«Dans la vie on ne regrette que ce qu'on n'a pas fait.» (Jean Cocteau, romancier et dramaturge, 1889-1963.) Viendra un jour, proche, où l'aspirine ou les anti-inflammatoires et beaucoup d'autres thérapies classiques n'auront plus droit au chapitre. Une autre nouvelle génération de traitements, une autre génération de médecins verront le jour et qui traiteront les patients avec des moyens spécifiques et puissants. Ceci grâce à la recherche. Cellules souches humaines, embryons surnuméraires, clonage thérapeutique, thérapie cellulaire, thérapie génique... Les perspectives semblent immenses, les champs d'application gigantesques concernant la santé de l'homme. Les exemples se multiplient et se concrétisent. En effet, nos connaissances sur les cellules souches se sont considérablement enrichies au cours de ces dernières années, parfois de manière inattendue. On sait depuis longtemps que des cellules souches assurent le renouvellement permanent des cellules du sang, de l'intestin ou de la peau. Mais la pléiade de cellules souches et de progéniteurs identifiée dans le cœur, le rein, le cerveau et le muscle est une surprise. Ces cellules participeraient à la réparation des tissus endommagés par les maladies. Un rôle thérapeutique, à venir, dans les maladies actuellement sans solution. Quel gain médical peut-on attendre ? Quels choix et quelles limites scientifiques et éthiques ? Ce sont ces vastes questions qui mobilisent la communauté scientifique. Et dérangent, peut-être, la communauté politique. Crainte de dérives ? Quel encadrement juridique ? Cadrer le contexte de l'économie de la santé ? La présente contribution abordera une partie de l'aspect scientifique concernant le potentiel des cellules souches. Les sources des cellules souches Le potentiel thérapeutique des cellules souches est à la base d'une nouvelle spécialité médicale : la médecine réparatrice. Faire un bilan exhaustif dans le domaine des cellules souches qui est en constante évolution est sujet à controverse, est une tâche ardue, mais quelques concepts commencent à être bien documentés. Des études récentes ont montré que la moelle osseuse contenait, en plus de cellules souches hématopoïétiques, d'autres cellules souches caractérisées par une grande capacité d'auto-renouvellement et de différenciation (au moins in vitro). En parallèle, des cellules souches peuvent être isolées à partir d'une origine embryonnaire ou fœtale (foie, placenta, villosités chorioniques) ou sanguine (sang de cordon, sang périphérique). Elles n'ont pas toutes les mêmes propriétés. Néanmoins, elles montrent dans différents modèles animaux des propriétés thérapeutiques intéressantes. La thérapie cellulaire La cellule souche est définie par trois propriétés : sa capacité à se différencier (donner une variété) en un ou plusieurs tissus, sa capacité à proliférer (se multiplier), et enfin sa capacité à assurer l'homéostasie (maintien de l'intégrité en termes de nombre de cellules fonctionnelles) d'un tissu durant toute la vie d'un individu. De ces caractéristiques principales résultent des applications prometteuses. En effet, la transplantation des cellules souches est généralement utilisée pour traiter les hémopathies malignes (maladies du sang, par exemple la leucémie), des maladies héréditaires (déficits immunitaires ou «bébés-bulles», erreurs innées du métabolisme, thalassémies, anémies non régénératives...), l'ostéogenèse imparfaite (fragilité osseuse liée à un défaut congénital du développement de l'os, par exemple la maladie des «os de verre»). Dans l'ischémie (diminution de la circulation artérielle dans un organe) chronique des membres inférieurs, la greffe de cellules souches se traduit par une revascularisation par néo-angiogenèse (formation de nouveaux vaisseaux) rétablissant ainsi l'irrigation sanguine de l'organe. On peut ainsi prévoir dans un futur proche des retombées bénéfiques dans le traitement de l'infarctus du myocarde. A titre expérimental, une équipe israélienne a réussi, grâce à une greffe de cellules souches chez un patient ayant développé un infarctus du myocarde avec perte partielle de substance myocardique (muscle cardiaque), à obtenir une régénération et une reconstruction du muscle cardiaque détérioré. Aussi, des rats de laboratoire chez lesquels on a induit expérimentalement une paralysie au niveau des pattes ont recouvré la fonction locomotrice après une greffe de cellules souches. Cette possibilité ouvre d'énormes perspectives de traitement chez les accidentés ayant une section du trajet