Avec Contes kabyles d'autrefois revisités, Boussad Ibazizène signe un recueil de textes où il parvient à trouver le juste équilibre entre conte, nouvelle et chronique. C'est un mariage plutôt réussi entre le réalisme et l'imaginaire, le fantastique et le merveilleux. Le genre d'auteur qui fleure son terroir tout en proposant des récits modernes et dynamiques. «Voici des histoires dont l'essentiel est tiré de faits vécus, il y a longtemps. Les noms des personnages sont remplacés par des noms fictifs et au fil de l'histoire, les actions sont imaginées, se dénudent de leurs faits véridiques, se déforment par des mises en scène ou des actions inventées afin de permettre à la plume quelque peu imaginative de l'auteur de s'égarer dans des narrations romancées», est-il écrit dans l'avertissement au lecteur. Ces contes «revisités» se déclinent donc comme des contes vus et interprétés autrement, d'une manière nouvelle et fonctionnant sur divers registres. La fantaisie de Boussad Ibazizène, c'est de produire une œuvre d'imagination puisée aux sources de l'authenticité et dans laquelle la création littéraire n'est pas soumise à des règles formelles. Aussi, le lecteur ne doit pas s'attendre à des histoires peu ancrées dans l'espace et le temps, du style «il était une fois dans une époque et un pays lointain...» et ayant toutes les marques de l'oralité. Il découvrira plutôt des histoires courtes ou plus longues, toutes prises dans un contexte précis. Les textes longs sont au nombre de trois : «Le bagnard au cœur d'or» (chapitre 1), «Tayiratent, la femme courage de Berq'Mouh» (chapitre 2) et «Le (s) mariage(s) de la (dé) raison» (chapitre 4). Quant au chapitre 3 intitulé «Scènes rétrospectives : us et coutumes», il contient une série de brèves séquences (au nombre de quatorze) reflétant ce dernier thème. Ainsi découpée et scénarisée, la structure du recueil tranche par son originalité : de la sorte, Boussad Ibazizène réussit à construire des histoires locales dans l'histoire, promenant son lecteur avec souplesse. Le voyage se transforme en une traversée qui offre tout le loisir d'observer des pans entiers de paysages, surtout de faire régulièrement escale pour (re) découvrir des tableaux vivants d'une histoire, d'une culture, d'un riche patrimoine de traditions et de légendes dont l'auteur peint quelques traces émouvantes. Œuvre mémorielle que pareille tentative — au demeurant intelligente, car sans prétention — de revivifier l'héritage de croyances, de coutumes, de rappeler l'idéal de liberté des ancêtres et leur résistance à l'oppression. À la lecture de ces contes, on comprend que cet héritage est autant historique que spirituel et civilisationnel. On comprend aussi qu'il reste beaucoup à faire pour sauver au moins une partie d'un tel patrimoine, pour que les nouvelles générations ne traversent pas les chemins de la liberté et de la modernité appuyées sur des béquilles. En plus d'être une lecture plaisante, l'intérêt du livre est de nous retremper dans le décor et l'atmosphère de la société kabyle de jadis, dans un passé pas si lointain que ça... «Ô fils d'Adam, un conseil : /n'oublie jamais ton pays/ de tes racines, ne te défais/là où tu trouves, souviens-t'en. /Car, de tes ancêtres, même absents, /l'âme existe encore», lit-on à la fin du troisième chapitre. Il y a là plus que de la poésie pastorale ou un chant bucolique : la référence à une identité, à une communauté de souvenirs, d'espérances, d'intérêts, d'affections, de pensées... Peut-être aussi un clin d'œil au grand poète Si Mohand U M'hand ? Boussad Ibazizène, cet enfant du pays, tisse son ouvrage comme les artisans de la région : le fond est ancestral, authentique, seule la forme des textes s'adapte à des combinaisons et des variantes nées de l'imagination créatrice de l'auteur. Par exemple «Le bagnard au cœur d'or», une histoire s'étalant sur cinquante pages et qui ouvre le recueil. Il s'agit bien,ici, d'un texte fantastique et non d'un conte. Le récit fonctionne, en effet, sur deux registres à la fois : le réalisme et l'imaginaire. L'auteur a inventé les personnages dont Moh U Saïd (le héros) dont il raconte l'histoire. Le contexte et les noms de lieux, eux, sont réels. La légandaire Lalla Fadhma n'Soumer, qui a mené une farouche résistance anticoloniale au milieu du XIXe siècle, apparaît à un moment donné de la vie du héros. Pour lui, c'est un tournant. Au cours d'une bataille, Moh U Saïd est blessé au bras, son héroïne faite prisonnière... Il participe ensuite à l'insurrection d'El Mokrani, devient bandit d'honneur. Sa tête est mise à prix. L'évènement qui affecte la vie du héros, c'est la trahison d'un lointain parent. Arrêté, il est déporté à Cayenne. C'est là que «Le Bagnard au cœur d'or» va vivre un autre événement qui va changer sa vie. un miracle qui permet à Moh U Saïd de rentrer enfin chez lui. Et comme «la vengeance est un plat qui se mange froid»... Autre hymne au courage, mais cette fois avec une part plus importante d'imaginaire : le texte merveilleux qui raconte l'histoire de Tayiratent, la femme courage de Berq'Mouh». A travers le destin de Ldjouher — devenue une héroïne après avoir tué un lion —, Boussad Ibazizene livre également une histoire complète. Quoique atemporel et ayant certains caractéristiques du conte, ce récit déroule l'action au cœur d'une réalité modeste. L'auteur décrit en profondeur la vie quotidienne de la femme kabyle, sa difficile condition, les règles sociales, ce qui est appelé «l'honneur familial», le mariage, le divorce, etc. Des thèmes que l'on retrouve dans «Le (s) mariage (s) de la (dé) raison», l'histoire qui clôt le recueil. A la différence des deux textes précédents, ce dernier récit emprunte à certaines règles du théâtre (dont le resserrement dramatique dans le temps, le lieu et l'action). Mieux, l'auteur en a fait une nouvelle moderne, mettant en scène des personnages qui ne sont en rien des héros mais des gens du commun. Tout est dit dans le titre de cet autre conte «revisité» et plutôt contemporain. Au cœur du recueil, dans la partie intitulée «Scènes rétrospectives : us et coutumes», Boussad Ibazizène s'applique dans une peinture minutieuse de la société kabyle d'antan et dont il reste quelques particularités. Il y consacre quatorze tableaux enrichis de détails précis et exacts, le tout illuminé par de petites histoires qui se glissent à travers ces détails de la vie quotidienne. Exemples de scènes vivantes : la récolte des olives, «la moisson et le battage du blé», «la tiouizi», «le plat de couscous à tadjmaït», «Anzar», etc. A la fin du recueil, un lexique donne la traduction des mots kabyles employés par l'auteur. Tout cela fait de Coæntes kabyles d'autrefois revisités, un bon livre à lire et à offrir, surtout qu'il est en format de poche et a bénéficié d'une belle conception graphique. Hocine Tamou Boussad Ibazizyène, Contes kabyles d'autrefois revisités, Enag Editions, Alger 2013, 242 pages.