L'expansion des crédits bancaires a contribué à l'emballement des importations en 2014, observe le gouverneur de la Banque d'Algérie. Les réserves de change se sont contractées de plus de 15 milliards de dollars l'année dernière. Cherif Bennaceur - Alger (Le Soir) L'économie algérienne a subi le «choc externe de grande ampleur» dû à la baisse des cours du pétrole surtout au quatrième trimestre de l'année dernière, constate le gouverneur de la Banque d'Algérie. Ainsi, les prix du pétrole «se sont nettement contractés» au troisième et au quatrième trimestre 2014, relèvera Mohamed Laksaci qui note que le prix du baril de Brent est passé de 115 dollars à mi-juin à moins de 94 dollars à fin septembre et à 57,9 dollars à fin décembre. Le gouverneur, qui a présenté jeudi dernier les tendances monétaires et financières du pays, observe que la chute de près de 50% des prix de l'or noir, amorcée dès juin 2014, représente «une source de vulnérabilité importante» pour la balance des paiements et les finances publiques. Il fera aussi état d'une baisse du prix du pétrole algérien de 113 dollars/baril (moyenne mensuelle) à la fin du premier semestre à 100,97 dollars/baril au troisième trimestre 2014 et à 77,06 dollars/baril au 4e trimestre 2014. Les exportations globales en baisse de 7,2% en 2014 En dépit de la baisse des prix des hydrocarbures au cours du second semestre 2014 (91,51 dollars/baril contre 109,19 dollars/baril au cours de la même période de 2013), Mohamed Laksaci notera pourtant que les exportations d'hydrocarbures se sont établies à 58,34 milliards de dollars au cours de l'année 2014 (63,66 milliards de dollars en 2013) dont 11,49 milliards de dollars au quatrième trimestre (16,83 milliards de dollars au 4e trimestre 2013). Stabilisées durant les neuf premiers mois de 2014 par rapport à la même période de 2013 (46,86 milliards de dollars), les exportations se sont néanmoins contractées de 23,74% au quatrième trimestre 2014 par rapport au troisième trimestre de la même année. Une baisse des prix conjuguée à la poursuite de la contraction des quantités exportées (-1,74%) enregistrée ces dernières années. Toutefois, Mohamed Laksaci observe que les exportations hors hydrocarbures ont connu «une hausse appréciable» au cours du quatrième trimestre 2014, clôturant l'année à 1,692 milliard de dollars (1,051 en 2013). Au total, les exportations ont atteint 60,04 milliards de dollars en 2014, en diminution de 7,2% par rapport à leur niveau de l'année 2013. Les importations s'emballent à plus de 71 milliards de dollars Parallèlement, les importations de biens et services ont poursuivi leur progression à 59,44 milliards de dollars en 2014 (54,99 milliards en 2013), en dépit de la diminution enregistrée au second semestre (29,34 milliards de dollars) par rapport au premier semestre (30,10 milliards de dollars). De fait, le gouverneur relève «l'emballement» des importations au cours de l'année 2014, dû selon lui aux hausses des groupes biens d'équipements industriels (+18,58%), produits semi-finis (14,63%) et biens alimentaires (17,06%), contre une baisse des importations de biens de consommation non alimentaires et de celles des lubrifiants et énergie. Notons que les importations de services ont atteint les 11,7 milliards de dollars, soit une facture d'importation globale de 71,14 milliards de dollars en 2014 dont 17,42 milliards pour le quatrième trimestre. Seulement 590 millions de dollars d'excédent commercial Cela étant, la poursuite de l'emballement des importations de biens «pour la quatrième année consécutive» et la baisse des exportations se sont traduites par une forte contraction de l'excédent commercial au cours de l'année 2014. Or, l'acuité du choc au quatrième trimestre a, selon Mohamed Laksaci, entraîné un déficit commercial de 2,39 milliards de dollars au cours de cette période, dû à la forte baisse des exportations d'hydrocarbures, contre un excédent de 2,98 milliards de dollars au titre des 9 premiers mois. En conséquence, l'excédent commercial s'est établi à «seulement 0,59 milliard de dollars en 2014 (9,73 milliards de dollars en 2013), soit