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L'entretien de la semaine Pr FERHAT, CHEF DU SERVICE ONCOLOGIE MEDICALE AU CHU DE TIZI-OUZOU AU SOIRMAGAZINE :
«Le dépistage précoce du cancer du sein et du col de l'utérus est vital»
En créant il y a huit ans le service d'oncologie médicale au CHU de Tizi- Ouzou, le Pr Ferhat Rabah avait un rêve à réaliser : toucher les 1 513 villages de Kabylie en vue de mener des opérations systématiques de dépistage afin de guérir le cancer du sein et du cancer de l'utérus qui font des ravages en Kabylie. Ce projet noble fait aussi partie du serment fait à son père de consacrer toute sa vie aux malades afin de leur rendre le sourire. Par Salem Hammoum Le Soir d'Algérie : Comment avez-vous atterri dans ce service à Tizi- Ouzou que vous joignez chaque matin, vous qui ne manquiez de rien à Alger ? Pr Ferhat : Je travaillais pendant 20 ans à Alger quand un jour mon maître, le Pr Bouzid, m'a proposé d'ouvrir le centre de Tizi-Ouzou. Une proposition que j'ai acceptée sans la moindre hésitation. Je voyais là une excellente occasion de répondre aux vœux de mon défunt père d'être le premier médecin de la commune de Zekri, ce que j'ai réalisé et m'investir pleinement dans la santé des malades vivant les affres de l'enclavement dans le dur relief de Kabylie auxquels j'allais apporter tout mon capital expérience dans ces villages manquant de tout. Votre vœu s'est réalisé ? Oui et non. J'en suis à ma 5e promotion de médecins spécialistes mais il reste un objectif majeur à réaliser et qui consiste à stopper l'hémorragie du cancer du sein et du col de l'utérus qui fait des ravages en Kabylie chez les femmes de 35 à 45 ans, faute de dépistage précoce. Chose que j'ai voulu réaliser depuis quelques années. Ce projet consiste à aller de village en village pour toucher les femmes car, quand elles viennent, c'est souvent à un stade très avancé et on se retrouve alors souvent devant des situations dramatiques. Et nous n'avons alors qu'à améliorer leur confort avant la fin. Dans ma tête, j'ai voulu les regrouper aux chefs-lieux de communes et de daïras pour aller avec des équipes spécialisées réaliser le dépistage. Le cancer du sein pris à temps, c'est juste une petite chirurgie d'une trentaine de millions de centimes. Au stade métastatique ça peut coûter jusqu'à 20 millions de dinars chaque année, ce qui est énorme pour la société et l'Etat. Mais ces campagnes de sensibilisation se font depuis quelques années déjà ? Ce sont des actions ponctuelles sans réel impact sur la société. On a assisté par contre à des actions avec l'association El Fedjr et si aux premiers jours, les femmes sont réticentes, aux 2e et 3e jours, c'est carrément une déferlante humaine et nous avons été contents de découvrir les cancers à des stades très avancés qu'on a localisés à temps et qu'on a pu ainsi guérir. A quoi sont dus tous ces cancers ? Il n'y a pas d'explication pour ces types de cancers. Pour les facteurs familiaux et génétiques, les examens trouvés en Algérie peuvent être envoyés en France. Mais pour les cancers du côlon et les cancers digestifs, on sait qu'il y a beaucoup de facteurs qui interviennent, parmi eux les facteurs alimentaires. En d'autres termes, en Kabylie chez la femme c'est le cancer du sein et du col de l'utérus et chez les hommes, le cancer du côlon et les cancers digestifs, dus à une alimentation mal équilibrée et autres, qui font des ravages parmi la population. Qu'en est-il de la prise en charge étatique de ce type de maladies en Algérie ? L'Algérie est le seul pays au monde à prendre en charge ses malades à 100% et où l'Etat fait beaucoup d'efforts dans le domaine de la santé. Mais notre travail ne consiste pas uniquement à soigner mais aussi à prévenir la maladie. Et à ce titre, notre pays a tous les moyens de prévenir certaines maladies. Faire des campagnes de sensibilisation anti-tabac pour le poumon, et pour les cancers du sein et du col de l'utérus des examens et une mammographie une fois par pour les femmes à partir de 40 ans. Il y a un programme national pour ça. Aux centres de