Le procès de l'affaire, dite de l'autoroute Est-Ouest, s'ouvre ce mercredi, après de longues années de tergiversations judiciaires : ceux qui pensent que le droit prévaudra en auront pour leurs frais. Procès biaisé car enquête et instructions judiciaires incomplètes et limitées. Même si la présomption d'innocence est de mise pour les accusés, la meilleure preuve de l'étendue de la corruption dans cette affaire est flagrante : projet le plus cher et même trop cher, chantier le plus inachevé, infrastructure la plus dangereuse (une «automout», «mout» pour «mort»), marché public le plus opaque, réalisation la plus mauvaise, etc. Et la moisson des tristes records n'est malheureusement pas terminée. Cette autoroute est un énorme abcès pour le pouvoir, abcès dont il ne peut pas se débarrasser et qui l'embarrasse au plus haut point, car même au-delà du procès qui se terminera bien un jour ou l'autre, la trace physique de ce «chantier» du siècle n'est pas prête à disparaître et pour longtemps encore. Un procès mercredi qui risque d'être... reporté ! Selon l'agence gouvernementale Algérie Presse Service (APS), le procès de 23 personnes impliquées dans l'affaire de l'autoroute Est-Ouest, dont la plupart sont des cadres du ministère des Travaux publics, débutera, selon le rôle complémentaire de la deuxième session criminelle 2014 du tribunal d'Alger, ce mercredi. Parmi les accusés figurent également des entreprises étrangères (chinoise, suisse, japonaise, portugaise et canadienne) poursuivies pour «association de malfaiteurs», «abus d'influence», «corruption» et «blanchiment d'argent», ajoute la même source. Les autres mis en cause sont accusés d'«association de malfaiteurs», «abus de pouvoir», «corruption» et «dilapidation de deniers publics», précise la même source. Toujours selon la version de l'APS, l'affaire a éclaté à la suite d'une plainte déposée par le ministère des Travaux publics contre l'ex-directeur des nouveaux projets à l'Agence nationale des autoroutes (ANA), après la découverte de pots-de-vin versés par des compagnies étrangères à certains responsables du ministère en vue d'obtenir ce marché, selon une source judiciaire sûre. Plusieurs dépassements et infractions ont été enregistrés dans le projet de l'autoroute Est-Ouest d'un coût de 6 milliards de dollars, attribué en 2006 au groupe chinois Citic-CRCC, a ajouté la même source. Le projet s'étend sur 1700 km avec un coût de 8 millions d'euros par kilomètre. Ce sont des chiffres que donne l'APS. Beaucoup d'autres personnes algériennes et étrangères – probablement les plus impliquées dans les délits autour de cette affaire — n'ont pas été inquiétées par la justice et coulent des jours tranquilles en Algérie et sous d'autres cieux. C'est la constante des procès pour grande corruption : ne seront présents à la barre que des lampistes, des boucs-émissaires et des sans-grades. Parallèlement au procès, une autre affaire dans l'affaire illustre au-delà de la corruption qui a prévalu — la très mauvaise gestion et l'incompétence des «pilotes» de ce projet : c'est le contentieux qui n'en finit pas entre le gouvernement algérien et l'entreprise japonaise Cojaal chargée du tronçon Est. Résiliation du contrat avec Cojaal Le ministre des Travaux publics a indiqué, jeudi 19 mars à Alger, que le processus de résiliation du contrat avec le consortium japonais Cojaal était à sa phase finale après l'expiration du délai accordé à la partie japonaise pour envisager sa reconduction aux fins du parachèvement des travaux du tunnel de Djebel el-Ouahch (Constantine) qui fait partie de l'autoroute Est-Ouest. Il a précisé, lors d'une séance consacrée aux questions orales à l'Assemblée populaire nationale (APN), que le ministère allait soumettre le dossier au gouvernement dans les plus brefs délais pour trancher définitivement la question, soutenant que «les concessions doivent émaner des deux parties et pas d'une seule». Concernant la rocade dont la réalisation avait débuté en juillet 2014 pour désengorger la région, le ministre a précisé que son tracé avait été porté à 13 km (contre 6 km auparavant), ajoutant que ce projet achevé à 40% sera livré en juin 2015. Le processus de résiliation du contrat entre Cojaal et l'Agence nationale des autoroutes (ANA) avait été entamé en juin 2014 à la suite d'une mise en demeure adressée par l'ANA au consortium japonais, le sommant de poursuivre sous huitaine les travaux du marché d'application N°3. La