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SAHEL
Le Maroc, un sous-traitant de la Françafrique ? (2e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 11 - 03 - 2014

Par Mostefa Zeghlache, ancien cadre au ministère des Affaires étrangères
En toute clarté et sans complexe aucun, le régime marocain fait sienne la politique néocoloniale française en Afrique, particulièrement francophone.
Le roi l'a déclaré lors du sommet de l'Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique, tenu à Paris en décembre 2013, à l'instant même où la France envoyait ses troupes en République Centrafricaine, en proie à de très graves troubles qui persistent et s'aggravent de jour en jour, mettant en «joue» la minorité musulmane dans ce pays. A cette occasion, le souverain avait déclaré : «Je voudrais rendre hommage à l'intervention courageuse et décisive de la France et du Président François Hollande qui a été renforcée par l'engagement de nombreux pays africains et de la Cedeao pour vaincre la menace terroriste et restaurer la souveraineté du Mali sur l'ensemble de son territoire.» Cette déclaration n'apporte pas de nouveau à une position marocaine constante de soutien à l'intervention française. En effet, en janvier 2013, le ministre marocain de l'Intérieur avait organisé, à Rabat, une réunion «sécuritaire» avec ses homologues de l'Intérieur français, portugais et espagnol. A l'issue de cette réunion, lors d'une conférence de presse, le ministre marocain avait exprimé «le soutien sans réserve du Maroc à l'intervention militaire française au Mali pour défendre la souveraineté de ce pays africain».
Il avait ajouté que «la France est intervenue en République malienne pour lutter contre le terrorisme et contre les atteintes à son intégrité territoriale et à la sécurité de ses populations», et conclu que «le Maroc a, dès la première heure, fait public son soutien au Mali face aux mouvements séparatistes menaçant la paix et la sécurité, non seulement du Mali et du Sahel, mais aussi celles de tous les pays de la région». La Françafrique ne pouvait trouver meilleur allié.
L'alignement du Maroc sur la politique de la France en Afrique et plus précisément au Sahel est, semble-t-il, apprécié. C'est la réponse du berger à la bergère : le Maroc soutient le déploiement de la France qui, au retour, soutient le Maroc dans le conflit sahraoui. Mais cette idylle est en passe d'être remise en cause par la justice française qui a mis dans l'embarras les autorités françaises et «scandalisé» le Makhzen à la fin de février 2014, en cherchant à entendre le patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi qui accompagnait son ministre de l'Intérieur en visite en France. La justice avait agi sur la base de deux plaintes contre le patron du contre-espionnage marocain déposées par une ONG «Action des chrétiens contre la torture», et un Franco-Marocain, Adil Lamtalsi qui se plaignait d'avoir été torturé au Maroc en 2008.
Mais la goutte qui a fait déborder le vase a été la déclaration, en 2011, de l'ancien ambassadeur français aux Etats-Unis, faite à un acteur espagnol et publiée par le journal Le Monde dans laquelle le diplomate aurait dit : «Le Maroc est une maîtresse avec laquelle on dort la nuit, dont on n'est pas particulièrement amoureux, mais qu'on doit défendre.» Ce fut le tollé général à Rabat qui, en guise de «représailles», a reporté la visite de Nicolas Hulot et «suspendu» sa coopération judiciaire avec la France ! Le président français a dû appeler le souverain marocain pour «lui transmettre un message de confiance et d'amitié». Cet épisode reflète bien la «considération et le respect» dont jouit le Maroc auprès des responsables français. Néanmoins, s'agissant du Sahel, le soutien marocain n'est pas seulement politique, il est aussi militaire. Dans un article intitulé «De Laâyoune à Tombouctou» publié dans Jeune Afrique n° 2771, François Soudan révèle que c'est «dans la plus grande discrétion, (que) des forces spéciales marocaines ont été engagées sur le terrain au Mali, dans le cadre de l'opération Serval». De même, des avions de chasse français Rafales auraient survolé le territoire marocain en direction du Mali.
