La participation de l'Algérie au défilé militaire qui sera organisé le 14 juillet à Paris, à l'occasion de la célébration de la fête nationale de la France, est loin de faire des joyeux du côté de la rive sud de la Méditerranée. Sofiane Aït Iflis - Alger (Le Soir) Nombre de partis politiques estiment qu'il est pour le moins incongru que les autorités algériennes daignent autoriser la parade de nos militaires sur les Champs-Elysées, tant il est vrai que, même avec l'arrimage de la date au centenaire de la Première Guerre mondiale, la symbolique ne saurait être la même pour les Algériens et les Français. L'engagement d'Algériens dans la Première Guerre mondiale n'a pas été, dans la majorité des cas, un fait volontaire mais a procédé d'un enrôlement contraint par les autorités coloniales. Certes, leur contribution à la liberté est un fait indéniable mais elle ne saurait être, un siècle plus tard, détachée du contexte colonial dans lequel elle était intervenue. «La participation vise à rendre à nos valeureux aînés l'hommage qu'ils méritent pour le sacrifice de leur vie pour la liberté d'autrui et la leur propre», expliquait dimanche le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra. Cette expression sur un sujet qui ne manquera pas de faire débat, voire susciter des polémiques, apparaît ténue. En tout cas, elle n'est pas assez inspirée pour qu'elle draine l'adhésion de l'opinion nationale. Déjà que l'effort de communication sur la question a accusé des ratés, comme à chaque fois que la préoccupation relève de sujets sensibles. Il aura fallu, en effet, que la presse française tartine autour de la participation algérienne à la parade militaire du 14 Juillet pour qu'enfin une voix officielle algérienne confirme. Une voix, celle de Lamamra, en l'occurrence, qui a manqué de convaincre. Les premières critiques sont là. En tête, celle de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM). Dans une déclaration publique dimanche, Saïd Abadou s'est élevé contre la parade des militaires algériens à l'occasion de ce 14 Juillet. Pour lui, il aurait fallu qu'intervienne d'abord la reconnaissance par la France de ses crimes coloniaux en Algérie. Les partis de l'opposition, dans leur majorité, font part du même sentiment. Ceux qui ont daigné afficher leur point de vue pensent qu'il fallait d'abord assainir les dossiers en suspens avant même de concevoir cette participation. Cet avis est partagé par les partis de la mouvance islamiste. Le parti Ennahda l'exprime clairement. Il estime que l'acquiescement de l'Algérie à la parade militaire n'aurait pas dû avoir lieu, tant est que bien des dossiers conflictuels entre l'Algérie et la France attendent d'être traités. Abderrazak Mokri, le président du MSP, a, sur sa page Facebook, soutenu que les Algériens morts durant la Première Guerre mondiale ne s'y étaient pas engagés de leur propre gré. En revanche, les partis au pouvoir, notamment le RND et le FLN, ne s'encombrent pas, eux, de remarques particulières à propos de cette actualité qui fait débat ici et en France. Pour ces deux partis, la participation des militaires algériens au défilé du 14 Juillet n'affecte pas la mémoire, sinon mieux encore aide au rapprochement progressiste entre l'Algérie et la France. Ils adhèrent, ce disant, aux explications données par le ministre des Affaires étrangères. Zineddine Tebbal (MSP) : «Il faut annuler cette participation» Le Mouvement de la société pour la paix (MSP) appelle carrément à l'annulation de la participation algérienne à la parade du 14 Juillet. Un appel lancé par Zineddine Tebbal, le chargé de la communication au niveau du parti, joint au téléphone. «Nous faisons nôtre la position des moudjahidine que nous appuyons. Nous joignons notre voix, qui ne peut pas être plus haute que la leur, pour appeler à l'annulation de la participation. Nous rappelons que la page de la colonisation n'est pas encore tournée. Elle ne le sera que lorsque le fait colonial en Algérie sera criminalisé. Le gouvernement français nous doit, pour le moins, des excuses pour les crimes de la France coloniale en Algérie. S'agissant de la décision algérienne de consentir à cette parade, on se demande à quelle utilité elle pourrait obéir. Il y a un flagrant manque de transparence.» S. A. I. Abdelkader Boudjouras, porte-parole du Front national algérien : «La participation n'est pas honorable» La participation de l'Algérie à la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, prévue le 14 juillet à Paris, «n'est pas honorable». C'est ce qu'a déclaré hier le porte-parole du Front national algérien (FNA), Abdelkader Boudjouras. «Nous sommes chauvins», dira ce cadre dirigeant du parti de Moussa Touati, affirmant le nationalisme exacerbé de sa formation politique. Un nationalisme qui justifie une positive négative vis-à-vis de la présence algérienne aux festivités organisées par la France et qui aurait dû reconnaître