La corruption est définie comme «le détournement à des fins privées d'un pouvoir reçu en délégation», elle traverse donc tout le champ de l'activité humaine. Le lien est étroit entre pauvreté et corruption, parce que la corruption détruit en premier lieu les pays les plus pauvres et les plus pauvres dans notre pays. Qu'est-ce que l'«alerte éthique (ou whistleblowing )» ? La protection des lanceurs d'alerte dans le monde est rarement née de la vertu spontanée d'un peuple (hors la Suède en 1766), mais plus généralement d'une série de crises et de tragédies, coûtant des centaines de vies humaines, ruinant des pans de l'économie, sapant les fondements de la confiance — crises et tragédies qui auraient pu être épargnées, si les équipes, averties, n'avaient craint de perdre leur emploi en brisant le silence, ou avaient été entendues lorsqu'elles en ont eu le courage. On sait qu'un grand nombre de malversations sont révélées par les lanceurs d'alerte, mais qu'une large majorité des salariés se taisent de peur de perdre leur emploi. Plus profondément, on peut se demander si ce que l'on a appelé la crise financière mondiale de 2008, succédant aux crises sanitaires et environnementales, ouvrant une crise morale et sociale globale, n'a pas mis en lumière pour un grand public une chaîne de causalités : corruption, crises, creusement des inégalités, délitement du lien social, pauvreté. Et si ce n'est pas de cet effondrement total de la confiance, que la figure du lanceur d'alerte pouvait émerger non plus comme «mouton noir», mais comme vigie citoyenne ? Il n'y a pas de définition légale internationale de l'«alerte éthique» ou du lanceur d'alerte, mais les définitions des législations nationales et des ONG convergent sur le fond vers un «signalement dans l'intérêt général». Le «droit d'alerte», encadrement de l'alerte éthique, à la mécanique complexe, fait l'objet de débats parlementaires depuis près de 50 ans dans le monde, et 25 ans en Europe. Voici la définition qu'en donne l'ONG Transparency International ( TI) : l'alerte éthique est «le signalement par un employé d'un fait illégal, illicite ou dangereux, touchant à l'intérêt général, aux personnes ou instances ayant le pouvoir d'y mettre fin» et, sur la même ligne, la toute fraîche définition du Conseil de l'Europe dans la «Recommandation du Comité des ministres aux Etats membres» en date du 30 avril 2014, soit «le signalement d'une menace ou d'un préjudice pour l'intérêt général». Il est inscrit dans des conventions internationales (Convention contre le licenciement de l'Organisation internationale du travail de 1982, Convention des Nations unies contre la corruption de 2003...) et les lois nationales. Près de 60 pays ont adopté à dater de 1863 une législation soit sectorielle — il y a aujourd'hui 47 lois aux Etats-Unis protégeant divers segments, 12 en Irlande —, soit globale pour les secteurs publics et privés et tous champs de l'activité humaine (exemples : le Royaume-Uni en 1998, l'Afrique du Sud en 2000, la Nouvelle Zélande en 2000, le Japon en 2004, l'Irlande en 2014). Mais tous ont commencé par la protection de leur service public (Etats-Unis 1978, Royaume-Uni 1998, Roumanie et Japon 2004, Canada 2005, Hongrie 2009, Corée 2011), à l'exception de la France — seul pays au monde à avoir protégé en premier lieu le salarié du secteur privé signalant des faits de corruption (par la loi du 13 novembre 2007), la France qui jusqu'au 6 décembre 2013 n'offrait pas une protection explicite à l'agent public signalant crimes ou délits. Le grand vide en Algérie La notion de protection des dénonciateurs et des victimes de la corruption est évoquée très largement par la Convention des Nations unies, la loi algérienne du 20 février 2006 — relative à la prévention et à la lutte contre la corruption — lui consacre uniquement l'intitulé d'un article (45), mais l'article en question n'évoque pas du tout cette notion. Plus grave encore, l'article qui suit (46) traite très sévèrement de la notion de dénonciation calomnieuse. A croire que les auteurs de cette loi ont voulu sciemment dissuader tout dénonciateur de corruption ou donneur d'alerte. Le précédent ministre de la Justice a voulu modifier ces dispositions scélérates en rendant cette loi de 2006 plus conforme aux standards internationaux de protection et d'encouragement des donneurs d'alerte, mais il n'a pas pu vaincre les résistances au sein de l'Exécutif. Son successeur y a fait vaguement allusion il y a quelques mois, mais sans s'engager dans un calendrier précis, et pour cause, le donneur d'alerte est vu comme un empêcheur de tourner en rond, un opposant au système et un révolté qu'il faut museler, d'où les représailles quasi systématiques qu'il subit. Selon le Conseil de l'Europe ou les standards internationaux (TI, OCDE ou G20), pour qu'une législation de l'alerte soit efficace, une loi globale spécifique est préférable «pour la sécurité juridique» ; le champ d'application doit inclure au minimum les violations de la loi et des droits de l'homme, et les risques pour la santé, la sécurité publique et l'environnement ; les canaux et les procédures doivent être sécurisés et accessibles ; une Agence indépendante doit recueillir, traiter, suivre l'alerte, évaluer et publier régulièrement les données. Tout un programme dont les chances de réussite sont liées à l'existence d'une réelle volonté politique...