La 2e édition du colloque international organisé par la revue littéraire L'Ivrescq s'est ouverte mercredi à la Bibliothèque nationale d'El Hamma sous le thème «De la critique littéraire journalistique à la critique universitaire». A l'ordre du jour de cette première séance matinale : état des lieux de la critique académique et journalistique, les différences fondamentales entre les deux, mais aussi leurs interactions. Pour Afifa Bererhi, professeure de littérature française à la Faculté d'Alger, la critique littéraire est passée par plusieurs phases avant de prendre sa forme actuelle. Au XIXe siècle, de nombreux écrivains étaient reconnus comme critiques ; celle-ci connaîtra plus la mutation que l'on connaît aujourd'hui, celle de la spécialisation et de l'académisme qui s'adaptent à plusieurs concepts philosophiques. Elle souligne, néanmoins, que ce type de critique ne peut être entièrement dissocié de la critique journalistique en ce sens qu'elles ont en commun une base de critères : les deux sont tenues de se référer de prendre en compte le contexte de l'œuvre et le public auquel elle s'adresse ; elles sont également dans l'impossibilité de se limiter au débat littéraire sans glisser dans celui des idées. Mme Bererhi souligne néanmoins que c'est la critique journalistique qui joue le plus grand rôle dans la notoriété de l'ouvrage en influençant le lectorat mais aussi la sélection aux prix littéraires. Et d'ajouter que la critique de presse peut même faire l'objet de recherches universitaires qui, par ailleurs, la convoquent pour étayer son propos. L'intervenante conclut cependant par une note négative en soulignant que la critique universitaire «n'a pas bougé depuis vingt ans». Quant à la critique journalistique, elle estime que «l'Etat doit créer des pôles de spécialisation dans la formation même des journalistes». Frédéric Ferney abordera, pour sa part, la situation globale de la critique littéraire en France dont certains points peuvent également s'appliquer à l'Algérie. S'exprimant dans un langage quasiment poétique et néanmoins acéré, cet écrivain et critique reconnu, présentateur de la défunte émission Bateau Livre (France 5), estime que la critique littéraire «n'est pas une science mais une matière où il entre plus de passion que de science». Selon lui, être critique demande «un peu de théorie, beaucoup de culture et surtout du combat». Et de revenir sur l'état de cette discipline en France où «une idéologie du déclin affecte globalement l'économie, la société, la culture, et qui s'affiche sans relâche dans tous les médias», un phénomène qu'il appelle «dramaturgie de l'ultime» qui s'apparente autant à une idéologie qu'à une posture intellectuelle. Cela s'explique, pour Ferney, par l'absence de nouveaux paradigmes qui engendre une «critique de la crise ou une crise de la critique» alors que, rappelle-t-il, l'étymologie grecque du mot «crise» renvoie à une idée de «rupture, décision, jugement, voire délivrance et donc fécondité». Or, la tendance générale renvoie davantage à la stagnation et se fait l'écho des dérives de la vie moderne où «le buzz devient un vecteur d'information et d'opinion». L'intervenant dissèque alors le jargon médiatique contemporain et y voit la manifestation la plus éclatante d'une paupérisation du débat littéraire et culturel : «Aujourd'hui, plus c'est bas, plus c'est drôle ; et plus c'est dégueulasse, plus c'est vrai !» A partir de là, Frédéric Ferney estime qu'il est légitime de se poser cette question : «La critique littéraire a-t-elle encore un sens ?» Il cite à ce propos la «prophétie» de Henry James, «la démocratie est une menace pour la littérature» puisque l'époque est celle de «l'acquisition frénétique des richesses, inculture non plus honteuse mais agressive et conformisme déguisé en rébellion» ; une époque de l'uniformisation morale et intellectuelle et de la déshumanisation de l'individu ; en somme, un modèle de pensée tyrannique qui gouverne tout en donnant l'impression aux soumis d'avoir une totale liberté ! Quant à la «fin de la critique», il cite un florilège d'essais publiés ces dernières années en France qui attestent de ce culte de la fin et y voient l'une des raisons ayant poussé de nombreux auteurs à se complaire dans la mélancolie et à adopter la devise de Cyrano de Bergerac : «Plus c'est beau, plus c'est inutile.» Le conférencier évoque un phénomène de désenchantement narcissique et une lassitude paradoxalement productive qui a imposé le modèle d'une littérature consommable. Quant aux critiques, Ferney exige plus que jamais à ce métier une qualité essentielle : «Etre courageux et s'efforcer de ne pas devenir un scélérat» car, prescrit-il : «Ne dites pas que vous êtes sincère, soyez-le ! Il n'est pas utile de vous vanter d'être indépendant, il suffit de l'être ! Il n'est pas non plus indispensable que le critique ait une pensée originale mais qu'il ait la capacité de faire jaillir de la pensée.» Et, conclut-il : «Il ne faut surtout pas qu'on s'ennuie en lisant une critique littéraire.»