[email protected] Comme s'il ne suffisait guère de la Journée internationale du 3 mai pour s'autocélébrer, la presse algérienne est tenue d'observer une halte indigène destinée exclusivement à se pencher sur ses tares. Grâce donc à ce 22 octobre, institué en 2013, les journalistes apprennent que dans le domaine de la liberté d'expression, qui est le leur, il est nécessaire de respecter certains garde-fous sans lesquels ils verseraient dans une sorte de délinquance par la... plume. C'est d'ailleurs sur cet unique thème que l'actuel ministre poursuit le travail de son prédécesseur. Faute d'être un donneur de leçons magistrales sur l'éthique et la déontologie (ces deux vocables recouvrent d'ailleurs sensiblement le même espace de réflexion que s'en est une redondance de sa part), il préfère pérorer autour du professionnalisme et son contraire l'amateurisme ou l'incompétence des plumitifs. Sans se douter certainement, il se substitue abusivement aux fonctions des éditeurs et des rédacteurs en chef ; sauf que l'on devine aisément le sens caché de ces dépassements lorsqu'on sait que dans la culture politique de nos dirigeants, il n'est d'écrit journalistique «objectif» que celui qui les encense. En fait, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un ministre, issu de la corporation, mette à son tour ses pas dans les pas de ses mentors et reprenne à son compte leurs vieux griefs. L'hostilité vis-à-vis de la presse étant quasi pathologique chez le pouvoir au point qu'il s'avère difficile à un ministre de garder intact son quant-à-soi moral tout en prétendant œuvrer pour la promotion de la liberté d'expression. Et c'est justement le cas de ce ministre qui ne cesse de bafouiller de fausses évidences alors qu'il est notoire que la pire des adversités dont pâtit la presse est alimentée par les manœuvres dilatoires visant à sa précarisation économique, notamment ceux parmi les journaux ayant fait des choix éditoriaux peu compatibles avec les intérêts du pouvoir. Comme tous les régimes contrariés par leurs échecs et l'absurdité de leur pérennité, le nôtre également stigmatise, pour se défendre, une presse qui «ose» décrire la réalité sans le souci de plaire. C'est ainsi que depuis des années, l'on continue à lui tailler des croupières par ministère interposé l'accusant pêle-mêle d'incompétente et d'entremetteuse au service des cercles hostiles. Avec une constance dans la mauvaise foi, l'on est allé parfois trop loin dans les assertions infâmes jusqu'à soupçonner des titres et certaines signatures d'être des officines, pour les premiers et des portes-plumes, pour les secondes d'un imaginaire complot antipatriotique. Cycliquement, par contre, le régime se débarrasse de son agressivité et joue alors sur le registre de l'amateurisme et la médiocrité de ces feuilles imprimées quotidiennement. Ainsi, les journalistes algériens ne seraient que d'éminents gribouilles peuplant les rédactions et ne sachant que traduire maladroitement un pays fantasmé quand le pouvoir serait en phase avec le pays réel. C'est justement ce genre de jugement de valeur rendu par le «professeur» Hamid Grine qui fait sourire sous cape les professionnels des médias toutes les fois où l'on s'autorise de toiser leur savoir-faire dans la communication à l'aune de la complaisance ou de la connivence. Or, le contexte politique tendu dans lequel se débat l'Algérie autorise-t-il un autre exercice journalistique que celui de tremper les plumes dans les plaies de ce pays ? En effet, si la pratique du pouvoir n'était pas en train d'envoyer le pays au «cabanon des nations pourris»(1), de quel argument doit-il se prévaloir pour intenter un procès à une presse en délicatesse avec la déontologie ? Car, enfin, à les lire régulièrement, nos journaux ne sont ni mensongers ni graveleux dans leur style comme l'on s'efforce de les culpabiliser à travers cette campagne de moralisation. Ils sont même bien plus scrupuleux vis-à-vis de la vérité livrée au public que ne le sont les dirigeants lorsqu'ils s'adressent à celui-ci. C'est à l'honneur d'ailleurs de cette presse et à son combat que la République a préservé un tant soit peu de grandeur, de dignité et de rayonnement, malgré les terribles moments de doute. Et c'est aussi son indocilité, que l'on s'évertue à traquer par les subterfuges du formatage, qui demeure sa vertu cardinale auprès du lectorat. Reprocher, par conséquent, à la presse sa prose irrévérencieuse relève en définitive d'un caprice de littérateur fourvoyé dans les arcanes de la politique. B. H. (1) La formule est d'Emile Zola, dans son roman La curée.