de persécution notamment, les sujets vont alors faire le circuit suivant : thérapies traditionnelles, médecins généralistes, médecins spécialistes (psychiatre, urologue) et psychothérapeutes en dernier ressort. Parmi les changement que les sujets vivent comme de grands bouleversements, il y a par exemple les changements socio-professionnels rapides et inattendus tels qu'un déménagement, une promotion, une mutation... Ou encore un événement affectif : un rapprochement amoureux, une rupture relationnelle, le mariage du sujet ou d'un membre de sa famille. Peut aussi entrer en ligne de compte un changement intellectuel, par exemple la fin des études universitaires. Quant au sentiment de culpabilité, il peut arriver à son paroxysme lorsqu'il fait notamment suite à une transgression inattendue des interdits. Le sujet se sent coupable d'une grave trahison des règles parentales ou religieuses. Cela est souvent le cas après un premier contact sexuel, y compris avec la fiancée.
En fin de compte, quelles sont les valeurs psychologiques et anthropologiques des pratiques thérapeutiques traditionnelles ?
Nous retrouvons, dans certaines pratiques, un sens psychologique hautement significatif. Attribuer le changement douloureux à une force occulte appelée djinn, par exemple, peut être assimilé à une fragilité des objets internes (de la pensée). Le djinn met en évidence un clivage psychique attestant de la fragilité du moi et une incapacité de dépasser la position schizo-paranoïde telle que développée par M. Klein.
 La même fragilité est constatée au niveau de la peau, dont la partie protectrice est usée par le flux d'excitation interne et externe. C'est pourquoi, le guérisseur traditionnel peut être efficace avec un traitement à base de henné et d'huile d'olive par exemple. Les amulettes, objets fétiches et porteurs de guérison magique, pourraient aussi redonner équilibre et soutien pendant les périodes difficiles.
De telles pratiques soulignent que nous sommes face à une psychopathologie caractérisée par une pensée magique avec hystérisation généralisée. Elle est annonciatrice d'un terrain fragile multiforme : fragilité du moi, de la peau, de la pensée. Tout cela fait apparaître ou réactive des positions anciennes et des problématiques non résolues. Le trop-plein énergétique ne trouvant pas suffisamment d'objets ou de moyens sublimatoires efficaces pour s'extérioriser, à défaut il utilise les moyens dont dispose la société. C'est ce qui explique le foisonnement des objets transitionnels à formes variées dans la vie quotidienne : téléphones portables, gobelets de café... Dans pareil contexte, cela s'apparente à un retour du refoulé ou à des actes manqués, signes d'un malaise généralisé.


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