Youcef Merahi [email protected] J'ai cru bien faire en cherchant à lire le dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission, d'autant que je l'ai vu vendre son ouvrage à la télé, avec son air faussement gêné. En 2022, la France élira un président de la République, au suffrage universel, de confession musulmane. Si l'écrivain a choisi ce thème, c'est que –quelque part – cette idée, rien que l'idée, donne une frousse rétrospective. C'est un peu une manière de se faire peur, et de faire peur, de la part de certains milieux français connus pour leur aversion contre l'Islam. Ma curiosité a été piquée à vif. Une âme charitable, de retour de France, m'a passé le roman en question. De ce fait, j'ai entamé la lecture. J'ai tourné les premières pages, j'attendais le souffle nucléaire sortir du livre, je n'ai trouvé qu'une certaine lassitude à finir les paragraphes d'où suinte une morosité intellectuelle. Un peu plus loin, peut-être ! Rien ! Il est question de la thèse de doctorat du héros du livre, son regard désabusé sur sa société, ses cours à la fac ; jusque-là Houellebecq ne relate que les tentations, surtout sexuelles, d'un sexagénaire mal dans sa peau, et mal à sa société. D'un coup, Mohamed Ben Abbès, sorti de je ne sais où, est élu président de la République française. O le frisson ! Voilà, Ben Abbès est musulman. De là démarrent tous les stéréotypes, les fausses peurs et le rejet épidermique du musulman, fût-il élu président au suffrage universel. J'ai cherché à trouver dans ce roman la «révolution islamique» que devait instaurer Ben Abbès, je ne la trouve nulle part. Il est question de l'université qui change et oriente son programme. L'anecdote du croissant et de l'étoile portée sur le fronton de l'université m'a fait tomber brutalement les bras. Rien d'autre ! Surfant sur la peur de l'Islam, Houellebecq tisse un inextricable nœud de stéréotypes, maintes fois rabâchés en Europe. Il y a les femmes voilées ; ce qui fait baisser sensiblement la libido de l'intellectuel-professeur d'université. C'est dire le mélange des genres dans ce roman. Il y a les Saoudiens, naturellement principal financier d'une France «musulmane», le nez busqué et habillés en kamis. Un autre cliché ! Et d'autres inepties de ce genre ! Les trois quarts du roman, Soumission, traite des coucheries du héros, sa fuite intérieure, son vide cosmique, ses élucubrations intellectuelles... Autant dire qu'il n'y a aucun intérêt littéraire à ce livre, même si j'apprends qu'il est meilleure vente dans trois pays d'Europe. L'auteur a fait dans le racolage commercial, en optant pour cette thématique d'un président français musulman. Au fait, ce scénario n'est-il pas plausible dans la réalité des élections françaises ? Heureusement qu'il y a la poésie qui vient, à point nommé, me débarrasser de certaines contingences littéraires. Comme la poésie de Aïcha Bouabaci, auteure dans les années 1980 de L'aube est née sur nos lèvres, qui, surfant sur une maturité assumée, dresse une sorte de bilan littéraire axée essentiellement sur un désir de retour avoué. Recueil bilingue, français-allemand, illustré de tableaux et de photos, La lumière du désert nous annonce que le silence du poète n'a été que momentané, une parenthèse dans un itinéraire, un bivouac au fond de soi et un vrai élan pour mieux sauter. Généreuse, un tant soit peu nostalgique, la poésie d'Aïcha Bouabaci dénonce les silences équarris, annonce le désert à réensemencer, dénoue l'amour à faire refleurir et porte le soliloque démentiel du poète mal dans sa peau. Dans le poème Tempête, par exemple, Aïcha Bouabaci – malgré le titre assez fort – tisse l'espoir du «nom libéré», nonobstant le «passé séditieux» et tous les repères falsifiés, certainement, par le poids d'un destin lourd de sens. Le préfacier, Georgia Bence, a raison de parler d'un «livre-monde de mots ouverts invitant au dialogue». Plus que cela, je dirai que la poétesse offre une main tendue à toutes «les abeilles frivoles» qui doivent, coûte que coûte, assumer leur vie et sortir de leur âme ce miel tant attendu. C'est à cette récolte que tend Aïcha Bouabaci, regarder en arrière, d'accord, mais, surtout, quêter le futur et en tirer la quintessence de son art. Il est vrai que cette auteure a manqué au paysage de l'écriture algérienne, elle qui promettait déjà, en son temps, une moisson riche de partage ; néanmoins, il n'est jamais trop tard : ces pierres et chuchotements préludent d'un retour poétique fertile, fécond et, surtout, ouvert à tous les élans du cœur. Alors, je dis à Bouabaci d'éclairer (mes) nos déserts de poèmes-tocsins pour dénoncer toutes les tempêtes qui menacent ce pays. Laissons dire la poétesse : «Ignore les chiens/Qui aboient/Et les linceuls/Qui recouvrent tes voix/Jette les guenilles/De tes fols tourments/Aux quatre coins/De tes secrets d'exil/Et efface les traces à peine visibles/De la misère importune». Dans Douleur exquise, Salah Oudina a déversé le contenu de sa mémoire dans une précipitation touchante. Mais qui pèche souvent par un manque flagrant de recul. Néanmoins, cette tentation romanesque, la première j'imagine de cet auteur, aurait pu avoir un impact plus positif si un travail éditorial a été fait sur le projet d'écriture. Mais il y a une telle volonté de bien faire le travail que Salah Oudina verse parfois dans l'excès du vocabulaire, par générosité de l'écrivain. Ce roman-confession démarre comme dans un conte populaire : «été de l'an trotte misère, à marquer d'une pierre blanche et précisément à treize heures cinq minutes, le temps dit-on, dans le dialecte des Béni Mehenna, une tribu arabe d'Afrique du Nord, pour Satan de se mettre à l'ombre, afin de se soustraire aux rayons d'un soleil à son apogée dans le ciel bleu lorsqu'au loin, la voix du muezzin avait retenti pour la prière de la mi-journée...», pour ensuite traquer la mémoire de l'écrivain et en tirer des faits vécus dans la douleur et l'espoir. Ce texte est trop touffu, il aurait mérité d'être élagué pour une meilleure lisibilité. Une autre tentative d'édition professionnelle doit être tentée. De Houellebecq à Oudina, en passant par Bouabaci, je ne fais que donner un avis partiel, partial, tiré de mes vagabondages livresques, quand le quotidien incite au repli sur soi.