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La quête du Livre
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 10 - 2014


Par Hacène Saâdi
Maître de conférences à l'université de Constantine
Les grandes œuvres littéraires depuis Homère et Hésiode jusqu'à nos jours sont, à l'image d'un immense palimpseste (un livre peut toujours en cacher un autre), en transfusion perpétuelle, pour ne pas dire un hypertexte en incessante «perfusion transtextuelle» comme le dirait Gérard Genette, dans l'optique d'une vision utopique borgésienne d'une «littérature inépuisable» (et qui tiendrait dans un seul Livre, jamais fini, chaque texte dit «original» renvoie à un texte antérieur, et que le lecteur recrée à son tour, et ainsi de suite...), laquelle s'est inspirée de Valéry, un Valéry au plus fort de sa poétique et qui, dans sa quête de poésie pure ou absolue, conçoit le poème comme une approximation de l'inaccessible, tous les autres poèmes écrits ou réalisés n'étant que des versions inachevées du même poème idéal, un seul grand poème, comme un seul livre unique et inaccessible. Valery est, à son tour, dans les pas de Mallarmé qui était persuadé qu'il n'y a qu'un seul livre, le livre qu'il a rêvé toute sa vie d'écrire, et dont «Igitur» et «un coup de dés jamais n'abolira le hasard» ne seraient peut-être que des prémisses à cet idéal projeté en avant et toujours recommencé. Sans remonter beaucoup plus loin dans le temps de l'écriture, nous pouvons nous arrêter à Nerval, et citer «Aurélia» ou le «livre infaisable», un livre unique sur les expériences oniriques continues et la «descente aux enfers» d'un narrateur – auteur en quête de salut, et nous demander si c'est un livre achevé ou inachevé.
L'œuvre essentielle de Nerval est un ensemble de fragments très liés les uns aux autres (de Sylvie à Promenades et souvenirs, en passant par Les chimères, Pandora et enfin Aurélia) et qui forment un seul poème, une seule œuvre, loin d'être close sur elle-même, mais résolument ouverte. Est-ce Aurélia un livre palimpseste de «souvenirs à demi rêvés», un héritage de Swedenborg, de Dante, d'Apulée ? La raison écrivant sous les doigts de la folie ou une tentative lucide et douloureuse de transcrire les expériences d'une longue et cruelle maladie ? Un long étrange et fascinant poème onirique, unique dans toute la littérature française ? Aurélia est tout cela et autre chose. C'est un texte extraordinairement beau et lucide sur une pénible traversée de la folie, une œuvre ultime qui n'a cessé de nous fasciner.
En remontant la chaîne des grands écrivains et poètes de toutes les histoires littéraires connues, suivant l'idée borgésienne, on arriverait à un seul immense livre, constitué de transfusions perpétuelles d'apports poétiques d'auteurs originaux à travers les siècles, alimentant ainsi une espèce de fontaine de Jouvence pour les esprits en quête d'écriture capable d'inciter tout lecteur potentiel à produire son propre poème, qu'il soit en vers ou en prose.
L'exemple de la créativité poétique qui résulterait de cette communion privilégiée entre le poète et son lecteur, ou l'art d'établir un lien étroit et subtil entre les expériences multiples d'une vie et l'art d'écrire, est unique chez Rainer Maria Rilke, dans son œuvre essentielle qui va des Lettres à un jeune poète aux Elégies de Duino, en passant par Les carnets de Malte Laurids Brigge et les Sonnets à Orphée. Ainsi, une œuvre d'art, qui pourrait être constituée par un livre unique de poésie pure, exigerait, selon le mot de Rilke, une «volonté de solitude» nécessaire pour celui ou celle qui aurait une prédisposition pour l'écriture afin d'aller à la rencontre de soi, de ce qui lui appartient en propre, et transformer cette vie intérieure, lui donner un sens en l'élevant au rang d'une véritable ascèse à la fois spirituelle et morale mais surtout en une discipline héroïque d'artiste. Pour ce faire, il faut de la patience, de l'abnégation et de la souffrance, le temps de maturation pour cette vie intérieure, un amour de la nature, un intérêt et une attention particulière aux choses les plus simples, les plus anodines de la vie qui nous entoure, pour y découvrir de la grandeur, du merveilleux et du sublime là où les autres ne verront que du banal.
En parlant d'œuvre d'art, de poésie non pas seulement au sens consacré du terme, mais en y incluant la poésie des noms, des personnages et des lieux, qui nous ont marqués ou qui nous ont vu naître, j'ai une irrésistible envie de parler de Roland Barthes, le Barthes de La chambre claire et du Bruissement de la langue. Arrivé au milieu de sa vie (qui n'est pas comme ou pourrait le croire le milieu chronologique d'une vie donnée, mais la conséquence d'un événement important dans sa vie — un deuil cruel — qui pourrait être tardif comme dans le cas de Barthes), Barthes se sent un désir impérieux d'écrire une œuvre qu'il hésite à appeler «roman» ou «essai» ou quelque autre forme d'écriture.