des nerfs au niveau de la colonne vertébrale. Dans le cas des déficits immunitaires combinés sévères (absence totale d'immunité d'origine héréditaire comme c'est le cas des «bébés-bulles» ou enfants isolés dans une enceinte stérile et exempte de germes en attendant la greffe), la transplantation de cellules souches obtenues à partir du foie fœtal constitue une bonne indication. En effet, en dehors du foie fœtal de moins de quatorze semaines après la fécondation, les autres sources de cellules souches contiennent de façon naturelle des lymphocytes T (cellules immunitaires impliquées dans les défenses anti-infectieuses et dans les rejets des greffes non compatibles). Ainsi, la greffe de cellules souches du foie fœtal, provenant d'un donneur ne dépassant pas quatorze semaines d'âge n'apporte pas de lymphocytes T et peut être pratiquée en absence de toute compatibilité tissulaire (histocompatibilité) entre le donneur et le receveur de la greffe qui est bien tolérée. Depuis le début, nous avons greffé 63 malades (déficits immunitaires graves, thalassémies et erreurs innées du métabolisme) par transplantation de cellules souches du foie fœtal. Les deux tiers des patients sont vivants. Les deux causes principales d'échec ont été représentées par une prise insuffisante de la greffe (nombre insuffisant de cellules souches prélevées chez le donneur) chez certains malades et la présence d'une infection grave avant la greffe. La greffe intra-utérine de cellules souches La cause de certains de ces échecs ont constitué la raison pour laquelle nous avons développé la greffe de cellules souches à un stade encore plus précoce, chez le fœtus humain, in utero (dans l'utérus maternel) lorsqu'il est atteint de certaines maladies génétiques. Cette greffe intra-utérine permet au fœtus malade de bénéficier de la tolérance immunologique (liée à l'immaturité immunitaire du receveur) et de la protection contre les infections (protection par l'utérus maternel). La greffe de cellules souches in utero présente de nombreux avantages, notamment l'induction d'une tolérance immunologique et la prévention de diverses complications liées à la maladie initiale. L'isolement du jeune malade dans l'utérus maternel est un atout supplémentaire et les facteurs de croissance ou de différenciation fournis par le receveur fœtal favorisent le développement des cellules greffées. Les résultats actuels sont satisfaisants dans certains déficits immunitaires mais encore insuffisants dans les hémoglobinopathies (thalassémie) et les erreurs innées du métabolisme (maladie de Niemann-Pick). Des travaux expérimentaux complémentaires sont nécessaires pour amplifier le bénéfice du traitement appliqué chez des fœtus n'ayant pas de déficit immunitaire. A l'avenir, la thérapie génique (voir le chapitre «la thérapie génique») in utero apportera une solution thérapeutique nouvelle et importante chez certains malades. La thérapie génique De plus, les progrès réalisés dans la manipulation ex vivo (les cellules sorties de l'organisme, manipulées et ensuite réintroduites) des cellules souches ont permis le transfert de gènes «correcteurs» des maladies héréditaires du système immunitaire, létales à courte échéance et beaucoup d'autres maladies graves (mucoviscidose, sida, mélanome malin, maladies musculaires, neurologiques, épithéliales...) ainsi que l'induction de la tolérance aux greffes. Pour l'instant, le nombre de maladies héréditaires ayant pu bénéficier d'essais de thérapie génique est limité. Il importe que le transfert du gène normal s'applique aux cellules souches qui peuvent se renouveler spontanément tout au long de la vie. Ainsi par exemple, actuellement, le rendement et l'efficacité du transfert génique sur les cellules souches médullaires (de la moelle osseuse) humaines sont encore modestes pour corriger la plupart des maladies concernées. Par contre, nous avons pu observer, expérimentalement, une efficacité très largement supérieure du transfert de gènes dans les cellules souches du foie fœtal, dont les propriétés sont à cet égard plus favorables que celles des cellules souches médullaires. Quant aux cellules souches du sang de cordon, elles offrent un niveau de rendement intermédiaire entre les cellules du foie fœtal et celles de la moelle osseuse. Des résultats plus importants ont été obtenus avec des lymphocytes T (cellules immunitaires) en cours de multiplication mais alors que le bénéfice obtenu ne dure pas plus que quelques mois ou quelques années. Il s'agit là de perspectives nécessitant au