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A fonds perdus
Lorsque la réforme islamique passe par... l'Amérique
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 11 - 2014


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La réforme de l'Islam viendra-t-elle de l'Amérique ? Obéit-elle, elle aussi, à ce vieux «plan de la nature», si cher à Adam Smith, qui voyait en ce continent la matrice d'une évolution universelle ordonnée au plan économique ? C'est en tout cas l'avis de deux intellectuels de renom, Salaam al Mayarati et le Dr Mayer Hathout, respectivement directeur et conseiller principal du Conseil musulman des affaires publiques qui viennent de publier une opinion inédite sur le site du Wall Street Journal et du Muslim Public Affairs Council le 30 octobre dernier(*).
Leur idée est claire et nette : «Nous devons cesser de nous tourner vers le Moyen-Orient où règnent l'autoritarisme et la religion régressive.»
Leur réflexion s'appuie sur une thèse de Graham Fuller et Ian Lesser publiés en 1995 dans «La géopolitique de l'Islam et l'Occident», relative à l'influence de la diaspora musulmane sur ses pays d'origine et que résume parfaitement bien cet extrait : «Les communautés musulmanes en Occident sont plus susceptibles d'exercer une influence sur leurs pays et leurs cultures d'origine que l'inverse. Au fil du temps, elles peuvent avoir un effet considérable sur les perceptions de la sécularisation et sur le droit des minorités au Moyen-Orient.»
Nos deux coreligionnaires d'Amérique en sont convaincus : «L'autoritarisme rampant dans le monde musulman et la régression des établissements religieux islamiques financés par ces mêmes gouvernements autocratiques font que la réforme islamique est actuellement peu probable dans la région.»
Le changement tant espéré tient à la direction vers laquelle les musulmans se dirigent : l'Amérique à partir de laquelle «les musulmans américains peuvent contribuer de manière significative à la relance de l'Islam et à restaurer la dignité humaine comme un principe central de la foi.»
La faculté des musulmans d'Amérique à réussir la réforme islamique tient à deux atouts : la liberté et le potentiel intellectuel dont ils disposeraient comparativement à nous autres intellectuels qui croupissons sous le joug de régimes moyenâgeux.
Cette perspective leur semble d'autant plus probable qu'il n'y a rien à attendre des dictatures levantines. Leur condamnation est sans appel : «Des régimes despotiques à l'extrémisme religieux, l'autoritarisme au Moyen-Orient et en Asie du Sud a dévasté la pensée islamique moderne au cours des derniers siècles.»
S'adressant au 1,5 milliard de musulmans dans le monde, ils espèrent que leur religion reste «pertinente pour chacun d'entre eux». Une pertinence tributaire de réformes et de renouveaux, à l'instar de toutes les religions et les philosophies humaines.
La réforme islamique est alors associée à une libération «des chaînes relatives aux traditions dogmatiques telles que le sectarisme, le tribalisme, le chauvinisme et la théocratie, lesquels contredisent l'éthique islamique basée sur le Coran et les authentiques traditions du prophète Mohammed».
Le mal étant circonscrit, quel est le remède prescrit ? Il tient à trois pistes :
- la promotion d'une bonne gouvernance,
- la protection des religions minoritaires et des femmes,
- et la marginalisation des idéologies de contrainte.
Les étroitesses et le dogmatisme de la lettre sont ouvertement pris à partie : «Il y avait davantage de discours sur le code pénal et la jurisprudence il y a plusieurs siècles, durant l'apogée de la civilisation islamique, quand les dirigeants se concentraient plus sur l'esprit de la loi, que sur le fait de faire appliquer la loi à la lettre.»
Les auteurs du texte rappellent à juste titre que «durant les deux décennies qui ont suivi la révélation coranique qui s'est achevée en 632, la punition pour vol a été suspendue par Omar ibn-al-Khattab, le deuxième successeur du prophète, quand l'économie s'était détériorée et que la pauvreté était devenue endémique. Dans cette situation, ainsi que dans de nombreuses autres, un dirigeant a suspendu une instruction coranique conditionnelle en raison des circonstances. C'est cet esprit-là qu'il convient de retrouver aujourd'hui plus que jamais».
Déplorant la violation «des droits fondamentaux des femmes et des minorités religieuses dans de nombreux pays musulmans», ils s'en prennent plus à «des idéologies de pouvoir» qu'à la religion elle-même dans cette généralisation «des conditions inhumaines et d'oppression». L'Arabie Saoudite est, ici encore, expressément visée : «En 2002, la police religieuse saoudienne a empêché des jeunes filles de s'échapper d'une école à La Mecque qui était en feu, 15 étudiantes sont mortes. Ces hommes, membres du Comité pour la vertu et de la prévention contre le vice, n'ont pas autorisé les jeunes femmes à quitter l'immeuble car leurs voiles ne couvraient pas complètement l'ensemble de leurs cheveux.»
Pour Salaam al Mayarati et Mayer Hathout, il y a là une preuve irréfutable «qu'une règle relative à la protection de la vie n'a pas été respectée, alors qu'elle constitue l'un des cinq objectifs de la loi islamique, les autres étant la liberté d'expression, la liberté de religion, les droits de la famille, et les droits de la propriété».
A leurs yeux, ces «cinq objectifs, par ailleurs appelés "Maqaasid de la loi islamique", qui font l'unanimité parmi les jurisconsultes musulmans ont besoin d'être "revivifiés", en s'exprimant "dans un environnement de liberté et au travers d'une pensée futuriste"».
Revenant à la charge contre la police religieuse ou Comité pour la vertu et de la prévention contre le vice, ils lui dénient toute mission «de moralité ou d'éthique islamique» et lui prêtent comme fonction «un abâtardissement d'un très important concept islamique à savoir celui de Maslaha, ou intérêt public».
Le Comité en question est accusé d'exercer une idéologie de la contrainte contraire au verset coranique relatif à la Maslaha qui, lui, «fait référence à la promotion des avantages sociaux», définis par les Maqaasid et connus par les gens comme la décence humaine et la prévention contre les dommages publics». La police religieuse est alors coupable d'une «distorsion de cette précieuse compréhension de l'intérêt public propre à n'importe quelle jurisprudence nationale ou autorité exécutive».
Tant de charges suffisent à rompre toute référence et attache avec l'Islam wahhabite comme guide spirituel. Il est en effet clairement préconisé de «mettre un terme à cette pratique en affirmant que tout pays ou groupe qui se prétend islamique doit respecter le principe le plus important dans l'Islam, en protégeant la vie humaine plutôt que de la détruire».
La sentence des musulmans d'Amérique est alors sans appel et ne prête pas à équivoque : «Tout pays qui tue sa propre population, persécute les minorités religieuses et subjugue les femmes est un anathème pour les musulmans américains. Ils peuvent se considérer comme des anges, mais ils ne peuvent camoufler leur mal sous un vernis religieux. L'Islam nous a libérés des chaînes de la tyrannie religieuse et nous lutterons pour nous libérer en affirmant notre indépendance vis-à-vis de ces tyrans et de ces clercs qui ont usurpé l'autorité et la religion en revendiquant la souveraineté sur les musulmans du monde entier». Autant dire une révolution. Dieu fasse qu'elle s'accomplisse.
A. B.
(*) http://www.mpac.org/issues/religious-freedom/let-islamic-reform-start-in-america.php


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