mise en demeure intervenait à la suite du retard accusé dans la réalisation du tronçon de l'autoroute Est-Ouest d'une longueur de 399 km, reliant trois wilayas de l'Est du pays (Constantine, Annaba et El-Tarf). Décidément, cette autoroute de tous les dangers va longtemps faire parler d'elle, et toujours en mal... Un éléphant blanc budgétivore Selon Wikipédia, à l'origine, l'expression «éléphant blanc» vient des pays de tradition hindouiste ou bouddhiste. La veille de la naissance de Bouddha, sa mère aurait rêvé d'un éléphant blanc. À partir de cette légende il s'est développé une sacralisation des éléphants blancs. Il n'était notamment pas permis de les faire travailler. Les éléphants blancs sont devenus des offrandes prestigieuses que les princes de l'Inde se faisaient entre eux. Pour certains de ces princes, moins nantis que les autres, le cadeau n'était pas sans poser de problèmes. Entre l'obligation de bien traiter l'animal et l'interdiction de le faire travailler, la possession d'un éléphant blanc pouvait devenir dispendieuse. L'expression s'emploie dans un sens large. Elle concerne des réalisations de nature pratique mais inefficace économiquement, ou bien des réalisations plus fantaisistes, voire irrationnelles. Dans les deux cas, l'éléphant blanc représente un coût de réalisation mais aussi un coût d'exploitation ou d'entretien. Plus possible de se débarrasser de la réalisation Il convient cependant de noter que l'expression, de connotation péjorative, peut être utilisée pour désigner des travaux qui n'aboutissent jamais et qui sont des échecs techniques ou économiques. L'éléphant blanc se distingue par divers traits : l'inutilité pratique de la réalisation est évidente dès le début. La connaissance de cette inutilité étant difficilement démontrable, toute liste «officielle» de projets de type éléphant blanc reste discutable ; l'entretien est une charge financière évidente et cette évidence la rend désagréable (ce n'est donc pas «l'entretien d'une danseuse» qui procure du plaisir à celui qui dépense) ; il n'est plus possible de se débarrasser de la réalisation, pour des motifs de fierté ou de prestige (les chantiers brutalement interrompus lorsque leur coût dérive ou que leur utilité disparaît n'entrent donc pas dans cette catégorie). Pour parodier un proverbe africain, trop de viande... d'éléphant pourrait gâter la sauce. Ainsi va l'autoroute Est-Ouest : un éléphant blanc en Algérie... D. H. «Une autoroute algérienne, ça peut rapporter gros» C'est le titre d'un article publié dans l'ouvrage Chine-Algérie : Une relation singulière en Afrique(*), et dont l'auteur, Dzifa Kpetigo, est économiste attaché à la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BECEAO), et doctorant à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales en France). En choisissant ce titre, il ne croyait pas si bien dire. Dans cette note, il a tenté d'évaluer l'intervention chinoise en s'interrogeant sur l'importance de la corruption, des retards de livraison, de l'emploi local et des transferts technologiques. Il rappelle qu'au départ les autorités algériennes ont segmenté le tronçon algérien en trois blocs distincts (Est, Ouest et Centre) non seulement en raison de la grande taille de celui-ci, mais aussi pour diversifier les intervenants et ainsi réduire les risques liés au non-respect des engagements qui pouvait compromettre l'ensemble du projet. Les appels d'offres lancés en juillet 2005 ont été remportés en avril 2006 par deux consortiums d'entreprises. L'un japonais, Cojaal, a été chargé du lot Est (399 km de Bordj-Bou-Arréridj à la frontière tunisienne). L'autre chinois, CITIC-CRCC, a été chargé des lots Centre (169 km de Bordj-Bou-Arréridj à Chlef) et Ouest (359 km de Chlef à la frontière marocaine). Les travaux (927 km) doivent permettre de relier Tlemcen à El-Taref sur une distance de 1216 km avec la desserte des principaux pôles en touchant 24 wilayas. Les contrats étaient assortis d'engagements au terme desquels les adjudicataires devaient construire, sur fonds propres, un institut spécialisé dans les grands travaux publics et un centre de contrôle de la qualité des infrastructures routières afin de favoriser les transferts de technologies et d'assurer la pérennité de l'ouvrage sans avoir à recourir ultérieurement à l'expertise extérieure. Que sont devenus ces 2 projets, l'institut et le centre de contrôle ? (*) Par Thierry Pairault et Fatiha Talahite, Riveneuve