préalable de nombreuses expériences chez l'animal, une profonde réflexion éthique et une mise au point des dispositions réglementaires. Dans tous les cas, une attention particulière doit être apportée aux cellules germinales (cellules sexuelles) du receveur afin qu'aucun transfert de gènes ne se développe à ce niveau et que le traitement reste réservé aux cellules somatiques (les autres cellules de l'organisme en dehors des cellules sexuelles). Les perspectives et les applications de la greffe des cellules souches Un certain nombre d'essais cliniques ont été réalisés ou sont en cours d'exécution, en particulier en France. Ils concernent principalement trois types de pathologies : les maladies du système nerveux central, les maladies cardiaques et les lésions de la peau. En effet, certaines maladies du système nerveux central concentrent de grands espoirs thérapeutiques grâce à l'utilisation, parfois coordonnée avec la thérapie génique, des cellules souches adultes. Si la maladie de Parkinson est la plus évoquée dans les indications concernant la greffe de cellules souches embryonnaires, il faut noter les essais cliniques traitant la chorée de Huntington (dégénérescence neurologique héréditaire provoquant d'importants troubles moteurs et cognitifs, anciennement appelée danse de Saint Guy). La maladie de Huntington est une affection héréditaire du système nerveux central due à une dégénérescence de certains noyaux gris centraux du cerveau. On a tenté, grâce à la thérapie cellulaire et l'implantation in situ, de régénérer les neurones affectés par la maladie. L'essentiel de cette activité expérimentale et clinique concernant cette pathologie s'est porté sur l'utilisation des cellules souches fœtales afin de mettre au point une thérapie cellulaire chez des patients atteints de maladies neurodégénératives. Les premiers résultats positifs obtenus, en France, chez trois des patients traités pour leur maladie de Huntington ont permis de procéder à des essais cliniques sur une centaine de patients. Ceux-ci ont été répartis en deux groupes successifs pour lesquels les essais cliniques ont été différés de 18 mois afin de pouvoir bénéficier des résultats antérieurs. Une fois le bénéfice de cet essai acquis, il sera possible de passer à une application thérapeutique plus large. Si apparemment cette technique semble bien maîtrisée, des obstacles restent encore à surmonter. Tout d'abord sur le plan logistique. Ces interventions rendent nécessaire la mobilisation de moyens considérables pour chaque patient, le traitement d'un seul patient se faisant en deux temps. L'obtention de cellules souches fœtales ne peut se pratiquer qu'après une interruption de grossesse réalisée la veille de l'opération par un obstétricien formé spécifiquement. Puis ce matériau doit pouvoir suivre toute une chaîne ininterrompue de manipulations, des biologistes au chirurgien. En l'état, dans une même équipe, il n'est possible d'effectuer une intervention que toutes les trois semaines. Le nombre de sujets à traiter étant extrêmement élevé, il se pose alors le problème d'accès au traitement. Ces interventions requièrent non seulement une multidisciplinarité des acteurs mais en plus une réelle interdisciplinarité. Seulement dix patients par centre et par an peuvent être traités et il y a actuellement cinq centres en France possédant la technique et les équipes nécessaires à ces interventions. En ce qui concerne les maladies cardiaques, un essai clinique a été coordonné, en France, pour pallier des insuffisances cardiaques secondaires à des infarctus du myocarde chez une dizaine de patients. Cet essai reposait sur la culture in vitro de myoblastes (cellules musculaires jeunes) prélevés sur un muscle squelettique, soit les précurseurs des fibres musculaires, à partir d'un prélèvement effectué chez le malade. Ces cellules cultivées ont ensuite été implantées, grâce à la radiologie interventionnelle (intervention guidée par l'imagerie) dans le cœur du patient afin de régénérer le muscle cardiaque. Un premier essai de phase 1 pratiqué sur dix patients a fourni des résultats encourageants. En effet, 62% des aires du cœur ayant reçu les greffes de cellules souches ont cessé de dysfonctionner entraînant une restauration plus ou moins marquée de l'efficacité des contractions du ventricule gauche. Une limite importante à cette technique réside dans le taux de perte des cellules qui est estimé à 50%. En effet, longtemps sous-estimée, la question de la concentration des cellules est désormais prise en