Et plus récemment encore, certaines sources de presse ont annoncé la participation de militaires marocains en République centrafricaine, dans le cadre de l'opération «Sangaris» menée par la France dans ce pays. La collaboration marocaine à la stratégie française au Sahel est, selon Rabat, appréciée tant par Paris que par Washington. Et ce serait à l'initiative marocaine que le ministre français de la Défense aurait finalement accepté d'inclure le MNLA dans le processus de dialogue en cours, comme l'a révélé la journaliste Lila Ghali : «Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a admis hier avoir eu ‘'des relations fonctionnelles avec le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA)''.» (article intitulé «La France contrainte de s'allier avec le MNLA au Nord du Mali»).
La politique algérienne au Sahel :
pragmatisme et réalisme
Comme on vient de le constater, le Maroc déploie tous azimuts ses moyens politiques, diplomatiques, économiques, voire culturels à la frontière méridionale de l'Algérie avec la ferme intention de perturber ses efforts pour une solution négociée, viable et durable aux problèmes d'une zone sensible qui constitue le prolongement naturel du territoire algérien. De même, la position stratégique de notre pays dans la région sahélo-saharienne est remise en question par le Maroc qui, selon Mohamed Benhamou, président du Centre marocain des études stratégiques, «conteste la théorie algérienne de l'Etat-pivot qui se traduit par une volonté de mise sous tutelle de toute la région sahélienne». Qu'en est-il alors de l'attitude algérienne face à ces défis ?
Dans ce contexte de défi, en apparence de nature exclusivement politico-sécuritaire, voire doctrinale, se greffe un autre de caractère socio-économique touchant les populations arabo-berbéro-africaines longtemps maintenues éloignées du processus de développement mené par des pouvoirs centraux installés dans des capitales très éloignées des régions désertiques et pauvres où vivent ces populations. En l'absence d'un interlocuteur crédible et engagé avec ces populations, les revendications pacifiques et légitimes ont été récupérées soit par le discours autonomiste soit par le discours politico-religieux. Cette situation n'était pas sans danger pour les pays de la région, en premier lieu l'Algérie. Pour avoir longtemps connu les affres de l'extrémisme, dont le dernier grand épisode sanglant s'est produit au sud du pays, non loin de la frontière avec la Libye, au site gazier de Tiguentourine, le 16 janvier 2013, et consciente des dangers qui se profilent à ses frontières et des conséquences de leur extension à l'intérieur du pays, l'Algérie s'est très tôt inscrite dans une triple perspective. D'abord, toute approche pour régler ces problèmes doit reposer sur le dialogue avec les représentants légitimes des populations autochtones, ensuite, toute solution exclusivement sécuritaire est vouée à l'échec, et enfin la coordination régionale et internationale est une condition sine qua non dans la recherche de solutions viables, durables et consensuelles aux différents problèmes de la région. Il n'est pas nécessaire de rappeler les engagements concrets et multiformes pris par l'Algérie en faveur des pays africains, notamment ceux du Sahel et cela depuis les premières années de l'indépendance. Solidarité avec les peuples africains en toutes circonstances a de tout temps été le maître-mot de la relation algéro-africaine. Et il serait inutile de revenir là-dessus. Mais dans le contexte du déploiement marocain à la porte sud de l'Algérie, il s'avère utile de rappeler quelques vérités.
Dès que la région du Sahel a commencé à donner les signes d'une sanctuarisation des groupuscules terroristes, particulièrement après la chute du régime de Kadhafi, l'Algérie a mis tout son poids politique, économique et militaire pour soustraire cette région aux périls qui s'annonçaient. Cette démarche venait en soutien à ses efforts de médiation entre le pouvoir central à Bamako et les mouvements séparatistes.
