Un général dissident libyen a rallié de nouveaux soutiens parmi la population à sa campagne contre les groupes islamistes, mais sa démarche reste floue et des analystes doutent qu'il ait les moyens de ses ambitions. Khalifa Haftar, 71 ans, qui avait pris part à la révolte contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, a lancé le 16 mai une opération baptisée «Dignité» contre des groupes qu'il a qualifiés de «terroristes» à Benghazi (est), considérée comme le fief de nombreuses milices islamistes lourdement armées. Ces affrontements ont fait au moins 79 morts. Une semaine après les faits, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour lui apporter leur soutien, dans son fief à Benghazi, et à Tripoli même où ses détracteurs, le gouvernement et le Parlement l'ont qualifié de putschiste. Khalifa Haftar a affirmé alors avoir reçu «un mandat du peuple pour en finir avec le terrorisme». Tout en restant évasif sur ses réelles intentions, il a assuré qu'il ne serait pas un «obstacle à la transition démocratique» à un mois d'élections législatives annoncées pour le 25 juin. Pour l'analyste libyen, Abdel Hakim Bridan «la campagne "Dignité" reste floue, l'initiateur n'a pas révélé toutes ses intensions, ni expliquer comment donner à son opération militaire une dimension populaire». Le général qui a pu rallier plusieurs officiers et militaires de la région orientale, y compris de l'armée de l'air, à son «Armée nationale libyenne» a, en effet, procédé à une opération militaire limitée avant de retirer ses troupes, évoquant la nécessité de réorganiser ses unités. «Le général Haftar a promis d'éradiquer le terrorisme mais son objectif est vague, tant il n'a pas précisé les véritables cibles de l'opération», alors que le pays pullule de groupes islamistes radicaux, dont Ansar Asharia, classée récemment «organisation terroriste» par Washington. En effet, même parmi ses «alliés», l'heure est à la méfiance. Plusieurs militaires et politiciens ont annoncé soit leur ralliement à la «lutte anti-terroriste» ou leur appui à l'opération «Dignité», évitant toutefois de citer le nom de Haftar, par crainte de cautionner totalement une campagne qui pourrait mener à une dictature militaire. Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, Benghazi est le théâtre d'une vague d'assassinats, ciblant majoritairement des Occidentaux et des membres des services de sécurité. Les autorités ont échoué jusqu'ici à identifier et arrêter les auteurs de ces attaques, qui n'ont pas été revendiquées. Ces violences ont affaibli davantage l'armée qui cherche à se reconstruire. Les autorités de Tripoli ont accusé le général Haftar d'avoir profité de l'anarchie dans laquelle est plongé le pays depuis des mois pour mener un coup d'Etat tandis que ce dernier a répliqué qu'il n'avait aucunement l'intention de prendre le pouvoir, et qu'il ne fait que répondre «à l'appel du peuple». Dans un communiqué publié samedi, le gouvernement a réaffirmé «sa position ferme de combattre le terrorisme sous toutes ses formes» mais dit rejeter «l'exploitation de ce phénomène pour atteindre des objectifs politiques ou personnels». Le communiqué estime que «les milliers de personnes ayant manifesté pacifiquement vendredi illustraient la nécessité de respecter la légalité et de parachever la construction des institutions de l'Etat dont la mise en place d'une armée et d'une police nationales». Pour l'expert militaire Abdallah al-Kabir, la campagne du général dissident s'apparente à une «planche de salut pour une population, victime d'actes terroristes auxquels l'Etat est incapable de mettre fin». «Les gens autour du général Haftar savent bien que ce dernier conduit un putsh pour arriver au pouvoir mais face à l'incapacité de l'Etat à combattre la prolifération des attentats terroristes, ils préfèrent accorder, temporairement, leur salut à l'armée», a-t-il dit. «Il serait plus facile de faire tomber Haftar s'il prend le pouvoir, qu'éradiquer le terrorisme», estime de son côté le militant politique Salem Al-Oujli qui affiche son soutien au coup de force de Haftar. Il a évité toutefois de comparer Haftar à l'ex-chef de l'armée égyptienne Abdel Fattah al-Sissi, artisan de l'éviction du président islamiste Mohamed Morsi et donné favori à l'élection présidentielle des 26 et 27 mai. «Contrairement à Haftar, Sissi bénéficie du soutien d'une armée disciplinée et forte», a-t-il dit.