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Kiosque arabe
Le baiser du débiteur au créancier
Publié dans Le Soir d'Algérie le 23 - 06 - 2014


Par Ahmed Halli
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Puissance de suggestion de l'image : celle qui m'a le plus frappé ces jours-ci ne vient pas d'Irak ou de Syrie ni même de l'Ukraine, mais elle vient de l'Egypte et plus précisément de l'aéroport du Caire. C'est là que le roi Abdallah d'Arabie Saoudite a fait une escale impromptue vendredi dernier à son retour du Maroc. Une escale ordinaire, technique pourrait-on dire, et qui serait restée banale si elle n'avait pas été marquée par un déploiement protocolaire sans précédent. Comme le roi Abdallah ne pouvait, ou ne voulait pas, se déplacer jusqu'au Caire, c'est Le Caire qui s'est déplacé vers lui. En l'occurrence, le Président Sissi lui-même flanqué de ses plus importants ministres est monté à bord de l'avion personnel du roi, pour saluer le «serviteur des Lieux-Saints». Le «serviteur» en la circonstance a eu droit à un baiser sur le front de la part du nouveau président de la République arabe d'Egypte. Vous me direz qu'un baiser sur le front royal peut être perçu comme un geste de respect filial, qui exclut le caractère servile et humiliant du baisemain. Lequel baisemain, au passage, obéit à des règles et exige une maîtrise absolue du geste, tant de la part du féal que du suzerain. Comme dans un ballet bien réglé, le sujet tente littéralement de happer l'auguste main du seigneur, alors que ce dernier esquisse le geste de se dérober, en laissant aux lèvres du courtisan le bout des doigts à effleurer.
Vu de loin, la distance étant relative, ce rituel paraît simple, alors qu'il a exigé une formation de longue haleine et des aptitudes physiques adéquates. Cette formation comporte, en effet, des exercices d'assouplissement de l'échine du «baiseur de main», condition sine qua non pour être en phase avec la royale raideur de Sa Majesté. Ce qui nous éloigne relativement de ce mouvement simple et sans risques de courbatures, qui consiste à embrasser le front ou le sommet du crâne d'un monarque juché à la bonne hauteur. Ce geste qui s'effectue sans la précipitation ostentatoire, observée dans le baisemain, confère assurément à son auteur une once de dignité, même si l'embrassé en est singulièrement dépourvu. Même s'il a un tarbouche enfoncé jusqu'aux oreilles, et qu'il se ferme ainsi aux voix de la raison. Mais regarder l'Egypte millénaire se penchant sur le front du royaume wahhabite, de récente et controversée extraction, est un spectacle très peu orthodoxe. Je dirais même qu'il constitue un anachronisme, un défi au bon sens et à la raison contrainte à l'exil dans ces zones périnéales, chères aux investisseurs arabes.
Avec juste un rien de discernement, et en levant le nez de ses grimoires, un prédicateur avisé y aurait vu un indice. Faute de liberté et d'objectivité, l'imam de la grande mosquée de La Mecque s'est tourné vers les éléments naturels pour y déceler les signes annonciateurs de la fin du monde, à défaut d'une fin de règne. Le cheikh Saoud Al-Charim, l'un des prêcheurs attitrés de ce sanctuaire, croit en effet avoir vu ces signes dans les dérèglements climatiques que le royaume wahhabite a connus récemment, et notamment des chutes de neige. Ces chutes de neige annoncent le retour des plaines et des rivières dans la péninsule arabique conformément au Hadith qui lie le «jour de la résurrection» au retour de la verdure dans le royaume. Sur ce, on admettra que le front des idées est notablement dégarni, et qu'il ne mérite pas tant d'égards, y compris s'il s'agit d'exprimer la reconnaissance du débiteur à son créancier. On sait en effet que l'Arabie Saoudite a soutenu dès le début le nouveau régime qui a succédé le 30 juin 2013 à celui des Frères musulmans, l'allié naturel, mais encombrant de Riyad.
Idéologiquement, rien ne devrait distinguer ou diviser les islamistes égyptiens et leur source d'inspiration wahhabite, mais il est connu depuis Mouaouia que les luttes d'influence ignorent souvent l'ancrage idéologique. Cet ancrage se décline en quelques centaines de mots à peine, et serait d'une pauvreté plus affligeante encore s'il n'y avait cette source intarissable de Hadith à laquelle ils s'abreuvent sans vergogne. Langage invariable, puisé dans le prêt à apostasier, discours et programme commun à tous les islamistes, qu'ils prônent l'islamisation des plages, ou l'instauration d'un Etat islamique en Irak et en Syrie. Il suffit d'ailleurs de comparer la «littérature» des uns et des autres pour se convaincre de la similitude des références idéologiques, des objectifs et des stratégies de conquête. Ici, on se borne à vociférer contre les ibadites, faute de chiites trop peu nombreux, trop peu présents, pour déclencher une guerre, comme celle qui se profile entre les deux grands courants de l'Islam. Les plus jeunes vont sans doute rallier Mossoul, pour pouvoir affronter les milices de l'imam Moussa Sadr qui paradent dans Baghdad, et seront rejoints peut-être par le Hezbollah qui a défait le Liban et tyrannise les Libanais, faute de détruire Israël. Certains agissent plus discrètement et sans doute plus efficacement en soutenant en sous-main l'insurrection de l'EIIL, appuyée par l'Arabie Saoudite, au nom de la lutte contre le danger iranien. C'est du moins ce qu'a affirmé la semaine dernière l'ambassadeur d'Irak à Alger qui a confirmé l'existence d'une filière algérienne, avec des personnalités algériennes impliquées, directement ou indirectement, dans le conflit. Un rapport des services américains avait fait état de cette implication, en avançant les noms de huit politiques et hommes d'affaires algériens, dont deux ambassadeurs. Sans réellement étayer les accusations des services secrets américains, l'ambassadeur a affirmé qu'il appartenait aux services de renseignement algériens de faire une enquête à ce sujet. Tout comme il a déploré le manque de soutien de l'Algérie au gouvernement de son pays, et dénoncé le rôle d'un pays proche, sans nommer l'Arabie Saoudite. Tiraillé entre deux intégrés, l'un sunnite et l'autre chiite, l'Irak semble être bien loin de commencer l'apprentissage de la démocratie, comme la promettaient les Américains, après l'invasion du pays.


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