D'habitude réservée, peu exposée, moins médiatique, la vedette des Verts du club Che multiplie ces dernières semaines les sorties publiques. Actions de solidarité avec la Palestine, les enfants malades et les démunis, interviews aux médias nationaux et internationaux et, par-dessus tout, quelques prestations de bonne facture aussi bien en sélection qu'au sein du FC Valence. Sofiane Feghouli est partout. L'approche du tournoi final de la CAN-2015, pour laquelle l'Algérie est favorite, et quelques challenges personnels symboliques (le Ballon d'Or africain entre autres) sont des événements suffisamment d'importance pour que certains médias s'intéressent à l'ancien joueur de Grenoble. Hier, France Football a publié la première partie d'un long entretien avec Soso. Celle où il raconte son vécu depuis qu'il a rejoint l'EN algérienne, ses choix et défis... Extraits. L'histoire commence par la fin, l'avenir que constitue la prochaine phase finale de la CAN de football, à partir du 17 janvier prochain en Guinée équatoriale. Un tournoi menacé par l'annulation suite à la demande marocaine de renvoyer l'épreuve aux calendes grecques. Feghouli sensible à ce que pourrait engendrer la menace Ebola pense que l'Algérie est la plus grande perdante dans cette délocalisation. « Le plus dommageable est le timing. Dans nos têtes, on s'était préparé pour jouer au Maroc dans un pays voisin et frère avec des conditions similaires, et la possibilité d'avoir nos supporters en masse. Il est vrai aussi que les conditions climatiques et la qualité des pelouses auraient été un plus certain pour notre style de jeu», a-t-il confié. Un autre pays, d'autres conditions, plus difficiles à surmonter, mais avec la même ambition. Feghouli est persuadé que l'Algérie est capable de réussir un grand coup à Malabo, au soir du 8 février prochain. «On ira en Guinée équatoriale avec un état d'esprit de conquérant pour pouvoir aller jusqu'au bout. Je ne cherche pas d'excuse. Les difficultés seront les mêmes pour tout le monde. Maintenant, on est un groupe de joueurs chevronnés et qui sait à quoi s'attendre ?». Le milieu droit de Valence est conscient, par ailleurs, que «le contexte africain est très différent de l'environnement mondial ou européen». «Je ne nous considère pas comme les favoris de cette CAN», dit-il évoquant la présence cet hiver en Guinée équatoriale «des équipes plus expérimentées et qui ont la capacité de mieux réussir que nous dans ce contexte». Feghouli, à qui l'intervieweur demandait si cette réplique est une manière d'évacuer la pression qui pèse habituellement sur les favoris, expliquera pourquoi l'équipe algérienne n'est pas cet ogre que l'Afrique doit redouter sur le sol équato-guinéen. «Je me doute bien qu'avec notre Mondial, tout le monde nous imagine comme favoris en puissance. Mais les gens ne connaissent pas vraiment cette autre réalité. Nous, les joueurs, on sait de quoi il s'agit, on sait aussi que cela sera très difficile. Quand on va jouer en Afrique subsaharienne, ces dernières années, on a gagné avec beaucoup de difficultés. Je sais que dans ce groupe, il y a des joueurs qui n'ont pas peur de la pression. On se sait déjà attendu par notre propre public qui est très fervent. On tâchera de réaliser une bonne CAN, de ne pas refaire les mêmes erreurs qu'à la précédente». Une campagne sud-africaine qui a marqué les esprits des joueurs algériens qui, selon Feghouli, avaient «produit du beau jeu» mais ont «manqué d'efficacité.» «L'hymne national français ne me fait pas le même effet» Une telle prudence, Feghouli la tient de sa propre expérience dans le monde du football. Un environnement qu'il a découvert durant sa prime jeunesse. Une époque où malgré les sollicitations, ce footballeur qui se définit comme franco-algérien n'a jamais renié ses origines. «Je suivais les résultats de la sélection (celle d'Algérie, ndlr) dès que je pouvais. C'est vrai qu'il y a eu beaucoup d'années de disette. Mais avec l'image de Djamel