le plus faible excédent commercial depuis l'année 1998 , note-t-il. En outre, le déficit du poste services hors revenus des facteurs s'est creusé en 2014 à 8,13 milliards de dollars (de 6,99 milliards de dollars en 2013), en raison de la hausse des importations des services techniques et ceux liés au BTP. Par contre, le déficit du poste revenu des facteurs s'est stabilisé à environ 4,88 milliards de dollars tandis que les transferts nets se sont améliorés au second semestre, passant à 3,31 milliards de dollars. La balance des paiements extérieurs bien déficitaire Ce faisant, l'année 2014 s'est caractérisée par un déficit du compte courant de la balance des paiements dès le premier trimestre, dont l'ampleur a doublé au cours du second trimestre, pour se stabiliser au troisième trimestre, avant de se creuser «significativement» au quatrième trimestre. Le déficit du compte courant enregistré au quatrième trimestre (4,58 milliards de dollars) compte ainsi pour moitié du déficit de toute l'année (9,11 milliards de dollars), observe M. Laksaci. Ce qui «témoigne de l'effet de la baisse drastique du prix du pétrole au cours du dernier trimestre en situation de poursuite de la progression des importations», ajoute-t-il. Même l'excédent «appréciable» du compte capital, soit 3,23 milliards de dollars contre un déficit de 0,87 milliard en 2013, en situation de moindres flux nets au titre des investissements directs étrangers (1,47 milliard de dollars), n'a que faiblement compensé le déficit du compte courant. De sorte que la balance des paiements extérieurs globale a dégagé un déficit de 5,88 milliards de dollars (0,13 milliard en 2013), ce déficit s'étant particulièrement creusé au quatrième trimestre. Le niveau des réserves reste pourtant «adéquat» En conséquence, les réserves de changes (or non compris) se sont contractées à 178,938 milliards de dollars à fin décembre 2014 contre 185,273 milliards de dollars à fin septembre 2014, après une stabilisation au premier semestre (193,269 milliards de dollars à fin juin 2014 contre 194,012 milliards de dollars à fin décembre 2013. En d'autres termes, les réserves de change qui ont enregistré une baisse de 0,743 milliard de dollars au cours du premier semestre 2014 ont encore baissé de 7,996 durant le troisième trimestre 2014 pour diminuer encore de 6,335 milliards de dollars durant le dernier trimestre. Soit, une érosion des réserves de change de 15,074 milliards de dollars en une année. Mais un niveau des réserves de change qui «reste adéquat», observe Mohamed Laksaci, en situation de niveau historiquement bas de la dette extérieure (3,735 milliards de dollars à fin décembre 2014 contre 3,666 à fin septembre 2014 et 3,396 à fin décembre 2013). La résilience pourrait «s'éroder» si... Une telle position financière extérieure nette, «appréciable à fin 2014», devrait «contribuer à atténuer l'effet du choc externe en 2015», assure le gouverneur qui note également que «le très faible endettement en devises des entreprises du secteur des hydrocarbures et des banques contribue à limiter l'impact des conséquences financières du choc externe». Mais, avertit-il, «si le choc externe venait à perdurer, la résilience de la position extérieure de l'Algérie pourrait rapidement s'éroder, d'autant que le niveau très élevé des importations est non soutenable et constitue un risque additionnel pour la balance des paiements extérieurs sur le moyen terme». Près de 13 milliards de dollars prélevés du FRR Concernant les finances publiques, le gouverneur relève que l'encours global des comptes du Trésor (notamment le Fonds de régulation des recettes - FRR) est évalué à 4 488,2 milliards de dinars à fin décembre 2014 contre 4 886,1 milliards de dinars à fin septembre 2014 et 5235,6 milliards de dinars à fin juin 2014 (5643,2 milliard de dinars à fin 2013). Soit, une capacité de financement du Trésor qui s'est contractée de 1 155 milliards de dinars au cours de l'année 2014, soit quelque 13 milliards de dollars prélevés du FRR, «sous l'effet du profil haussier des décaissements au titre des dépenses budgétaires notamment d'équipement