L'objectif de l'action algérienne est d'aboutir à une solution africano-africaine, sans interférence occidentale, mais avec l'appui de tous les Etats, y compris non africains. Cette vision ne cadre à l'évidence pas avec celle de Rabat et même de Paris. Néanmoins, Alger est parvenue à sensibiliser ses partenaires africains du Sahel sur la nécessité de prendre en charge, en commun, les problèmes de la sous-région. C'est ainsi qu'est né, à Bamako, le 20 mai 2011, le Comité d'état-major opérationnel conjoint (Cemoc), regroupant les chefs d'état-major du Mali, d'Algérie, de Mauritanie et du Niger, et dont le siège a été fixé à Tamanrasset, en Algérie. On appelle ces pays les «pays du champ». Entre autres objectifs, le Cemoc devait créer, dans un délai de 18 mois, une force commune d'intervention pouvant regrouper jusqu'à 150 000 hommes.
Par ailleurs et pour renforcer leurs capacités d'action, les pays du champ avaient tenu, d'abord à Washington, le 8 novembre 2011, une réunion avec les Etats-Unis consacrée à la situation militaire et sécuritaire, ensuite à Bruxelles le 8 décembre 2011, une réunion de coordination avec l'Union européenne (réunion Sahel-UE) pour débattre des moyens de lutte contre la pauvreté et le terrorisme au Sahel.
Prenant conscience que l'action militaire n'est pas la solution, les pays du champ ont créé, à Nouakchott, deux comités. L'un politique, au niveau des ministres des Affaires étrangères, chargé de la mise en œuvre et du suivi des décisions politiques du groupe ; et l'autre technique chargé du suivi des projets de développement structurants «ayant un impact direct sur l'amélioration du niveau de vie des populations des zones enclavées». Le Nigeria et le Centre africain d'études et de recherche sur le terrorisme, dont le siège est à Alger, participent aux travaux de ces comités.
La proclamation, le 6 avril 2012, de l'indépendance des trois régions nord du Mali par le MNLA est venue compliquer la donne. Mais depuis, cette revendication s'est atténuée sans disparaître.
Le MNLA se présente plutôt comme un interlocuteur attitré avec la France et les autorités maliennes, sous prétexte que ses hommes connaissent mieux le terrain du nord du Mali «Azawad» que les troupes françaises et de la Cédéo auxquelles il souhaite prêter main-forte pour reprendre le terrain laissé vacant par ses anciens alliés d'Ansar Eddine et du Mujao et tenter de s'imposer comme l'interlocuteur inévitable, voire le seul des autorités centrales maliennes.
Par ailleurs, et comme on l'a déjà évoqué, le président malien s'est rendu en visite de travail en Algérie les 18 et 19 janvier 2014, après une visite en Mauritanie. Commentant l'événement, le site malien Mali-Web écrivait en substance «(...) Le dossier du Nord se résoudra avec l'Algérie ou ne le sera jamais... En plus d'une longue frontière commune, l'Algérie dispose d'une expérience avérée qui pourrait être de grande utilité dans la résolution de nos problèmes internes qui, en réalité, ne le sont plus. D'où une nécessité de réponse globale dans laquelle l'Algérie devrait jouer un rôle de premier plan. Autant dire, en toute objectivité, que l'Algérie est beaucoup plus un atout aujourd'hui qu'un ennemi à frapper d'ostracisme» (article «Visite d'IBK en Algérie :
les manœuvres torpilles» du 21 janvier 2014). A l'issue de cette visite, le ministre malien des Affaires étrangères a déclaré que «des mouvements armés du nord du Mali avaient demandé aux autorités algériennes de les aider à peaufiner une plateforme de dialogue pour se préparer à des négociations inclusives.
Le gouvernement algérien a accueilli favorablement la démarche... Donc, il faut positiver cette démarche qui permettra aux mouvements armés, à la société civile et aux communautés du Nord de participer à un dialogue inclusif, lequel se fera à Bamako, entre Maliens, pour trouver une issue favorable à la crise». Pour sa part, le ministre algérien des Affaires étrangères a ajouté que «les discussions entre les mouvements du nord du Mali et notre pays sont à présent des pourparlers exploratoires. L'objectif étant de relancer le dialogue inter-malien».
