Entérinée officiellement, à la satisfaction de l'UGTA, l'abrogation de l'article 87-bis induira certainement une hausse importante de la masse salariale nationale même si la question de son effectivité réelle se posera. Chérif Bennaceur - Alger (Le Soir) - Tenu mardi dernier, un Conseil des ministres a avalisé une mesure qui impactera certainement sur le monde du travail et le budget de l'Etat. Il s'agit de l'abrogation de l'article 87 bis de la loi 90-11 du 21 avril 1990, relative aux relations de travail et pour laquelle «un dispositif de suppression» a été prévu dans le projet de la loi de finances pour 2015. Evoquée à maintes fois, l'abrogation de cet article qui prévoit que le salaire national minimum garanti (SNMG) comprend le salaire de base, les indemnités et les primes, à l'exclusion des indemnités versées au titre de remboursement de frais engagés par le travailleur, est ainsi entérinée officiellement et devrait entrer en vigueur dès janvier 2015. La Centrale syndicale salue Un aval par lequel le chef de l'Etat confirme un engagement électoral mais également une option prise de la dernière réunion tripartite (gouvernement, Centrale syndicale, patronat) comme il répond également aux desiderata de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Ce dont la Centrale syndicale ne manquera pas de se satisfaire. Dans un communiqué diffusé mercredi dernier, le secrétaire général de l'organisation syndicale, Abdelmadjid Sidi-Saïd, assurait en effet que «le secrétariat national de l'UGTA accueille avec une grande satisfaction la décision solennelle prise hier mardi par le Conseil des ministres concernant l'abrogation de l'article 87 bis». Revendiquant depuis des années une telle mesure, l'UGTA s'en «félicite». Comme la Centrale syndicale «salue avec respect et considération la concrétisation de la promesse présidentielle» et qualifie cette mesure de «décision courageuse à inscrire dans la longue liste de son engagement au profit des larges couches de travailleurs». Qui seront concernés ? Néanmoins, des questions se posent. Qui seront concernés par l'abrogation de l'article 87 bis? et comment ? Quel impact financier attendu ? En principe, plus de trois millions de travailleurs des secteurs économiques public et privé sont concernés, indique-ton au niveau de l'UGTA. Un nombre de travailleurs concernés qui tourne autour des 3 à 3,5 millions de travailleurs, relèvera l'économiste, analyste et directeur de l'Institut de développement des ressources humaines (IDRH), Mohamed Bahloul, au regard des statistiques officielles. Certes, l'abrogation de cet article induira «une hausse importante» de la masse salariale, concède cet économiste qui estime néanmoins que «la valeur» de cette augmentation reste à déterminer. Ce sera «très important», assure Mohamed Bahloul, tant pour le secteur public que dans le privé. Et cela même si le secrétaire général de la Fédération nationale UGTA des travailleurs des textiles et cuirs, Amar Takdjout, cité dans un quotidien arabophone, évoque des augmentations salariales variant de 5% à 30%, selon les capacités financières des sociétés. Des augmentations qui toucheront le secteur public, devant être en particulier bénéfiques pour les travailleurs à bas salaires et qui percoivent à hauteur du SNMG (18 000 dinars). De même que les salaires des travailleurs du secteur public, notamment ceux de la Fonction publique, qui ont été déjà et bien revalorisés, seront encore augmentés. Egalement, le secteur privé sera touché, car tenu de répercuter cette mesure, observent également l'économiste Mohamed Bahloul ainsi que le dirigeant syndical. Et cela même si l'économiste Abdelhamid Mezaâche, cité par un journal électronique, estime que la suppression de cet article «va arranger les entreprises privées», dans la mesure où «elle peuvent payer leurs employés à des salaires inférieurs à 18 000 dinars», en toute «légalité». Relevons, ce faisant, que l'application de cette mesure influera indirectement et à des niveaux divers sur les autres catégories de travailleurs formels. Quelle incidence financière ? A charge toutefois que les entreprises privées ne recourent pas au licenciement ou sollicitent des avantages et facilitations fiscales et parafiscales, auprès donc des pouvoirs publics. Outre le fait que les caisses de l'Etat devront prendre en charge toutes les dépenses liées à l'augmentation salariale du secteur public. De fait, la suppression de cet article représentera une charge supplémentaire pour le budget de l'Etat, Mohamed Bahloul s'attendant à davantage d'«aggravation» du déficit budgétaire. Ce faisant, l'incidence financière de la mesure que d'aucuns et notamment l'universitaire et consultant Abderrahmane Mebtoul ont évaluée à quelques 9 à 11 milliards de dollars annuellement, devra être mieux appréciée. Adoptée sur le plan «du principe », relève le directeur de l'IDRH, la suppression de l'article 87 bis devra être traduite concrètement par les entreprises concernées. Il s'agira en effet pour les