Par Sarah Haidar On en est arrivé à considérer comme bonne nouvelle que le meurtre relève encore de l'ordre du crime même si des milliers d'assassins ont été relâchés avec les honneurs dans les rues algériennes... Il y a trois jours, le pseudo-guérisseur Abou Mouslim Bellahmer a été arrêté à Ghelizane suite au décès d'une jeune femme venue «se soigner» chez-lui à coups d'incantations et de rituels charlatanesques. Le mis en cause appelle son local une «clinique» et sa pratique une «médecine» car, comme tout le monde le sait, le seul fait que le prophète Mohammed ait pratiqué la «rokia» et prétendument guéri des personnes «possédées» ou malades, prouve, pour la plupart des croyants algériens, l'efficacité de la méthode et, chemin faisant, permet à l'Etat central de laisser pourrir l'irrationalité et la bigoterie sous couvert de respect de l'identité algérienne. C'est ainsi qu'on se retrouve avec des milliers de raqis et autant de familles qui croient à la supériorité d'un barbu assermenté par Allah à un psy qui a «perdu» dix années de sa vie à la fac ! Et c'est ainsi donc que, régulièrement, nous parviennent les nouvelles de morts absurdes, de jeunes gens fauchés bêtement parce qu'un illuminé a expérimenté sur eux l'étendue de sa bêtise. La dernière victime en date est cette jeune fille de vingt ans, possédée selon ses parents qui l'emmenèrent donc chez Bellahmer qui devait l'exorciser avec une piqûre «bénie» et une «hidjama» de plus en plus à la mode. Bien sûr, à la place des djinns, c'est la vie de la victime qui a quitté son corps : son heure a sonné, diraient certains ; faute professionnelle, diraient d'autres ! Mais qui est ce Bellahmer, au final ? Celui qui a chassé un millier de djinns de Biskra ? Celui qui a été condamné en 2013 pour usurpation de la qualité de médecin ? Celui qui officiait sur les plateaux d'une chaîne privée ? Ou bien, celui qui, en 2009 et en 2010, a été inclus dans la délégation officielle de la fédération de football pour convertir des versets en buts ? On aura beau aujourd'hui s'indigner de la mort de cette jeune fille, il n'en reste pas moins que l'ensemble de la société en est responsable car quand on mesure le bien et le mal uniquement à travers l'échelle de valeurs religieuse, quand on éduque des générations sur la peur de l'invisible et le respect des charlatans, quand on fabrique des adultes prêts à se faire soigner avec une bouteille sanctifiée par de stupides marmonnements et quand on donne toutes les raisons à un Etat déjà méprisant pour mettre à profit l'indigence intellectuelle et la misère morale de ses sujets, on doit s'attendre à ce que ces dérives dépassent les limites du folklore religieux et débouchent sur un drame. Mais au-delà de la tragédie de tout un peuple réduit à ne se poser de questions qu'en matière de hallal et de haram, le plus triste c'est que la mort de cette jeune fille ne servira probablement pas de leçon, la pratique de la rokia sera toujours considérée comme un remède miraculeux et les dégâts de Bellahmer et ses semblables comme de simples cas isolés... S. H.