PMI, les femmes qui vont prendre les pilules doivent faire un examen gynécologique dans le cadre d'une grossesse. Il y a un programme national qui est, certes, mis en place mais ça reste insuffisant car certaines femmes sont réticentes ou ne voient pas l'utilité d'aller à une consultation, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Il faut donc impérativement relancer tout cela car il y a beaucoup de cas qu'on arrive à prévenir. Et mieux vaut prévenir que traiter, ce qui coûte excessivement cher au Trésor public. Qu'en est-il des maladies que l'Algérie n'arrive pas encore à traiter ? Il y a des malades d'ici ou d'ailleurs qu'on envoie pour se faire traiter en France, en Tunisie ou au Maroc et dès que les médecins de là-bas consultent leurs dossiers médicaux et les comptes rendus, la première question qu'on leur pose est : «Pourquoi vous venez ici alors que votre médecin traitant a fait tout le nécessaire ?» Avant d'ajouter qu'ils n'ont rien à leur donner de plus. Donc en matière de technicité et de moyens mis à notre disposition par l'Etat, on n'a rien à envier à l'étranger. Mais les malades pâtissent souvent du manque de médicaments et des ruptures de stocks et sont donc renvoyés chez eux ce qui compromet leurs chances de guérison ? C'est une chose que nous déplorons sincèrement mais depuis quelques années il y a de moins en moins de ruptures. Et ce qui est bien dans le traitement du cancer, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul schéma. Dès qu'il y a rupture de médicaments, il y a 5 ou 6 schémas de traitement. Et chaque fois qu'il y a un schéma ou une drogue qui manque, on passe au schéma suivant. Jamais on ne laisse un malade sans traitement sauf quand il y a une drogue majeure qu'on ne peut pas remplacer. Quel sort est réservé aux malades nécessitant une radiothérapie dont les rendez-vous dépassent une année ? Le gros problème en cancérologie dans la pris en charge de ce type de malades reste en effet la radiothérapie. L'Etat met certes des moyens dans la radiothérapie mais ça prend beaucoup de temps. Ce n'est pas comme l'oncologie médicale où il faut juste une salle, des fauteuils et des drogues. On peut ouvrir des unités d'oncologie médicale en un mois dans n'importe quelle région. Pour la radiothérapie, on n'a pas été très prévoyants. Jusqu'à l'heure présente, il y a cinq centres de radiothérapie à Oran, Blida, Constantine, au CPMC et à Aïn Naâdja pour prendre en charge 45 000 malades. On essaye de rattraper ça et j'espère que d'ici une année, il y aura de très bonnes nouvelles et qu'on sera dans les normes internationales... Le cancer nécessite-t-il des soins infirmiers particuliers et donc un personnel paramédical spécifique ? Le problème qui se pose est que pour l'oncologie médicale il n'y a pas de formation spécifique des TSS. Les paramédicaux qui arrivent ici sont formés sur le tas. Il faut un module sur l'oncologie qui sera inclus dans leur formation. Par ailleurs, les infirmiers formés uniquement en soins généraux viennent ici avec des idées préconçues en se disant que les produits qu'ils utilisent sont toxiques et que de ce fait, ils risquent une stérilité ou un arrêt de grossesse. Nous, on essaye de rectifier en leur disant que, certes il n'existe pas de risque zéro, et que comme en pédiatrie ou en orthopédie il faut être vigilant et savoir prévenir et utiliser les moyens de protection mis à leur disposition. Un mot pour conclure ? Mon souhait est que ma venue il y a déjà huit ans ait été bénéfique pour la population et la région. Mon bonheur est qu'on arrive à faire un diagnostic à un stade très avancé et de dire aux malades qu'il y a beaucoup de chances de guérison. Pas d'être des oiseaux de mauvais augure qui annoncent aux malades de mauvaises nouvelles en leur disant que c'est tardif et qu'on va essayer de calmer leur douleur et de les accompagner jusqu'à la fin. On aimerait bien que nos malades reviennent avec le sourire comme dirait mon maître le Pr Bouzid : «On ne guérit pas le diabète, on ne guérit pas la tension mais on arrive à guérir le cancer s'il est pris à temps.»