entreprises tant publiques que privées, au moins celles qui pourront en supporter le coût, de déterminer les modalités d'application de cette mesure. Comment ? En d'autres termes, les entreprises publiques et privées devront définir le mode, les méthodes de calcul des salaires comme le considérera le directeur de l'IDRH. Il s'agira également pour elles de «négocier» ces modifications, dans le cadre des conventions collectives et de branches, selon les secteurs d'activités. Des négociations dont le rythme et la portée dépendront de l'adhésion des entreprises et dans le cas des entreprises publiques, de l'impulsion de l'Etat, des moyens financiers des entreprises notamment privées. Certes, l'Etat en tant que propriétaire des entreprises publiques veillera à l'application de cette mesure présidentielle et dont le contrôle sera garanti, nonobstant les velléités de grèves et de protesta sociale que les travailleurs du secteur public ne manqueront pas d'exprimer. En outre, le problème de l'ajustement des salaires se posera dans la mesure où il faudra éviter le nivellement des salaires (un alignement des différentes catégories de salaires, un travailleur fraîchement recruté et un autre plus ancien ou des ouvriers de catégories différentes étant alignés au même salaire), bien gérer les effets de domino générés et assurer la cohésion, la cohérence de la grille salariale. La mesure devra être traduite réglementairement Une fois négociée, l'augmentation salariale induite devra être cependant confortée au plan réglementaire. En effet, l'abrogation de l'article 87 bis n'a été entérinée que sur le plan du principe. Même si cette mesure est censée entrer en vigueur dès le début janvier 2015, elle devra être cependant confortée par un texte d'application. Certes, le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Mohamed El Ghazi, indiquait mercredi qu'un nouvel article de loi remplacera l'article 87 bis et redéfinira le SNMG. Soit une disposition qui serait contenue dans le nouveau code de travail en projet, laisse-t-on entendre, et qui «touchera toutes les couches de salariés concernés par le SNMG». Mais sera-t-elle effective ? Or, c'est l'effectivité réelle de l'abrogation de l'article 87 bis qui reste incertaine, posant problème. Les entreprises appliqueront- elles bien, totalement et dans les délais le dispositif de reconfiguration salariale qui aura été négocié ? Les textes législatifs et réglementaires nécessaires seront-ils pris dans les délais et de manière claire ? Le nouveau code du travail qui remplace la législation en vigueur depuis 1990 et 1991 et ses modifications ultérieures, sera-t-il ou pourra-t-il être achevé à terme ? Et ce, au-delà de l'incertitude sur une réelle implication des partenaires sociaux et économiques dans l'élaboration dudit code. Or, ce dernier devra être présenté à l'aval parlementaire et puis promulgué et conforté au plan réglementaire. Ce processus complexe sera-t-il achevé fin 2014 ou en 2015 ? Prendra-til du temps ? L'incertitude persiste. A charge cependant que tout atermoiement d'ordre réglementaire ne puisse être interprété comme un moyen de repousser aux calendes grecques la mise en œuvre effective de l'abrogation de l'article 87 bis. Une question de bonne gouvernance Et ce d'autant que la mise en œuvre de celle-ci induira, comme évoqué ci-dessus, une charge supplémentaire pour le budget de l'Etat, dans un contexte où les revenus de l'Etat ne sont pas assez assurés et bien prévisibles, nonobstant l'optimisme affiché par les concepteurs du projet de loi de finances pour 2015. Mais aussi dans la mesure où, considèrent le directeur de l'IDRH mais aussi d'autres économistes, la gestion des finances publiques est loin d'être basée sur une bonne corrélation entre le niveau de rémunération, la sanction économique et la productivité réelle des travailleurs. Voire, cette gestion financière, et par-delà la gouvernance algérienne, reste confrontée au problème de la réforme économique, des réformes structurelles et nécessaires à mener, à vouloir mener. Opportune ou non, l'abrogation de l'article 87 bis ne pourrait être qu'une mesure isolée» selon le directeur de l'IDRH, en l'absence justement d'un engagement à mener la réforme. Soit, d'une bonne gouvernance économique... C. B. L'UGTA maintient sa fidélité au chef de l'Etat La «fidélité et la loyauté pour bâtir une Algérie forte de ses travailleurs, forte de toutes ses forces vives, forte de ses actions pour une justice sociale», l'UGTA s'y engage devant le chef de l'Etat. Dans un communiqué, la Centrale syndicale tiendra à «renouveler au Président de la République nos profonds remerciements et notre infinie reconnaissance, en l'assurant de toutes nos forces de mobilisation sans faille pour appliquer ses orientations, de notre engagement déterminé à soutenir ses efforts pour promouvoir le développement économique dans tous les secteurs et continuer à faire du dialogue social la clé de voûte du règlement de toutes les questions économiques et sociales».