Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Le fait qu'une confrérie religieuse se soit accordé l'opportune autorité de conduire la réflexion sur la question de l'inégalité femme-homme dans l'islam est certainement assez original en Algérie. Même si, hélas, d'autres significations peuvent être attribuées à ce qui s'apparente à une connivence du pouvoir. Celle que l'on peut qualifier de défaillance de l'Etat qui, implicitement, transfère vers les réseaux spirituels un problème éminemment séculier. Si l'on comprend bien, la condition de la femme, à travers la discrimination qu'elle subit depuis un demi-siècle, ne doit-elle désormais n'être examinée que sous le prisme réducteur de l'exégèse des clercs maraboutiques, fussent-ils éclairés ? Ou, au contraire, demeurer un sujet de société relevant peu ou prou de la volonté et du courage des dirigeants en responsabilité ? Lors de ses premiers mandats, Bouteflika s'exprimait pourtant en ce sens, encourageant ainsi les Algériennes à briser par elles-mêmes les tabous préjudiciables à leur émancipation. Mais cette vieille résolution semble avoir été oubliée aujourd'hui au point de permettre à ce que tout amendement du code de la famille se fasse «consensuellement» avec les cercles conservateurs. Nous ne sommes donc plus dans la volonté de traduire par les actes politiques une parité forte mais dans l'expectative calculée face à la résurgence de l'agressivité des courants traditionalistes. Même les droits politiques, dont on se gaussait en toutes circonstances, ne se résumaient qu'à des strapontins gouvernementaux et des minorités invisibles dans les fonctions électives. A leur tour, les partis politiques n'étaient pas exempts dans l'échec sur la question du code de la famille. A la même époque, le pouvoir mènera une campagne subtile en direction des îlots féministes qu'il parvint d'ailleurs à diviser et à affaiblir. C'est de ce décalage entre l'attente d'une abrogation pure et simple du texte de 1984 et le réformisme par petites touches que naîtra chez la plupart des militantes ce sentiment d'avoir perdu le combat. Leur mécontentement s'adressait notamment à celles, qui, parmi elles, agissaient de l'intérieur des rouages du pouvoir pour plaider la cause officielle en la présentant comme une «avancée». Au nom du réalisme, elles considérèrent que la disparition, de certaines dispositions contraignantes pour la femme allait dans le sens d'une future refonte du code. Elles étaient les mêmes qui changèrent de mode d'emploi pour défendre la cause féministe. D'ailleurs, leur discours sur l'égalité intégrale a vite fait place au louvoiement politicien, imitant en cela le carriérisme masculin. En somme, elles firent siennes, à leur tour, la recette de l'entrisme. Celui, entre autres, qui avait permis à certaines femmes en quête de statut de devenir des personnalités politiques ! Or leur factice visibilité dans le champ politique brouille surtout la perception que l'on devrait avoir d'une société harmonieusement égalitaire dès l'instant où l'on se convainc que les bons critères sont ailleurs que dans les tréteaux du politiquement correct. En effet, lorsque l'université algérienne fournit, depuis au moins 10 ans, 70% de jeunes filles diplômées, l'on mesure l'arbitraire de l'inégalité quand on découvre ensuite que moins de 10% des cadres d'entreprises et des hautes fonctions d'Etat sont occupées par cette compétence au féminin. Or comment expliquer ce «racisme par le genre» sinon la persistance d'un vieux fonds de préjugés dont s'accommode encore l'Algérie du 21e siècle. Car si, un peu partout dans le monde, ce combat est en train d'aboutir, par contre, en terre d'islam, il s'apparente encore à une double peine. Celle d'une pratique spirituelle férocement misogyne à laquelle s'additionne une insoutenable indigence culturelle. Or malgré une telle complexité de l'équation, n'est-il pas intolérable que l'Etat puisse encore s'accommoder de l'autorité des dogmes de vieux turbans que l'on réactualise simplement à travers une nouvelle rhétorique ? Pourtant, il est encore possible d'agir autrement. En effet, dès l'instant où le courage impose le devoir de briser ces fatalités ancestrales, l'on accorde la société au rythme de ses espérances. En somme, ne faut-il pas sagement se convaincre que «la féminité n'est pas une incompétence. Elle n'est pas, non plus, une compétence», écrivait jadis la publiciste Françoise Giroud. Laquelle ajoutait, en guise de défi au nom du droit à la parité ceci : «Le problème des femmes sera résolu le jour où l'on verra une femme médiocre à un poste important !» Rêvons donc à une femme quelconque qui accéderait enfin à la haute magistrature de notre pays. Tant qu'on y est, ce ne serait pas plus mal !