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Cahier cubain d'un retour de mémoire (1)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 12 - 2014


Par Abdelmadjid Kaouah
Cuba ! Les souvenirs se bousculent à la porte de la mémoire.
Mais commençons par l'immédiat. L''histoire immédiate. Coup de tonnerre, Barack Obama, Président des Etats-Unis, annonce ce 18 décembre de l'année de grâce 2014 sur tous les écrans du monde que «L'Empire» avait convenu avec Cuba, en la personne de son homologue Raoul Castro, de développer de nouvelles relations bilatérales. Clap de fin du feuilleton du «blocus» décrété par feu JFK ? Finie l'image d'Epinal des «Barbudos» qui se seraient emparés de Cuba à la barbe de l'Oncle Sam, un certain 29 janvier 1959 ? Et qui le narguent depuis leur petite île en forme de crocodile depuis plus de la moitié d'un siècle... C'est trop tôt de le dire. Mais des bouleversements importants sinon radicaux risquent d'advenir dans les semaines, les mois prochains. Barack Obama, Nobel de la paix avant d'avoir accompli le moindre effort pour cette perspective, trouvera là une occasion pour passer à l'Histoire.
Jusque-là, bien au contraire, il a pris —certes, avec sophistication — la relève des guerres destructrices initiées par son prédécesseur, G. W. Bush. Bien sûr, il a exposé clairement, les tenants et les aboutissants d'un processus historique, les conclusions de la politique en réaction, menée par les Etats-Unis depuis l'entrée triomphale de Fidel Castro et de ses compagnons à La Havane. Les Etats-Unis ont tout essayé, le débarquement-invasion à Playa Girón (Baie des Cochons) en avril 1961 qui fut défait en 72 heures par les l'armée révolutionnaire cubaine sous la direction de son Commandante, Fidel Castro, retiré aujourd'hui du pouvoir mais bien de ce monde. Playa Girón, les plans de liquidation de la CIA, les manigances surréalistes de la maffia — comme recours du gouvernement US défaillant, ladite «crise des missiles», l'empoisonnement des récoltes, le soutien à la réaction intérieure, l'établissement d'un véritable cordon sanitaire autour de la révolution cubaine en favorisant les coups d'Etat militaires dans les pays latino-américains.
Coups d'Etat y compris contre des pouvoirs installés par les urnes comme ce fut le cas de l'Unité populaire conduite par le Dr Salvador Allende. Le Président chilien n'accepta pas de se démettre quitte à se donner la mort en forme de résistance face à une junte orchestrée par le Président US Nixon et le bon docteur Kissinger qui coule encore des jours heureux...
Le socialisme à la cubaine faisait aussi grincer des dents les tenants du «socialisme réel» à Moscou et même à Pékin. Bien que Cuba, sans ressources énergétiques, devait s'en remettre à l'URSS et partant nuancer la radicalité de ses crédos. Le Che, abandonné et encerclé en Bolivie, était froidement exécuté en 1967. Des années auparavant, à Alger, qui s'enflammait encore à «l'heure des brasiers», Ernesto «Che» Guevara — lui qu'on présentait comme l'exemple du rigide communiste orthodoxe, le premier d'entre les Cubains, avait dit son fait à l'URSS en dénonçant «l'échange inégal» qu'elle pratiquait à l'instar des autres pays capitalistes. L'internationalisme prolétarien fut parfois un simple slogan ou un paravent à des intérêts géostratégiques de superpuissance. En effet Havane dut ravaler ses fougues romantiques (comme ce fut le cas lors de «la crise des missiles» qui mit le monde au bord de l'holocauste nucléaire — lancées par Fidel du haut de la place de la Révolution sous le regard d'albâtre de l'apôtre latino-américain, José Marti. Il fallait donner corps à l'idéal en tenant compte du réel, l'idéalisme en butte à l'économique et au social.