Belmadi, qui portait les couleurs de l'OM et qu'on appréciait, on soutenait vraiment l'Algérie, et ce choix s'est fait très naturellement. Par mes origines, et mon cœur, je me suis toujours senti algérien. L'hymne national a fait la différence», avoue l'enfant de Levallois-Perret qui précise que son choix n'avait rien de sportif dans la mesure où, en 2012, l'Algérie venait de manquer sa qualification à la CAN organisée conjointement par le Gabon et la Guinée équatoriale. Ceci au moment où, du côté des Bleus, un certain Didier Deschamps pensait le convoquer en EDF. «Tout d'abord, Monsieur Deschamps est un grand entraîneur avec un énorme palmarès. C'est bien de recevoir des éloges, et cela fait toujours plaisir. Mais pour ma part, la question ne s'est jamais posée. Même si quand j'étais plus jeune, j'étais fan de Zidane car il était le symbole de «notre» réussite. Il était un exemple en termes d'humilité. L'Algérie, c'est l'Algérie. Avec le temps, ce genre d'échos est revenu à mes oreilles, cela ne m'a pas perturbé. C'est l'Algérie, et cela a toujours été mon choix numéro 1.» Altruiste, Feghouli l'est dans ses choix et ses ambitions. Comme de devenir champion d'Afrique avec l'EN algérienne ou remporter le titre de la Liga avec Valence, deux challenges autrement plus importants aux yeux de l'Algérien qu'un Ballon d'Or africain, trophée pour lequel il est nominé. «Cela fait quelques années que je suis dans cette liste. Il y a des grands joueurs. Ce serait vraiment la grande classe de gagner un jour. Si je devais choisir, je prendrais un trophée collectif avec l'Algérie, comme une Coupe d'Afrique ou un titre avec mon club», répond-il non sans expliquer que pour remporter ce titre, le jury tient compte plus des statistiques individuelles que du parcours du postulant avec son club ou sa sélection. «Il faut faire une saison à 15 buts et 15 passes décisives. Il faut le répéter sur le long terme. C'est ça que je dois faire ! Là, je suis à 150 matches en Liga sous les couleurs de Valence. Je commence à avoir pas mal d'expérience, j'ai des bases solides, je me connais mieux. Je ne suis plus le même homme qu'il y a quelques années. Côtoyer le haut niveau me fait progresser (...) C'est au niveau des statistiques qu'on juge les joueurs. Il faut être régulier. On regarde aussi si le joueur se blesse ou pas. C'est là-dessus qu'on juge les tout meilleurs», assure celui qui, en 2014, a, sous le maillot de Valence, inscrit 7 buts, fait 13 passes décisives et provoqué 5 penalties. Un palmarès valorisé par une demi-finale en Europa League et une participation de premier ordre au Mondial brésilien. Une Coupe du monde durant laquelle les Verts avaient ressenti «une fierté exceptionnelle», reconnaît Feghouli. «En entamant cette compétition, on avait vraiment à cœur de démontrer que nous étions une nation qui méritait du respect (...) On a joué avec le cœur, l'amour du maillot, et cela n'a pas de prix dans le football. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu une équipe aussi attachante. On l'a senti dans les réactions des autres peuples.» Mais, c'est avec un goût d'inachevé que le Valencien a quitté le Brésil, manifestation pendant laquelle Feghouli a débloqué, grâce au penalty marqué face à la Belgique, le compteur but de l'Algérie avant de déverser de chaudes larmes au sortir d'un mémorable Allemagne- Algérie, le 30 juin dernier à Curitiba. «C'était un match exceptionnel. On était à deux doigts de passer contre les futurs champions du monde. La Coupe du monde, depuis que je suis petit, c'est un rêve. C'est une pression incroyable de la jouer. Cela a été le meilleur moment de ma carrière. Et puis se dire que c'est terminé... Je suis quelqu'un qui intériorise beaucoup, et là, je n'ai pas pu me retenir. Je suis un homme... Le fait qu'il existe la possibilité que l'on ne rejoue pas un autre Mondial, c'est ça qui a fait que j'ai pleuré», se souvient-il. «Si Fékir ne se sent pas algérien, on lui souhaite le meilleur» Le feu