compte. Sachant que dans les cellules de moelle prélevées il n'y a que 0,01% de cellules souches, l'efficacité de la greffe en dépend largement. Cette question pourrait être en partie résolue par l'utilisation de cellules souches embryonnaires dont les capacités de prolifération permettraient de pallier ces pertes. En ce qui concerne les lésions de la peau, un succès thérapeutique a été obtenu en France (en 2006 à l'hôpital militaire de Percy), dans le cadre d'une greffe cellulaire sur une main irradiée. La nouveauté réside dans l'utilisation de cellules souches issues de la moelle au lieu de cellules souches présentes dans l'épiderme. Celles-ci ont été retenues à cause de l'importance et de la gravité des lésions qui avaient probablement détruit les cellules souches de l'épiderme, très sensibles aux radiations. Cependant, l'opération a plus consisté à fabriquer un pansement cellulaire donnant aux cellules du patient le temps de se reconstituer, plutôt qu'une réelle régénération. A l'heure actuelle, il est possible de fabriquer artificiellement de l'épiderme. En revanche, il reste difficile de reconstituer tous les composants indispensables de la peau en particulier la fonction respiratoire, la transpiration, la sensibilité, les capacités immunitaires et la repousse des poils. Récemment, l'équipe française de génomique fonctionnelle au Commissariat à l'énergie atomique a réussi à démontrer la présence de cellules souches dans des cultures de peau humaine adulte et à les isoler. Ces travaux d'importance pourront permettre d'améliorer le traitement des grands brûlés. Et enfin, une équipe suédoise a réussi une greffe de trachée (arbre respiratoire formé de cartilage) semée de cellules souches. Une technique innovante et un espoir fondé. En effet, l'opération fut complexe mais les résultats sont probants. Il s'agit de la première greffe de trachée avec ensemencement de cellules souches, réalisée chez une jeune femme de 30 ans atteinte d'une bronchomalacie (aplatissement des bronches) au stade terminal, se traduisant par une tolérance parfaite et un recouvrement d'une fonction pulmonaire normale lui permettant une existence inespérée. La technique repose sur l'ensemencement d'un greffon trachéal déplété des cellules du donneur (on a enlevé les cellules du donneur ne laissant que la structure cartilagineuse de la trachée prélevée chez un patient décédé). La structure trachéale ainsi préparée est ensuite ensemencée avec des cellules souches issues de cellules épithéliales (cellules recouvrant les surfaces des organes) et de chondrocytes (cellules formant le cartilage) autologues (cellules du patient lui-même, évitant ainsi le rejet). Quatre mois après la transplantation, le greffon trachéal s'est re-cellularisé (formation de nouvelles cellules) récupérant ainsi une capacité pulmonaire totale. Les biopsies effectuées un an après la greffe ont montré une complète re-cellularisation du greffon trachéal et l'apparition d'un épithélium cilié à deux ans ainsi qu'un aspect anatomique parfaitement normal. Des questions restent posées, après cinq ans de recul, quant à la stabilité à long terme du greffon et des risques de transformation néoplasique (cancéreuse) à craindre avec l'implantation de cellules souches. En conclusion, les cellules souches embryonnaires, fœtales ou adultes, font l'objet d'études extensives mondiales, aussi bien dans des laboratoires de recherche publics que privés. La possibilité de cultiver ces cellules, de les modifier génétiquement pourrait permettre à terme de remplacer les traditionnelles greffes d'organes, toujours associées à des problèmes de compatibilité ou par des autogreffes de cellules souches manipulées. Alors que seul le domaine de l'hématopoïèse (production des cellules sanguines) semblait jusqu'à présent pouvoir bénéficier de ces études, tous les domaines de la médecine pourraient être concernés. A côté des essais thérapeutiques, ces cellules présentent des propriétés parfois inattendues qui ouvrent un vaste champ d'exploration et bouleversent les conceptions de la biologie du développement. En tout cas, nul ne doute aujourd'hui que la thérapie cellulaire, notamment via les cellules souches, représentera une part essentielle de la médecine de demain. La lumière à ces questions qui demeurent en suspens viendra de la recherche car «la source intime de nos connaissances est l'expérimentation», dixit Claude Bernard. K. S. * Professeur des universités, directeur de recherches, service d'immunologiedes transplantations CHU de Lyon, France.