Par Azzedine Chabane Dans la plupart des secteurs, souvent, des mesures angéliques dont on escomptait le meilleur impact génèrent des effets inattendus et même contraires aux objectifs visés. Tel est le cas des vieilles antiennes. Ainsi, certaines décisions intervenues au cours des dernières années, en matière d'octroi de lignes de transport de personnes et de marchandises, ainsi que de la formation des conducteurs et des moniteurs d'auto-école désireux de s'installer à leur compte, ont engendré une situation que d'aucuns qualifient d'ubuesque. Très vite, le nombre d'exploitants a crû d'une manière spectaculaire, dès lors que les conditions jusque-là incontournables pour les candidats ont été assouplies, voire contournées, l'exigence des deux années d'exercice pour les moniteurs ou celle de l'expérience avérée pour les transporteurs de voyageurs et de marchandises titulaires des permis C et D faisant l'objet de dérogations et d'autorisations au cas par cas. Que pensez-vous qu'il advint ? La fin des prébendes et de la corruption qui sévissent à différents niveaux des structures concernées ? Que nenni. L'octroi de plus en plus massif des précieux sésames, les agréments en l'occurrence, a certes permis de booster l'emploi par-delà les conditions de désordre observées. Il a aussi permis de «satisfaire», dans une certaine mesure, l'importante demande des usagers, en l'absence criante de plans de transport pour des localités de grande envergure, il a enfin pallié les défaillances des missions de l'Etat en la matière, la création de 48 établissements de transport urbain et suburbain, dotés qui d'une dizaine, qui d'une trentaine ou d'une cinquantaine de bus dont un tiers, en règle générale, est en panne et contribue au dépannage des véhicules restants, étant devenue un palliatif au service des festivités locales. Avec l'augmentation effrénée des exploitants (plus de 400 000 opérateurs auxquels il faut ajouter plus de 2 000 en cessation d'activité, en raison de la saturation de certaines lignes), les professions se sont effectivement dégradées, même si le plus grand nombre a continué à récolter un réel profit. Certains ont abandonné leur projet, d'autres ont résilié leur agrément, non sans avoir tenté désespérément de monnayer la meilleure desserte, la meilleure carte horaire, etc. Néanmoins, ce type de transport terrestre et urbain est devenu prépondérant depuis les années 1990, avec la déréglementation de l'activité régie par la loi 88-17 portant orientation et organisation des transports terrestres, ce qui a inversé la répartition des parts du marché actuellement dominé par le privé (plus de 82% contre à peine 18% pour le public). Cette dynamique a impacté l'émergence des petits opérateurs privés, comme à Alger, où on dénombre plus de 3 000 pour quelques entreprises publiques (SNTF, SNTR, Etusa, etc). Presque la totalité de la demande de la population en transport en commun est absorbée par les petits transporteurs du fait de leur accessibilité géographique et de leur faible investissement, la mise en place d'un réseau intégré (aussi bien en termes d'exploitation que de politique tarifaire) tardant à se concrétiser, compte tenu de l'important retard enregistré dans le développement du chemin de fer et des autres types de transport guidé (métro, tramway). Première observation : il est toujours hasardeux d'entreprendre une mesure d'exception sans en avoir évalué, au préalable, l'impact à court comme à long terme. Deuxième observation : s'il y a eu profusion de dessertes sur un certain nombre de lignes considérées comme juteuses, bien d'autres sont demeurées insuffisamment, sinon guère, assurées, au motif que les routes sont soit encombrées soit dégradées ou que les voyageurs sont rares. C'est à ce niveau que se pose et s'impose, pour la quasi-totalité des communes, une véritable stratégie de régulation à laquelle devraient contribuer les différents secteurs concernés. Troisième observation : la multiplication exagérée des transporteurs de tout acabit sur certains axes a engendré une concurrence sauvage, au mépris des règles de sécurité et même des conditions pourtant dûment signifiées dans le cahier des charges remis avec l'agrément aux postulants (emploi de chauffeurs et de receveurs inexpérimentés, absence récurrente ou circonstanciée de la billetterie, refus du respect des arrêts réglementaires, arrêt intempestif de l'activité aux heures et aux jours non rentables, etc.). Tous ces aléas ont fait l'objet d'analyses, études et diagnostics de diverses instances, mais la situation n'en a pas moins perduré car le drame des institutions, en général, et des organismes directement concernés, en particulier, demeure cette inertie fondée sur le comportement velléitaire. On promet mille et une merveilles, on arrête mille et un programmes d'action et, au fil du temps, l'oubli efface et les uns et les autres... Pourtant, il arrive que la force des choses impacte la décision. Sous la pression réitérée de la Fédération des transporteurs, les postulants ont appris tout récemment qu'à compter du 30 septembre dernier, les directions de wilaya ont été instruites de geler l'attribution des agréments aux candidats aux transports. C'est un pas, mais le chemin est encore long qui permettrait de réduire quelque peu le désordre qui caractérise, depuis de nombreuses années, toute l'activité. Quelles que soient les décisions abruptes, prises sans référence à des études et à des sondages des besoins et des moyens requis, la gageure restera probante, urbi et orbi, et la situation vécue par le commun des usagers continuera à se dégrader. C'est le propre des navigations à (perte de) vue, sans d'autre repère que le cri éperdu que poussent, au choc du miroir, les alouettes... A. C.