follet de Valence, arrivé en 2012 chez les Verts, fait désormais partie des cadres de la sélection. Avec la retraite annoncée de Bougherra, et celle probable de Lacen, il sera le leader naturel de cette équipe recomposée sous l'ère Halilhodzic. Un statut construit avec beaucoup d'humilité, faut-il le souligner. «Dans cette équipe, il y a beaucoup de joueurs qui sont honnêtes avec le maillot, qui sont déterminés et qui méritent ce brassard. Si un jour je dois le porter, ça sera vraiment, vraiment (il insiste) une fierté incroyable. Je respecterai cet honneur», affirme-t-il. Et malgré ce rôle, Feghouli ne compte exercer aucun pouvoir, aucune pression. Surtout pas sur Nabil Fékir, l'attaquant lyonnais qui tergiverse à donner suite aux sollicitations de Gourcuff et de la fédération algérienne. Le sage Feghouli, lui, ne remet rien en cause et insiste sur la difficulté du choix que Fékir, qu'il n'a ni vu ni entendu, doit faire. «Si j'ai un conseil à lui donner, c'est de gagner sa place dans son club. Et s'il se sent algérien de cœur, il sera le bienvenu parmi nous. Il sera alors accueilli comme nous l'avons tous été. Bougherra et d'autres anciens nous ont ouvert les portes. Si maintenant il ne se sent pas algérien, on lui souhaitera le meilleur». Lui, en tout cas, retient implicitement que les places en sélection sont chères. Avec l'avènement d'une génération talentueuse et fière de son appartenance aux couleurs algériennes. Une portée humaine que Feghouli a déjà appréciée quand il a eu à travailler sous les ordres de Christian Gourcuff. Un coach qui n'a rien à voir avec son prédécesseur, tranche l'ancien Grenoblois. «Vahid Halilhodzic, il gérait tout lui-même, et dans les moindres détails. Il avait la main sur tout. Avec Christian Gourcuff, c'est tout le contraire, c'est de l'autogestion de la part du groupe. Il y a plus de collaboration dans certaines décisions», assure-t-il. Et cette sentence met fin à la polémique entretenue lors du règne du Bosnien qui, souvent, trouvait à redire quand il était interrogé sur l'absence non autorisée du Valencien lors du match amical face à la Slovénie. Soulagé, Feghouli pense que la relation entre le Bosnien et l'équipe d'Algérie devait se terminer ainsi. «Je pense qu'on arrivait à la fin d'un cycle, c'était le bon moment pour tous de voir autre chose. Pour lui, qui a accompli de belles choses avec l'Algérie, et pour nous aussi. Lui et nous on était arrivés à saturation», lâche celui qui trouve bizarre la manière de motiver de Halilhodzic. L'anecdote livrée aux lecteurs de FF est sans ambages. «C'est ma première sélection contre la Gambie en février 2012. Il m'a mis une pression de fou. Je venais d'arriver. Je ne m'attendais pas à ça. Je me disais qu'il allait me mettre à l'aise. Au contraire, il m'a pris seul, et m'a répété : «Il ne faut pas que tu me déçoives. Je t'ai mis à la place de certains.» Cela n'a pas été facile. J'avais vraiment à cœur de lui démontrer que si j'étais là, c'était pour mon pays, et pas pour lui faire plaisir», se rappelle-t-il. Et comme pour prouver que l'humain est quelque chose de sacré chez lui, Feghouli ne se départit pas de son amour pour la Palestine. «La Palestine, oui j'y tiens. De par ma religion et ma communauté, c'est quelque chose qui me touche énormément. La position de beaucoup de gouvernements est honteuse vis-à-vis de ce peuple. Ce sont les plus démunis que l'on laisse à l'abandon (...). Donc, si je peux donner le sourire à ce Palestinien qui me voit comme un grand joueur, je le fais avec plaisir. C'est quelque chose de normal. Je l'ai déjà fait avec des jeunes Algériens ou une petite Espagnole. Dès que j'en ai l'opportunité, je le fais, et tout le monde devrait le faire.» Avant de conclure par un poignant aveu d'incrédulité face aux maladies et les malheurs qu'elle génère. «C'est aussi vrai pour Ebola, qui existe depuis longtemps, et qui aurait pu être traité en amont. Cela me touche. Il n'y a pas que le football dans la vie...»