en contexte de baisse des recettes de la fiscalité pétrolière encaissée». Or, «cette dernière exprime l'effet du choc externe qui contribue à élargir le déficit global du Trésor», observe-t-on. Hausse des crédits bancaires de 26% D'autre part, les crédits à l'économie ont enregistré un fort rythme de croissance en 2014 (26,05%), après ceux élevés enregistrés en 2013 (20,26%) et en 2012 (15,06%), avec un encours de 6 499,3 milliards de dinars à fin décembre 2014 (6 182,82 milliards de dinars à fin septembre, 5 760,61 milliards de dinars à fin juin 2014 et 5 156,30 milliards de dinars à fin décembre 2013. Pourtant, Mohamed Laksaci ne manquera pas d'établir une certaine «corrélation» avec l'envolée des importations, de tirer la sonnette d'alarme. Certes, il relèvera l'importance des crédits à moyen et long terme (financement de l'investissement) qui représentent 75,28% des crédits, ainsi qu'une progression appréciable des dépôts bancaires à vue (+25,58%) ainsi que des dépôts du secteur des hydrocarbures, entre autres données. Néanmoins, il constatera, sans être davantage explicite, «une contribution significative, nette» de l'expansion des crédits à l'emballement des importations. Des banques sont déjà «prudentes» Il s'agit donc pour les banques de «revoir» en interne, invoque-t-il, en observant que des banques ont déjà pris des mesures de «prudence» et de rationalisation des importations. Ce qui n'est pas le cas d'autres banques. Il rappellera ainsi le rôle des banques dans l'application stricte de la réglementation des changes ainsi que le dispositif de contrôle renforcé et intensifié de la Banque d'Algérie. Or, le choc externe «pourrait affecter», les ressources des banques, avertit-il et même si «ce n'est pas encore le cas encore», Mohamed Laksaci estime que les banques auraient dû être davantage proactives. Le réescompte réactivé A ce propos, le gouverneur indique que le Conseil de la monnaie et du crédit (CMC) a réactivé le réescompte, la possibilité pour les banques de se refinancer auprès de la Banque d'Algérie, selon la qualité des effets. Il considère en fait que les banques ont certes de «la marge» mais pourraient être cependant confrontées à la baisse «ample» de leurs liquidités. Ayant vocation à accorder des crédits «sains» et à financer l'investissement productif et la croissance hors hydrocarbures, les banques pourront ainsi soit continuer à se financer auprès du marché interbancaire ou utiliser les canaux de refinancement de la Banque d'Algérie, expliquera-t-il. Cela même si «le réescompte ne règle pas le problème de la transformation financière, de la maturité», dira-t-il, appelant à faire des «efforts dans la mobilisation des ressources internes». Laksaci plaide une meilleure rémunération de l'épargne Comme il invitera les banques à développer «la promotion de produits financiers attractifs conjugués à des rendements réels appréciables». Estimant opportun de «mobiliser davantage l'épargne», celle des ménages notamment, Mohamed Laksaci invite les banques à «faire des efforts» pour développer «une rémunération intéressante», «dans l'intérêt de l'économie nationale». Soit l'opportunité de revoir les taux d'intérêts pour les épargnants, évoquera-t-il tacitement. Ce qui permettrait également aux banques d'accroître leurs ressources et de satisfaire à leur vocation d'intermédiation et d'inclusion financières, au-delà de la question du coût du crédit et des charges. L'inflation a repris au second semestre 2014 L'inflation s'est établie à 2,92% à décembre 2014 contre 3,26% à décembre 2013, en légère baisse de 0, 34 point. Soit une désinflation qui s'est poursuivie selon le gouverneur de la Banque d'Algérie qui constate toutefois une reprise «manifeste» de l'inflation au second semestre 2014 «où la dynamique des prix à la consommation a été haussière à partir de septembre», de manière notable pour les biens alimentaires dont les produits frais agricoles. Malgré l'accélération de l'inflation au quatrième trimestre, le taux d'inflation de l'année 2014 (2,92%) est pourtant en deçà de l'objectif cible fixé par le CMC (4%), observe M. Laksaci.