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Guerre des mots ou guerre mémorielle par extension
Publié dans Le Soir d'Algérie le 16 - 02 - 2015


Par Noureddine Amrani
Un sujet qui a suscité une réflexion pertinente d'une lectrice des plus douées ; une spécialiste en linguistique (El Watan du 17 janvier 2015. Arts et lettres). Cette réflexion sous le titre «Guerre des mots» faite sur l'ouvrage Guerre d'Algérie. Les mots pour la dire, publié sous la direction de Catherine Brun, apporte un éclairage judicieux sur des aspects sémantiques.
Ce sujet nous interpelle aussi à plus d'un titre pour chasser l'ombre qui masque les intentions inavouées des auteurs de cet ouvrage. Nous amorçons donc une lecture plus scientifique des mots usités avec une référence en filigrane à l'histoire de notre pays. D'entrée, l'expression une «guerre sans nom» 1954-1962 apparaît comme un postulat qui nous imposerait une configuration espace temps tronquée de ses 3/4 et de surcroît sans nom «SNP, sans nom patronymique» : acronyme usité dans la période coloniale). Cette formule nous pousse a priori dans un faux débat qui nous détourne de l'essentiel de la question, à savoir l'opportunité du choix et la légitimité du mot guerre dans le créneau 1954-1962.
L'omission volontaire de la conquête du pays et les affres de la longue nuit coloniale de 1830 à 1962 dans le débat ; l'interpolation des mots et expressions dans l'ouvrage sont autant d'éléments qui présagent à dévoyer le sens mémoriel de l'histoire. Ce qui nous invite à apporter un éclairage complémentaire par une analyse polémologique, adossée aux sciences militaires dans la mise en œuvre projetée de cet énoncé.
La guerre : considérée comme un phénomène d'ordre social et humain selon la polémologie (chère au sociologue français Gaston Bouthoul dont il est le créateur du mot) est une branche de la théorie des relations internationales sur la compréhension des conflits. Les sciences militaires sont plus concises pour servir de base d'étude à l'élaboration de toute doctrine militaire. Elles nous enseignent notamment : la nature, les lois, la préparation et la conduite de la guerre ; sans pour autant oublier la gestion après guerre des séquelles psychiques et physiques des hommes et les destructions des infrastructures. Laquelle constitue de nos jours un travail très élaboré, nécessitant le concours de spécialistes pluridisciplinaires. Aussi, la guerre implique des ensembles organisés et plus ou moins à égalité en moyens militaires (pouvant être aussi d'une asymétrie technologique ou numérique). Elle se caractérise par sa nature, sa forme, son but, l'identification des belligérants et son inscription dans le créneau temps et espace des conflits.
L'expression «guerre d'Algérie» usitée dans l'ouvrage, sujet de la réflexion, sans nom et sans caractéristiques, n'a pas de place dans ce contexte.
Elle aura encore moins d'audience par sa loi n°99-882 du 18 octobre1999, votée après un silence de 37 ans, à l'effet de fournir la qualité de combattants aux personnes ayant servi aux «évènements d'Algérie» pour un bénéfice au code des pensions militaires. Et ce, au mépris du droit international. Pour ce faire, les législateurs ont eu recours aux mots suivants : à la substitution à l'expression aux opérations effectuées en AFN entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 de l'expression à la «guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc».
Notons l'amalgame dans la formulation espace temps (1952-1962) dans la nature des hostilités et des belligérants. Le Maroc et la Tunisie — sous protectorat — n'étaient pas dans la même configuration «territoires français», ce qui prêterait à dire plutôt «guerre de France». On «solde de tout compte» !
Cette loi qui gratifie des tortionnaires du genre général Aussaresses, préfet Papon, sous-préfet Achiary et consorts de combattants ne glorifie pas la France.
Cette gymnastique de l'esprit a été faite dans un tout autre but que celui de la guerre. La France a ignoré la convention de La Haye de 1907 sur le droit de la guerre qu'elle a ratifiée le 7 octobre 1910 (déclaration de guerre : préalable et obligatoire selon la IIIe Convention de La Haye). De ce fait, elle ne peut prétendre s'inscrire à une guerre a posteriori à laquelle elle n'a jamais souscrit. Les auteurs de l'ouvrage auraient mieux fait de s'intéresser davantage au contenu et s'interroger sur les paradoxes et ambiguïtés. Faisant fi du droit international, cette guerre restera à jamais orpheline, sans nom (on n'habille pas un fantôme).
Il est évident que la France coloniale, imbue de sa force militaire, a toujours trouvé les mots de circonstance pour agir contre toute morale et droit. Les exterminations par enfumades, les emmurements, les déportations de tribus entières sous le sigle «conquête du territoire 1830-1848». 25 000 Algériens sacrifiés durant la Première Guerre mondiale 1914-1918» sans oublier ceux de la Seconde Guerre mondiale 1939-1945 astreints au service militaire contre leur gré. «Soldats inconnus». Les massacres de civils par les colons de peuplement lors de manifestations pacifiques du 8 Mai 1945 ont été couverts par l'expression «opérations de maintien de l'ordre» et les victimes portées disparues.
