On connaît le tindi, l'imzad, aujourd'hui patrimoine mondial de l'humanité, mais moins bien le blues touareg. Surnommé aussi le blues du désert, ce nouveau courant musical, né au cœur des mouvements de l'Azawad, est un véritable phénomène de mode, auprès de la jeunesse de Tamanrasset. Au Festival national de la chanson et de la musique amazighes qui se déroule depuis samedi dans la capitale du Hoggar, il supplante tous les autres styles musicaux. Dès que les complaintes des guitares touaregs s'élèvent dans les nuits étoilées du désert de l'Ahaggar, la foule est carrément prise de délire. Les jeunes connaissent par cœur le répertoire de ces groupes amateurs qui ont choisi de suivre la voie des Tinariwen, formation qui a donné à ce genre ses lettres de noblesse et une reconnaissance internationale. Le succès de Tinariwen (pluriel de Ténéré qui signifie désert en targui) qui a obtenu, en 2011, un Grammy Award, pour son album Tassili, a largement contribué à booster ce style. Outre-Atlantique, il supplante même le raï et Tinariwen est plus connu que Khaled. Ce sont d'ailleurs les Occidentaux qui l'ont surnommé le blues du désert, ou le son des dunes, parce qu'il rappelle le blues des esclaves noirs américains et véhicule la même tristesse, nous dit-on. Les Touaregs préfèrent l'appeler assuf qui signifie «la nostalgie» en tamacheq, ou tout simplement «el guitara». «Il existe aujourd'hui des centaines de groupes», nous explique Dida Badi, anthropologue et spécialiste des musiques touaregs. Les joueurs, de véritables virtuoses, ont la particularité de ne pas avoir de formation musicale et d'aller de collectif en collectif, à la manière des nomades d'autrefois. C'est un style qui fusionne musique moderne et musique traditionnelle touaregs, en regroupant des guitares électriques, des percussions, notamment le jembé ou le tindi, de la batterie. Mais c'est le son des guitares qui donne à cette musique, cette charge émotionnelle qui semble parler aux âmes tourmentées. Si le genre a explosé ces dernières années, son histoire remonte aux années 1970, avec l'introduction des instruments modernes occidentaux dans les musiques traditionnelles, en Afrique de l'Ouest, raconte Dida Badi. En Algérie, c'est Ali Farka Touré, songhoi de Gao, qui l'introduisit, pour la première fois, à l'occasion des festivités de l'Assihar qui regroupait à Tamanrasset, des troupes musicales de différentes régions du Sahel (Algérie, Mali, Niger, Libye). Comme les nomades, le blues touareg est commun à ces quatre pays. Le fondateur du groupe Tinariwen, Abdellah des Kel Addar, tribu touarègue vivant entre le nord du Mali et l'Algérie, a repris par la suite, el guitara, pour chanter la transformation du mode de vie touareg et les crises que ces changements ont induites. A l'époque, les textes ne parlaient pas de révolte et de guerre, ils évoquaient plutôt les problèmes d'adaption des Touaregs à la vie sédentaire, le rapport à la cité, aux Etats, aux frontières. Ils sensibilisaient à l'éducation des enfants, au développement ou dénonçaient le chômage qui a donné son nom au célèbre groupe malien Ishumar. C'est dans les années 1980-1990 que ce style musical a commencé à porter les messages des rébellions touaregs au Mali. Des cassettes clandestines circulaient, appelant les jeunes Touaregs à prendre les armes. Au Mali et au Niger, les gouvernements en avaient interdit l'écoute. C'est aussi sans doute cela qui a contribué à la popularité de ce genre musical, chez les jeunes Touaregs. Et si aujourd'hui, les textes ne parlent plus de guerre mais d'amour, d'identité, de la beauté du Sahara, ils se mélangent aux guitares écorchées et aux percussions voyageuses, avec la même nostalgie et la même intensité, qui vous prend aux tripes, même si vous n'en comprenez pas les paroles.