Le socialisme cubain que certains tournaient et tournent encore en dérision en le qualifiant de socialisme de la misère est loin de se réduire à la samba et au rhum. C'est Obama lui-même qui a reconnu dans sa dernière intervention l'apport combien méritoire des Cubains qui ont trouvé, notamment, un vaccin à la fièvre jaune, les milliers de médecins à travers l'Amérique latine et l'Afrique, réputés pour leur haute compétence en ophtalmologie. Ils sont à Djelfa, chez nous, et à en croire quelques échos, ils obtiennent de bons résultats. Djelfa comme emblématique du passage de Fidel Castro aux côtés de feu Houari Boumediène qui n'a jamais autant souri : Castro en treillis sur un chameau et l'austère Boumediène le retenant de sa main tout en sourire. Sans plan de com et bien avant le saint bling-bling...
Ainsi donc, Cuba habite, hante pour le moins une génération,
ou en partie — pour ne pas verser dans la tautologie révolutionnariste. Non, certains jeunes de notre génération avaient, et c'est leur droit, d'autres inclinations, d'autres rêves. Dans la nôtre, il y avait de l'utopie. Ne plus voir de cireurs, d'analphabètes, de gourbis, de mendiants (peut-être avions-nous trop lu La complainte des mendiants et de la petite Yasmina...). Nous voulions la terre pour ceux qui la travaillent vraiment, l'électricité dans les moindres masures, le gaz, les écoles partout. Nos sœurs à l'école et nos égales. Pour faire bref, je renvoie encore à la poésie, au poème de Bachir Hadj Ali. C'était notre crédo et c'était le temps des illusions mais lyriques. Une belle et déconcertante générosité. Combien de fils de gros propriétaires terriens n'ont-ils pas récusé leur clan pour rejoindre la grande tribu des volontaires de la si décriée maintenant «Révolution agraire». Je vous épargne le jeu de mots qu'en fit un apparatchik algérien qui appartenait, ô paradoxe des paradoxes algériens, à la sphère du pouvoir... «Yakoul el gahala wi seb el mala», dit la sagesse paysanne. C'est un peu tout cela qui se télescopait avec Cuba. Et les barbudos cubains euxmêmes quand ils prirent les chemins de la Sierre Maestra après s'être nourris de l'exemple des baroudeurs des Aurès.
Les souvenirs se bousculent à la porte de la mémoire. Voici le «Che» inaugurant une salle de cinéma nationalisée baptisée Sierra Maestra. Le même dans un café autogéré et esquissant le geste d'éteindre son cigare sur le comptoir fut même rappelé à l'ordre par le cafetier. Quand on lui dit de qui il s'agissait, il n'en démordit pas. Il fut alors félicité par le «Che» de lui avoir administré une telle leçon du respect de la chose publique. Rapporté par Jean Sénac, l'auteur de «Tu es belle comme un comité de gestion». Que reste-t-il du socialisme autogéré. Des bâtisses déglinguées dans des domaines autrefois si prospères. Ou tombées dans les mains de spéculateurs sans état d'âme.... Romantisme que tout cela... Rendu caduque par les faits et les chiffres têtus, comme disait l'autre. Mais Cuba a tenu contre vents et marées. Combien de tentatives d'assassinat de celui que la presse occidentale se gargarise à nommer à longueur de colonnes le «leader Maximo», alors que dans son pays, tout le monde l'appelle familièrement Fidel. Que de tonnes de mensonges ont été déversées sur cette petite île rebelle coincée entre une superpuissance qui se croyait tout permis et une autre qui comptait ses sous avant de financer la solidarité prolétarienne.... Il faudrait peut-être rendre justice aux peuples de l'ex-Union soviétique, au peuple russe, qui fit les frais et les frasques d'une bureaucratie dénoncée très tôt par le fondateur de cet Etat multinational et qui sombra corps et biens dans le néant de l'Histoire. Comme Rome, comme Baghdad, comme tant d'autres expériences dites anti-coloniales et anti-impérialistes qui se transformèrent en dictatures, parfois sanguinaires. Où est la Guinée de Sékou Touré ? L'Ethiopie du Négus rouge», la Somalie du général Siad Barré, dont le swahili était donné comme l'exemple d'une alphabétisation réussie ? Où est tout simplement
l'ex-RDA ? Un lander où prolifèrent les néo-nazis alors qu'elle s'affichait comme le plus solidaire Etat socialiste avec les pays du Tiers-Monde. Retournements de l'Histoire. Décadence cyclique des institutions humaines ?