Ainsi, depuis l'agression du pays en 1830, la France coloniale n'a jamais usité les mots guerre ou peuple algérien, pour éviter une reconnaissance de l'Etat algérien, qui retirerait le voile de régence d'Alger derrière lequel elle s'est toujours confinée avec sa mission civilisatrice. En d'autres temps, cette mission deviendra colonisation de démocratie, droit d'ingérence et droit de protéger. Les prétextes ne manquent pas mais ne trompent personne sur «cette guerre de colonisation» en marche depuis le débarquement des troupes françaises le 14 juin 1830 jusqu'à son extinction le 2 juillet 1962. La colonisation est la fleur du développement français, déclarait jules Ferry ; l'initiateur du code de l'indigénat en1881 pour soumettre le peuple algérien - dénommé indigène musulman non naturalisé - à un régime assimilable à celui de l'esclavage.
Cet état d'esprit persiste à nos jours à travers des lois telle celle du 23 février 2005 faisant l'apologie de la colonisation, qualifiée de «crime contre l'humanité». Ce mot guerre n'avait pas cours durant les premières tentatives de négociation entre les autorités françaises et les représentants de la révolution et n'a pas eu de place également dans les accords d'Evian de 1962 entre les représentants du gouvernement français et ceux du GPRA. Il n'est apparu que dans le premier projet de loi pour les revendications aux pensions militaires. Un projet qui n'a pas eu d'effet d'application en1974 sous la présidence de M. Giscard d'Estaing.
La seconde proposition n'a été adoptée qu'en 1999 sous la présidence de M. Jacques Chirac, 37 ans après l'indépendance de l'Algérie. On ne peut se tromper sur ce qui se trame par le choix des mots. Les faits nous interpellent pour décoloniser l'histoire en toute objectivité, en les mettant chronologiquement dans leur réalité, et ce, dans l'intérêt des générations à venir de nos deux peuples et ceux de l'univers.
La colonisation persiste, mais la lutte continue.
La lutte pour l'indépendance consignée dans l'appel du 1er Novembre 1954 au peuple algérien et la révolution adoptée au Congrès de la Soummam le 20 août 1956 ont été couverts côté français par l'expression : «évènements d'Algérie1954-1962».
Nous nous proposons de revisiter le texte de l'appel du 1er Novembre 1954 au peuple algérien, comme référence pour une confrontation dans sa caractérisation avec le texte de loi française sur la «guerre d'Algérie».
Pour rappel, ce texte a été édité par un groupe de militants de l'OS (Organisation spéciale) parmi les survivants des massacres du 8 Mai 1945 et diffusé sur les chaînes radio de pays frères le 1er Novembre 1954. Ces militants, sous l'étiquette d'un front uni — FLN — et dans la clandestinité, ont décidé du déclenchement de la lutte pour recouvrer l'indépendance de l'Algérie.
Le programme présenté définit a priori :
* La conjoncture nationale du moment.
* L'intention de l'action à entreprendre.
* La gravité de la situation du moment ; la configuration politique du mouvement : Front de libération nationale.
* Le but à atteindre : l'indépendance de l'Algérie.
* Les objectifs intérieurs : dynamisation du Mouvement national, rassemblement et organisation de toutes les énergies saines du pays.
* Les objectifs extérieurs : alliances et diplomatie extérieure, affirmation de la lutte dans le cadre de la charte des Nations unies ;
* Moyens de lutte : conformément aux principes révolutionnaires et compte tenu des situations intérieure et extérieure, la continuation de la lutte par tous les moyens jusqu'à la réalisation de notre but. Il est prévu une plate-forme honorable de discussion pour des négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur la base de la reconnaissance de la souveraineté algérienne une et indivisible.
* En contrepartie : les intérêts français culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés ainsi que es personnes et les familles.
Voici donc pour mémoire des extraits de la structure du programme guide projeté. Il reste un programme historique par le fait de sa précision dans des mots : clairs, nets, précis, concis et à propos. Les intentions bien établies ne prêtent à aucune équivoque.
Les modes d'action sont définis comme une lutte.
Il était évident que le pays était sous administration coloniale et ne disposait ni d'armée ni d'armement, mais la volonté et la détermination d'un peuple à venir à bout d'une colonisation centenaire sont au-dessus de tout système d'armes.
Face à l'armée coloniale, des groupes peu nombreux se sont convertis en combattants, sans trop d'expérience, avec un armement obsolète et une logistique militaire inexistante, ont entamé une lutte dans un concept de guérilla. Le résultat a été confirmé par le but atteint.
L'Algérie recouvre son indépendance et sa souveraineté.
L'engagement total du peuple dans un idéal révolutionnaire à été confirmé tant à l'intérieur du pays, qu'à l'extérieur par l'alignement de la majorité des pays des Nations unie à la cause algérienne.
Le programme s'était pourtant engagé à entreprendre des négociations sur la base d'une plate-forme dans le but de régler pacifiquement le conflit et éviter ainsi le recours aux armes et à la violence. Par le refus et l'obsession, la France coloniale a perdu la paix et n'a pas atteint son but.
Le peuple algérien restera à tout jamais le garant de sa révolution.


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