Tout comme la visite du président malien a permis aux deux parties d'instituer un comité bilatéral stratégique sur le Nord-Mali. D'ailleurs, ce comité a tenu sa première réunion à Alger les 2 et 3 mars. Selon le ministre malien de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord, présidant la délégation de son pays, ce comité a été créé «pour prendre en charge l'ensemble des questions qui structurent les relations entre l'Algérie et le Mali sur cette question (nord du Mali) précisément». Le dialogue inter-malien s'ouvrira bientôt à Bamako. Dans le communiqué commun publié à l'issue de la première réunion du comité, «les deux pays sont convenus à conjuguer leurs efforts pour créer un front uni contre les menaces à leur sécurité, notamment le terrorisme, le trafic de drogues et le crime organisé» (agence APS du 4 mars 2014).
D'ailleurs, certaines sources de presse, en particulier maliennes, considèrent que la récente visite de Boubacar Keita à Alger témoigne de la confiance que les nouvelles autorités maliennes investissent en l'Algérie considérée comme un médiateur fiable et crédible.
Ainsi, il s'avère clairement qu'avec l'Algérie, on est loin du cafouillage et de l'improvisation de la «stratégie» marocaine. Il est évident que le poids et le rôle de l'Algérie dans cette partie du continent gênent certains intérêts et ne lui procurent pas que des amis. Ces dernières années, on a constaté la recrudescence des actes d'hostilité manifestés par le Maroc contre l'Algérie. Pour sa part, cette dernière gère cette situation avec une certaine flexibilité, ainsi que l'a souligné l'actuel ministre des Affaires étrangères qui a déclaré à la chaîne de télévision russe Russia Today, «l'Algérie entretient des relations normales et diversifiées avec le Maroc... Certains incidents surviennent de temps à autre. Nous souhaitons qu'ils n'aient pas lieu, mais lorsqu'ils se produisent, nous privilégions toujours, en Algérie, la solution pacifique à tous les différends».
Ce sont des propos sages et une attitude responsable qui honorent leur auteur et l'Algérie, mais qui risquent d'être mal compris par l'opinion publique algérienne. En effet, comment justifier cette souplesse officielle lorsque c'est l'Algérie qui est la cible de cette campagne marocaine hostile ? Est-ce qu'une réplique un peu plus marquée dans le fond, la forme et le ton ne s'impose-t-elle pas pour remettre à sa place l'auteur de cette attitude inamicale ?
Par ailleurs, s'il existe au Maroc une volonté sincère de s'insérer dans la dynamique de sauvetage de la région sahélo-saharienne entreprise par les Etats de la région sous l'égide de l'Algérie (Cemoc, notamment), les autorités de ce pays auront intérêt à se délester de l'esprit de blocage, voire de provocation à l'encontre de l'Algérie, qui ne sert les intérêts d'aucun des pays de la région — dont le Maroc qui n'est nullement à l'abri des coups de forces de déstabilisation actives dans la région — ni le Grand Maghreb arabe, ni l'Afrique entière. La question sahraouie est prise en charge par les Nations unies depuis de nombreuses années et les deux protagonistes dans ce conflit sont identifiés et connus. Et c'est en cette qualité mutuellement reconnue qu'ont eu lieu, par le passé, les pourparlers de la banlieue de New York sous l'égide des Nations unies.
L'Algérie, le Maroc et le Maghreb auront tout à gagner avec des relations apaisées, décomplexées et équilibrées. L'exemple nous est donné par deux pays européens, l'Allemagne et la France, que séparaient une guerre (1871), deux guerres mondiales (1914-1918 er 1939-1945) et un litige territorial (Alsace-Lorraine) et qui, non seulement aujourd'hui filent la quasi-parfaite entente, mais sont devenus les principaux leviers de l'intégration européenne. Pouvons-vous faire au moins autant ? Pourquoi pas ? Il est permis de le croire en gardant à l'esprit un certain rendez-vous maghrébin à Tanger, un 27 avril 1958.


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