Apprendre aux jeunes lecteurs à lire, comprendre et aimer les auteurs algériens et leurs œuvres : voilà le long mais passionnant travail auquel s'est attelée Djoher Amhis-Ouksel ces dernières années. Son livre le plus récent les invite, cette fois encore, à entendre chanter les mots. Tahar Djaout, ce tisseur de lumière est le sixième ouvrage du genre qu'elle offre aux lecteurs. Publié dans la collection «Empreintes» de Casbah-Editions, il fait suite aux précédentes contributions consacrées respectivement à Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Malek Ouary et Taos Amrouche. Djoher Amhis-Ouksel a un riche parcours dans l'éducation et la formation, la littérature est sa passion et elle a su mettre la pédagogie moderne au service du patrimoine littéraire algérien. Ses connaissances et son savoir-faire ont permis de produire six ouvrages très instructifs, didactiques et qui permettent d'inscrire la littérature algérienne dans le cours de l'histoire. Les auteurs et leurs œuvres sont situés, intégrés dans une société vivante et selon une approche porteuse de sens. Cela est favorisé, justement, par une démarche intellectuelle simple et ludique, la collection ayant pour but l'éveil littéraire chez la jeunesse (mais pas seulement, car le large lectorat aura également plaisir à découvrir Empreintes). L'ouvrage consacré à Tahar Djaout, un livre «éveilleur» tout comme les précédents, s'adresse par conséquent à l'esprit du lecteur, mais aussi à son imagination, à son cœur et à son émotivité. Djoher Amhis-Ouksel y ouvre des chemins où chacun peut découvrir le potentiel infini et le don de création d'un écrivain parti trop tôt. «Le génie, c'est l'enfance retrouvée à volonté», disait Charles Baudelaire. Dans le tableau à plusieurs volets que constitue Tahar Djaout, ce tisseur de lumière se détache, comme gravé au pointillé sur une ligne prolongée à l'infini, un surlignement émouvant : la particularité d'un écrivain de voir les choses comme on ne sait plus les voir une fois adulte. Tahar Djaout avait la faculté de l'éternelle jeunesse créative. Il était un artiste dans sa façon (très riche) d'appréhender le monde. Dans son combat contre l'ordre, il créait dans le désordre. Surtout, il se réalisait par son imagination créative. En pleine maturité intellectuelle, il retournait régulièrement à la fraîcheur de perception de l'enfance. Toutes ses œuvres sont irriguées, nourries par cette intelligence sensitive dans laquelle il puisait avec volupté pour féconder l'écriture jubilatoire qui est la sienne. Douglas MacArthur, général américain, était peut-être un militaire, mais il avait eu ces mots lumineux : «Jeune est celui qui s'étonne et s'émerveille. Il demande comme l'enfant insatiable : et après ? Il défie les événements et trouve la joie au jeu de la vie (...). Vous resterez jeune tant que vous serez réceptif. Réceptif à ce qui est beau, bon et grand.» L'œuvre de Tahar Djaout — et Djoher Amhis-Ouksel le rappelle régulièrement dans son travail d'analyse, de relecture et d'explication — témoigne d'une histoire vivante en continu. L'auteur de L'invention du désert avait le don de regarder à la fois dans le passé et dans l'avenir. Métaphoriquement, il était le peintre à la palette riche, brillante, où il savait toujours étaler la lumière. Parce qu'il était avant tout un poète ? Pour le lecteur qui découvre, quel bonheur que tous ces extraits de textes qui chantent ! Les mots s'accordent au rythme de cette écriture colorée, fluide, flattant l'oreille (et tellement affective). Il se laisse doucement gagner par l'étonnement, la curiosité, l'émerveillement, puis l'enthousiasme. Poésie du style, de la construction d'un langage dans le langage. Poésie des affections vives et profondes, du mystère de la vie ; le verbe accessible à tous les sens... «La poésie imprègne toute l'œuvre romanesque. Elle est omniprésente et donne sens au récit, qu'il soit réel ou fictif. Ces moments poétiques transforment la dure réalité et, en même temps, donnent à la vie une dimension qui réconcilie