Par Maâmar Farah [email protected] Les terroristes djihadistes qui occupent Derna en Libye viennent de manifester bruyamment leur allégeance à l'Etat islamique. Un long cortège de voitures, feux allumés et klaxons bloqués, a longuement sillonné la ville. Dans cette Libye implosée par une pseudo-révolution populaire manipulée de l'extérieur et dirigée par la France, on ne voit guère cette démocratie promise par les «amis» de Paris, mais plutôt une dangereuse «somalisation» qui risque de souffler non seulement ce pays, mais également toute la région. En fin de compte, là où l'on a voulu renverser les dictateurs dans ce vaste monde arabe, il s'est produit le phénomène inverse : les dictateurs ne sont plus un, mais plusieurs. Et chacun a sa propre idée de la gestion théocratique de la cité : avis contre avis, rite contre rite, fetwa contre fetwa, puis kalachnikov contre kalachnikov... Le parcours est le même partout ! Les lois humaines, dès qu'elles se parent de l'habit divin, ouvrent les portes aux pires déviations car le dirigeant ne s'adresse plus à son peuple comme un homme, mais comme le dépositaire de la seule vérité absolue et quiconque tentera d'émettre un avis contraire ne sera pas considéré comme un opposant politique : il sera jugé comme un «ennemi de Dieu» et un «apostat», un homme bon pour la potence. Voilà où nous en sommes en 2014 ! Voilà où en sont des peuples qui ont rêvé à la démocratie et qui ont tout donné pour qu'elle illumine leurs cieux bien sombres et alourdis par les difficultés économiques et sociales. Ils en sont presque à regretter leurs anciens dictateurs. Car l'on oublie souvent que la première liberté de l'homme, bien avant le vote démocratique et la liberté, est le droit à la VIE ! Et, dans ces pays livrés aux guerres fratricides, pillés, bombardés, brûlés, anéantis ; pour ces gens qui n'ont plus de maison, plus de travail, plus de transports, d'eau potable, d'écoles pour leurs enfants, on aspire d'abord à échapper à la mort qui vous guette à chaque instant, on espère survivre et le fait de voter librement paraît bien dérisoire, futile... Ainsi sont nos pays ! A peine nous disons «adieu» aux dictateurs que nous sommes envoyés illico presto au Moyen-Âge ! Alors que la dictature vous laisse la liberté de choisir votre chaîne satellitaire, de consulter Internet, de voyager, de faire ou non la prière, de vous habiller comme vous en avez envie, de choisir entre la mosquée et d'autres lieux, la «démocratie arabe» vous oblige à vous soumettre au nouvel ordre des talibans, Frères musulmans, Nosra, GIA, Qaïda, Daesh, Baêche, et j'en passe ! La police des mœurs et de la bonne conduite surveillera votre téléviseur, brûlera les livres «laïques», séparera les hommes des femmes comme si, à chaque instant, l'instinct sexuel va les jeter les uns contre les autres ! Ils sont malades, vraiment malades, ces gens qui ne pensent qu'à «ça» ! Voilà notre dilemme : choisir entre la dictature et l'ordre des talibans. Chacun, en son âme et conscience, devra trancher ! C'est d'autant plus dur qu'il n'y a pas un troisième choix et les rêveurs qui pensent qu'une voie démocratique à l'occidentale est possible dans nos pays sont violemment rappelés à l'ordre par la réalité algérienne d'abord (nous sommes précurseurs en tout !) puis par les échecs cuisants des sinistres printemps arabes. Il est, pourtant, deux exceptions qu'il faut citer et qui ne tarderont pas à porter tous leurs fruits, pour peu que les nuisances extérieures ne viennent pas les polluer. La première est celle du Liban qui a pu vivre, par le passé, une intéressante expérience démocratique sur un terrain doublement miné : par le communautarisme religieux d'abord, puis par les diverses et antagonistes forces idéologiques extérieures qui s'y affrontent directement. La seconde est celle de la Tunisie qui sortira indemne de l'épreuve qu'elle traverse et qui sera certainement le meilleur exemple d'une transition démocratique pacifique et réelle. Ce pays, fortement marqué par le bourguibisme et son inlassable quête de mise en conformité aux exigences du 20e siècle —voie fortement appuyée par Ben Ali durant les vingt dernières années —, a tous les atouts pour gagner la bataille de la démocratie. Revenons à la Libye. La bruyante et massive manifestation de Derna n'est que l'expression d'une réalité bien établie aujourd'hui : ce pays est aux mains de multiples milices et factions islamistes qui nous ont laissé tranquilles tant qu'ils s'entretuaient. Mais, unis sous la bannière de Daesh, ils vont représenter une force redoutable et un danger permanent pour notre pays. Il faut savoir que Guedaffi avait importé des armes sophistiquées à coups de milliards de dollars et cet arsenal impressionnant aux mains des terroristes islamistes n'aura d'autres cibles que nos villes et installations économiques. Alors, franchement, parler de réunir les Libyens autour d'une table nous interpelle encore une fois. De quels Libyens parlons-nous ? Il y a d'un côté les légalistes, les forces politiques représentatives et élues démocratiquement, et de l'autre des milices hors-la-loi ! Tout le monde connaît pourtant leur programme «politique». L'Algérie, qui a vécu une lamentable expérience au Mali, devrait réfléchir à deux fois avant de se lancer dans cette aventure. N'ayant pas accepté l'esprit «Sant' Egidio» au plus fort du terrorisme islamiste qui ravageait le pays et massacrait les populations, on la voit mal parrainer un «dialogue» regroupant des terroristes armés jusqu'aux dents et opposés à la République ! Cet épisode malien devrait être rappelé à ceux qui exhibent les négociations actuelles intermaliennes pour promouvoir la voie «pacifique» algérienne, oubliant que le Nord-Mali a été transformé en «Etat islamique», bien avant celui d'Irak-Syrie. Ils oublient que l'ordre des talibans a régné à Gao et Tombouctou ; ils oublient que des femmes, des jeunes, ont été lapidés sur injonction des tribunaux islamiques. Et cela, au moment même où M. Medelci tentait de réunir «tous» les protagonistes à Alger ! Y compris d'ailleurs un mouvement terroriste parrainé par le Qatar qui jouait double jeu et auquel on déroulait le tapis rouge à Alger ! Les populations maliennes et leur gouvernement central suppliaient l'Algérie d'intervenir. Notre Premier ministre et notre diplomatie rappelaient que la Constitution leur interdisait de recourir à la solution militaire et rassuraient tout le monde : le round politique algérois allait régler tous les problèmes. Quant au fameux mouvement terroriste, il ne tarda pas à montrer son vrai visage et fut partie prenante de l'expédition vers Bamako. Prises au dépourvu, les autorités algériennes parlaient de «trahison»... C'est l'opération militaire française qui mit fin à l'Etat islamique de Tombouctou et la seule clairvoyance algérienne fut cette autorisation de laisser les avions français survoler notre territoire pour bombarder ces forces hostiles à l'Algérie qui avaient attaqué les gendarmeries de Ouargla et Tam et qui sont revenues à In Amenas ! Alors, pardon, la Libye, c'est kif-kif et même plus explosif ! Certes, nous avons appris la leçon : pas d'intervention militaire algérienne ! OK ! Mais laissez les autres réparer le mal qu'ils ont fait. Laissez-les étouffer dans l'œuf le danger et empêcher Daesh de menacer nos frontières Est !