Un événement capital (la mort de sa mère) aurait été à l'origine de cette mutation chez le critique bien connu, comme elle l'avait été pour Proust après la mort de sa mère. Barthes dit, en substance, qu'«un événement (et non plus seulement une conscience) peut survenir, qui va marquer, inciser, articuler cet ensablement progressif du travail, et déterminer cette mutation, ce renversement de paysage, que j'ai appelé le «milieu de la vie».
Rancé, cavalier frondeur, dandy mondain, revient de voyage et découvre le corps de sa maîtresse décapitée par un accident, il se retire et fonde la Trappe. Pour Proust le «chemin de la vie fut certainement la mort de sa mère (1905), même si la mutation d'existence, l'inauguration de l'œuvre nouvelle n'eut lieu que quelques années plus tard. Un deuil cruel, un deuil unique et comme irréductible, peut constituer pour moi cette cime du particulier», dont parlait Proust ; quoique tardif, ce deuil sera pour moi le milieu de ma vie ; car le «milieu de la vie» n'est peut-être jamais rien d'autre que ce moment où l'on découvre que la mort est réelle, et non plus seulement redoutable» (Le bruissement de la langue, éditions du Seuil, 1984, PP.321-22)
A ce point précis, je n'hésiterai pas un seul instant à citer un autre passage de Barthes, tiré de La chambre claire où il est dit qu'«un soir de novembre, peu de temps après la mort de ma mère, je rangeai des photos. Je n'espérais pas la ‘‘retrouver'', je n'attendais rien de ces photographies d'un être, devant lesquelles on se rappelle moins bien qu'en se contentant de penser à lui» (Proust). Je savais bien que par cette fatalité qui est l'un des traits les plus atroces du deuil, j'aurais beau consulter des images, je ne pourrais jamais plus me rappeler ses traits (les appeler tout entiers à moi).
Non, je voulais, selon le vœu de Valéry à la mort de sa mère, «écrire un petit recueil pour elle, pour moi seul» (peut-être l'écrirai-je un jour, afin qu'imprimée, sa mémoire dure au moins le temps de ma propre notoriété).
De plus, ces photos, si l'on voit ma mère jeune marcher sur une plage des Landes et où je «retrouvais» sa démarche, sa santé, son rayonnement mais non son visage, trop lointain — ces photos que j'avais d'elle, je ne pourrais pas dire que je les aimais : je ne me mettais pas à les contempler, je ne m'abîmais pas en elles. Je les égrenais, mais aucune ne me paraissait vraiment ‘‘bonne'' : ni performance photographique, ni résurrection vive du visage aimé. Si je venais un jour à les montrer à des amis, je pouvais douter qu'elles leur parlent.» (La chambre claire, Gallimard-Seuil, 1980, PP.99-100). Je trouve infiniment plus de tendresse dans ces pages de La chambre claire (et les suivantes que j'invite le lecteur à lire dans le livre éponyme de Barthes) à propos de la découverte (la découverte de la mère, en sa qualité et singularité — en tendresse et en amour — de mère aimée, dans une photographie d'elle à l'âge de cinq ans, près du Jardin d'Hiver à Chennevères-Sur-Marne) de la perte cruelle d'un être cher, que la redécouverte (parce qu'un geste, un événement imprévu ou accidentel a fait jaillir le sentiment) chez Proust de la perte cruelle de la grand-mère (la grand-mère du narrateur).
Il y a bien sûr des pages sublimes chez Proust sur la mort de sa grand-mère (amalgamée subtilement avec celle de sa mère, survenue en 1905), mais cette douleur (impromptue, fruit de la résurrection d'un passé qui n'est pas mort) est plus lointaine, beaucoup plus effacée que celle récente (deux années à peine au moment où il écrivait son texte) et dévastatrice de Barthes.
En rêvant du livre à venir, de l'effort d'imagination pour le concrétiser, et produire ainsi un pur éclat poétique, ce qui est loin d'être le cas dans ma condition présente, j'ai fini par me percevoir comme quelqu'un qui se surprend toujours dans cette attitude de celui qui regarde, dans une rêverie sans fin, l'ombre des nuages courir sur la campagne un matin d'automne, semblable en cela à l'ombre de son imagination qu'il n'arrive pas à fixer sur la page désespérément blanche. A défaut d'œuvre (absence d'œuvre), il nous reste à écrire sur le désir de l'œuvre.


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