avec le monde, la nature, les fleurs, les oiseaux, les souvenirs d'enfance, les petits bonheurs simples, la joie de vivre, les étoiles, tout cela grâce à la poésie. Le rêve, l'évasion transcendent le malheur. Le désespoir est relativisé, la violence atténuée ; une manière d'exister et de se protéger car l'être humain est fragile. La poésie de Djaout est là avec sa musique, sa passion, ses émotions, ses rêves, sa sensibilité», écrit Djoher Amhis-Ouksel. Dans tous ces textes pénétrés de poésie, les êtres ou même les ruines expriment de la beauté, car «le monde était un miroir givré sur lequel ricochaient des lames de lumière» (Les chercheurs d'os). Toute cette richesse et cette beauté de l'œuvre de Tahar Djaout sont mises en valeur, commentées et illustrées par des fragments choisis. Romans, nouvelles et recueils de poésie sont déchiffrés, décryptés et traités dans une perspective intertextuelle dynamique. Une approche en mouvement qui, dans cet ouvrage très complet, a permis de rassembler les pièces indissociables du puzzle. Juste après la présentation de l'auteur et de son œuvre, Djoher Amhis-Ouksel cite en exergue du chapitre consacré au roman L'exproprié ces mots de Tahar Djaout : «Je déteste ce qui fige, ce qui refuse à la fois l'innovation, le mouvement, la différence.» Cela résume sa philosophie, ses idées et son combat d'homme libre. L'exproprié a été publié en 1984 (Alger, SNED) et a été précédé par les premiers recueils de poésie. Djoher Amhis-Ouksel souligne que ce titre «interpelle le lecteur et l'installe d'emblée dans une situation historique, celle de la dépossession et de l'expropriation». Il y a là «un train en marche et devenu un tribunal, une cour d'assises». Les références historiques se bousculent, l'acte d'écrire devient un acte de transgression. «Je me souviens alors qu'on m'a expulsé d'un pays et depuis j'ai appris à vivre dans les zones sombres et incolores où la délinquance et la poésie germent tour à tour dans les crânes habités de mirages et de vent. Ma vie ne fut alors qu'un erg façonné et transplanté au gré des siroccos», s'écrie l'écrivain marginalisé. Le lecteur commence à se diriger dans l'œuvre de Tahar Djaout, aidé en cela par les fils conducteurs tissés à bon endroit par cette autre femme écrivain. Des récapitulatifs («A retenir») balisent régulièrement la lecture, éclairant la route à suivre pour «entrer par la porte des mots dans la demeure de l'aventure» (Les Vigiles). Oui, les mots, car «le monde appartient désormais aux thérapeutes de l'esprit. (...) Ils ont compris le danger des mots, de tous les mots qu'ils n'arrivent pas à domestiquer et à anesthésier. Car les mots, mis bout à bout, portent le doute, le changement» (Le dernier été de la raison). Le voyage dans les territoires des mots se poursuit, chapitre après chapitre, livre après l'autre : Les chercheurs d'os, L'invention du désert, Les vigiles, Le dernier été de la raison, Les nouvelles : Les rets de l'oiseleur, Tahar Djaout poète. Et l'excellent guide qui a accompagné le lecteur tout le long du voyage de rappeler la profondeur d'une œuvre, avant «affirmation d'une liberté, celle de tout écrivain qui ne cède pas à la complaisance et qui affirme un violent désir d'être au monde et d'être lui-même». Lire et relire «Tahar Djaout... vie brisée en plein essor !» écrit-elle en quatrième de couverture. Et «comment oublier cet intellectuel si puissamment attaché à ses valeurs et à ses idéaux, si profondément enraciné parmi les siens»? Le dernier été de la raison, son ultime message publié à titre posthume, restitue avec courage, lucidité et talent une période particulièrement dramatique de l'Algérie. Il nous incite plus que jamais à relire et à méditer tous ses textes porteurs de lumière, de beauté, de vérité», rappelle Djoher Amhis-Ouksel. Puisse la lecture de son ouvrage favoriser l'éclosion de cet élan créateur qui existe naturellement chez les jeunes lecteurs. Hocine Tamou Djoher Amhis-Ouksel, Tahar Djaout, ce tisseur de lumière, Casbah-Editions, Alger 2014, 256 pages.