Cuba a tenu, elle est là toujours, même si – ou à cause, peut-être, c'est selon, des Castro.Oui, car au-delà des slogans socialistes qui peuvent paraître parfois surréalistes, les Cubains sont avant tout d'ardents patriotiques, imbus de leur «cubanité». Pour avoir été longtemps une annexe climatisée des Etats-Unis, ils savent le prix de la dignité.
Faut-il rappeler leur soutien et leurs sacrifices à la lutte des Africains contre le colonialisme portugais en Angola, au Mozambique, contre l'Apartheid en Afrique du Sud, au Zimbabwe ? Des Cubains ont payé le prix du sang pour la liberté des Africains. Cela remonte à loin.
En 1978, j'ai fait partie de ces jeunes Algériens qui ont pris le bateau (l'amiral Nakhimov qui coulera des années plus tard, métaphore du naufrage de la Russie sous Eltsine !) pour La Havane où se tenait le Festival de la jeunesse et des étudiants. Le bateau est parti d'Oran, cette ville qui ressemble étrangement à La Havane, selon Henri Alleg.
Nous étions combien ? Ma mémoire n'a jamais été en harmonie avec les chiffres. En tout cas, cette équipée navale d'Oran à La Havane dura 17 jours et nuits en mer et sur l'océan, si je ne me trompe. Des visages émergent du souvenir éclaté entre mer et océan. Je ne sais quelle «couverture» de presse officielle en fut faite à l'époque. Avant de prendre la mer, à Alger où s'étaient regroupés les «festivaliers» au centre de la jeunesse de Tixeraïne eut lieu un temps fort. Boumediène him-self, sans protocole ni fanfare, avait fait son apparition. Je puis dire maintenant que j'étais plus ou moins dans la confidence. Feu Messaâdia avait ouvert la rencontre. Se doutait-il que Boumediène surgirait sur ses pas sans crier gare ? Nous l'avions écouté avec respect puisqu'il parlait au nom de Boumediène. Soudain, je suis sorti griller une cigarette (oui, à cette époque, on en grillait pas mal des Afras !).
Et devant moi surgit comme d'une nuée Abdelmadjid Allahoum (aujourd'hui disparu) et ses équipages en costumes stricts, m'enjoignant de dire aux festivaliers de ne pas bouger de la salle car le Président arrivait. Ce qui fut fait. Et ce fut la dernière allocution of the record du président Houari Boumediène. A notre retour de Cuba, il avait mystérieusement disparu. Il reparaîtra fugacement – juste après un sommet arabe... Puis, rien sur l'écran. Puis soudain, il réapparut comme une lointaine image à Moscou portant avec le burnous une chapka. Moscou, où il devait être soigné pour un mal non moins mystérieux qui allait l'emporter en quelques semaines.
Cuba, à Tixeraïne fut donc au cœur de ces derniers propos de Boumediène à de jeunes Algériens épars à travers le pays qui en feront le silence et le deuil. Il parla aussi longuement de l'Egypte sous Sadate et des restructurations géo-politiques qui allaient affecter le monde arabe. Prémonitions, conjectures ? Sa parole forte et nette se radicalisait à l'épreuve des résistances intérieures et des enjeux internationaux. En écrivant ces lignes, j'ai l'impression d'écrire les arguments d'un roman. Si les lecteurs faisaient preuve d'indulgence, je leur proposerais un autre chapitre.
A suivre donc.


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