ses crimes coloniaux, estime-t-on. Une reconnaissance que le FNA considère comme préalable incontournable avant toute participation algérienne aux activités et d'autant que le parti de Moussa Touati considère que «le colonialisme reste encore présent en Algérie». Tewfik Benalou de Ahd 54 : «Il fallait penser aux martyrs» «Ceux qui ont pris cette décision auraient dû penser aux martyrs», déclarait hier le responsable de la communication du parti Ahd 54, Tewfik Benalou. Selon ce cadre dirigeant du parti de Ali Fewzi Rebaïne, la position de ce parti vis-à-vis de la participation algérienne aux festivités commémoratives de la Première Guerre mondiale, prévues le 14 juillet prochain à Paris, est «très claire, précise et nette». «Ahd 54 est contre cette participation», déclare son porte-parole qui rappelle que l'Algérie est «le pays de 1 million et demi de martyrs». Djelloul Djoudi du Parti des Travailleurs : «L'Algérie est indépendante, souveraine» L'Algérie est un pays indépendant, «souverain», assurait hier le porte-parole du Parti des Travailleurs (PT), Djelloul Djoudi. «L'Algérie a arraché son indépendance par un combat acharné, elle a chassé le colonialisme et est un pays souverain», rappellera ce responsable du parti de Louisa Hanoune. Et dans cette mesure, la participation algérienne aux festivités commémoratives de la Première Guerre mondiale, prévues le 14 juillet prochain, ne constitue pas en soi une atteinte aux martyrs, estime-t-on. Voire, l'Algérie peut participer à ces festivités, sans que la souveraineté du pays n'en soit affectée, agrée-t-on tout en rappelant que le PT œuvre à consolider, «défendre» la souverainté nationale sur le plan économique. Nouara Djaâfar du Rassemblement national démocratique (RND) : «La participation n'affecte pas la Révolution, la mémoire» La participation de l'Algérie aux festivités commémoratives de la Première Guerre mondiale à Paris le 14 juillet prochain, le Rassemblement national démocratique (RND) n'y voit aucun inconvénient. Se référant aux déclarations du ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qui «l'a bien expliqué», la porte-parole du RND, Nouara Djaâffar considère que l'Algérie participera à ces festivités, comme 80 autres nations qui ont contribué à la libération de la France et de l'Europe. «Pourquoi ne pas y participer», estime-t-on au RND, dans la mesure où cela «n'affecte pas la Révolution algérienne, la Mémoire» et que cela s'inscrit dans le contexte dynamique de la Relation Algérie-France. Fateh Rebaï du parti Ennahda : Un préalable : traiter les nombreux dossiers en suspens Innoportune, la participation de l'Algérie aux festivités commémoratives de la Première Guerre mondiale l'est pour le parti Ennahda. Selon un cadre dirigeant de ce parti, Fateh Rebaï, l'Algérie ne devrait pas participer à ces festivités dans la mesure où un préalable n'a pas été assuré. «Nombre de dossiers restent en suspens et qu'il aurait fallu traiter», considère Fateh Rebaï, évoquant notamment les crimes et méfaits coloniaux, la nécessité de la repentance et de l'indemnisation, les retombées des essais nucléaires de Reggane, les mines antipersonnel aux frontières , la loi française de février 2005 glorifiant le colonialisme, les actes injurieux et hostiles vis-à-vis du peuple algérien, la profanation du drapeau algérien... Des considérants que la partie française aurait dû satisfaire, relèvera Fateh Rebaï rappelant la nécessité pour la France de présenter des excuses pour ses méfaits. Comme ce cadre d'Ennahda soulèvera la responsabilité de la partie algérienne, laquelle aurait dû être davantage réactive dans le traitement de ces dossiers. Saïd Bouhadja du Front de libération nationale : «La participation s'inscrit dans le contexte du rapprochement algéro-français» Que l'Algérie participe aux festivités commémoratives de la Première Guerre mondiale, le 14 juillet prochain à Paris, le Front de libération nationale (FLN), à l'instar du Rassemblement national démocratique (RND), n'y voit aucun inconvénient. Une présence des militaires algériens que l'on semble considérer comme normale au FLN d'autant que l'Allemagne y participe également et d'autant que nombre d'Algériens sont morts à Verdun. La participation de l'Algérie s'inscrit dans le cadre de l'évolution notable des relations avec la France depuis l'arrivée des socialistes à l'Elysée, relève le porte-parole du FLN, Saïd Bouhadja, qui évoque une «attitude positive» de la France concernant le dossier malien. Ainsi, la participation s'inscrit dans le cadre du «rapprochement progressif» entre l'Algérie et la France, considère Saïd Bouhadja, qui précise néanmoins que l'ancienne puissance colonisatrice doit faire acte de repentance et présenter ses excuses. Et cela, même si un premier pas a été accompli avec l'hommage officiel français aux victimes du 17 octobre 1961, laisse-t-on entendre. Réactions recueillies par Chérif Bennaceur