Deux ministres et non des moindres dans la hiérarchie gouvernementale française vont effectuer une visite en Algérie, ces jours-ci. D'abord celui de la Défense, Jean-Yves Le Drian, attendu dès aujourd'hui, lundi, puis Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères qui suivra les 8 et 9 juin prochain. Si rien n'est dit sur l'objet de ces visites, outre les raisons invoquées habituellement de «renforcement de liens de coopération» et autres lieux communs, ces visites répondent sans aucun doute à une conjoncture politique et sécuritaire dans la région africaine et sahélienne qui s'est emballée ces dernières semaines et qui fait, quoi que l'on puisse dire, qu'Alger devient incontournable. L'on relèvera, par ailleurs, que ces deux visiteurs français sont les premiers Occidentaux de ce rang, à rendre visite à l'Algérie suite au 4e mandat de Bouteflika. C'est dire qu'entre Alger et Paris, la lune de miel se prolonge. Le 17 mai, soit il y a seulement quelques jours, Paris organisait dans l'urgence un mini-sommet réunissant les chefs d'Etat du Nigeria, du Tchad, du Niger, du Cameroun et du Benin et en présence d'invités des Etats- Unis, du Royaume-Uni et de l'Union européenne. L'objet affiché de cette rencontre par le chef d'Etat français est la coordination de la lutte régionale contre l'organisation terroriste Boko Haram qui sévit au Nigeria et dont les derniers crimes ont consisté en l'enlèvement de plus de 200 jeunes Nigérianes. Pourquoi François Hollande a convoqué cette rencontre sur Boko Haram alors que ce pays n'était traditionnellement pas dans la zone d'influence française ? Les Occidentaux et à leur tête le chef d'Etat français sont arrivés à la conclusion que cette organisation terroriste ne sévissait pas sur le seul territoire nigérian, qu'elle a placé ses tentacules y compris au Mali et que, affiliée à Al Qaïda, elle constitue une menace et risque d'attenter à ses intérêts dans toute la région. Au final, les participants ont adopté un plan prévoyant la coordination du renseignement, l'échange d'informations, le «pilotage central des moyens», la surveillance des frontières et «une présence militaire autour du lac Tchad et une capacité d'intervention en cas de danger». C'est dire que mine de rien, ce mini-sommet a pris des engagements qui vont bien loin et qui permettront sans aucun doute de précipiter, entre autres, la mise en place par la France d'un accord de défense avec le Mali, pays dans lequel elle intervient déjà au moyen de la force SERVAL (2 500 militaires français) et qui prévoit en plus la mise en place d'une base militaire près de la frontière algéro-malienne. La France a cependant appris à ses dépens que le seul accord avec le Mali n'a pas réglé les problèmes dans ce pays et la stabilité qu'elle disait rechercher dans la région est loin, très loin d'avoir été obtenue par ses interventions militaires, facilitées d'ailleurs par l'Algérie qui lui a accordé un droit de survol par ses avions de guerre de son territoire. Il faut donc aller plus loin, avec d'autres partenaires et c'est à quoi s'attelle aujourd'hui le ministre français de la Défense qui a pris son bâton de pèlerin, sillonnant toute la région : après la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Mauritanie, il parcourt en ce moment le Congo et le Tchad. Alger est sa prochaine étape, parce qu'Alger, de l'avis des responsables africains eux-mêmes, est incontournable. La France, qui selon certains observateurs est en train de réorganiser son dispositif militaire en Afrique «pour une conception régionale du contre-terrorisme» sait, plus que tout autre, que sans Alger, ce dispositif est voué à l'échec. Elle le sait plus encore depuis que le MAE algérien tente inlassablement de donner au pays la place qui lui revient du fait de sa dimension géographique et économique (de par la richesse de son sous-sol) dans la région et en raison notamment de l'expérience de ses services de défense dans cette lutte antiterroriste. C'est cette dernière d'ailleurs, qui explique le ballet diplomatique africain que connaît actuellement le pays qui reçoit de nombreuses délégations qui viennent demander de bénéficier de l'expérience algérienne en matière de sécurité. Paris ne désespère pas d'ailleurs de signer avec Alger un accord de coopération sécuritaire, comme elle compte d'ailleurs le faire avec le Tchad, le Niger et la Mauritanie. Cet aspect va probablement être discuté, si ce n'est plus, lors de la visite de Le Drian. Toute la question est de savoir dans quel rapport de force ces discussions auront lieu et si l'Algérie fera valoir son poids dans ces discussions. La réponse tient naturellement aux concessions qu'ont pu faire les décideurs algériens au pouvoir de l'Hexagone dont le Président s'est, rappelons-le, précipité à être le premier à féliciter le Président Bouteflika pour son quatrième mandat. La visite de Laurent Fabius arrêtée pour les 8 et 9 juin prochain, ne consiste-t-elle pas une suite logique à cette concession et dont les bénéfices français ne pourraient pas se limiter aux seuls gains économiques, colossaux, certes, mais aussi géopolitiques, si l'Algérie laisse la France faire comme elle l'entend dans la région. Car il va sans dire que cette effervescence française a une finalité bien plus vaste que le seul problème de lutte antiterroriste. La France n'a pas, malgré le changement de régime, abandonné sa politique de la France-Afrique.