Youcef Merahi [email protected] Je vais encore parler de l'autoroute. Laquelle ? Diantre, la nôtre ! Oui, l'Est-Ouest, celle-là même. Celle qui a fait sauter une tuile à notre ministre des Travaux publics. Que j'explique : notre ministre, voulant faire son boulot de ministre, a emprunté ladite autoroute de Tlemcen à Bouira. Une trotte, dis donc ! Il voulait se rendre compte de lui-même. Ça, c'est un ministre pour de vrai. Se rendre sur le terrain. Ne pas prendre pour argent comptant les rapports qui émanent d'en bas, souvent enjolivés, sinon truffés d'euphémismes. J'applaudis l'initiative, il en faut. Je ne sais pas ce qui s'est passé avant Bouira ; mais, à ce niveau, la presse relate la colère de notre ministre des Travaux publics face au cauchemar «autoroutesque» où il faut zigzaguer, le temps d'une dépression nerveuse, pour sortir les reins en marmelade, les nerfs en compote, le cœur en miette, le sang en ébullition, les mandibules coincées, les yeux hors de leur orbite et la cervelle liquéfiée. Je comprends votre colère, monsieur le ministre. Je comprends que vous ayez pitié de «cette population qui traverse cette autoroute», comme si cette population avait un autre chemin de traverse. Ce que je ne comprends pas, par contre, c'est votre certitude que les fameux pieux ne seront jamais réalisés ; mais que vous ne faites qu'alimenter votre colère interne, au risque d'un infarctus, sans que vous balayiez de cette portion d'autoroute toutes ces entreprises qui se roulent les pouces, délais après délais, la tête entre les mains. Puis si vous ordonnez un délai, tenez-le d'abord vous-même : le délai passé, repartez voir de vous-même. N'attendez pas les rapports qui viennent d'en bas, ils sont souvent porteurs d'espoir sans lendemain. Personnellement, je vous donne rendez-vous pour la fin de l'année en cours pour que l'Est-Ouest soit une autoroute achevée dans les normes internationales, de Tlemcen à El-Kala. Supposons, maintenant, que d'autres ministres, comme vous, piquent une colère noire contre les ratés de leur secteur. Disons les retards, par euphémisme ! Je vais prendre, au hasard, quelques exemples. Que le ministre du Commerce se paie une «grina» contre la mercuriale qui, de jour en jour, frise l'hérésie. Il n'y a qu'à se rendre au marché du coin pour s'en rendre compte. Qu'a-t-on fait de la Mitidja quand le prix de l'orange, de la taille d'une balle de ping-pong, avoisine les cent dinars ? La pomme de terre, lbatata, est un luxe, désormais. Qu'on ne me parle surtout pas d'offre et de demande ! C'est une donnée étrangère au marché algérien. Puis, dans cette affaire-là, il n'y a pas que le ministre du Commerce qui doit se faire un sang d'encre ; il est du devoir du ministre de l'Agriculture de se poser la question s'il existe une agriculture en Algérie, et de s'offrir, à son tour, une colère végétale. Quand je me rappelle du domaine autogéré Messous de Boufarik, j'ai envie de m'arracher les cheveux. Ces deux ministres devraient se mettre autour d'une table, je précise une table de travail, pas de boustifaille, et de cuver leur colère jusqu'à trouver une solution humaine à cette population qui, non seulement, traverse l'autoroute Est-Ouest, mais fréquente les marchés de fruits et légumes algériens. Manger cinq fruits et légumes, par jour ! La bonne blague qui nous vient de France par le biais de la parabole. Les français blagueurs ? Allons donc ! Manger et bouger ! Une autre farce gauloise ! Nous autres Algériens, on ne mange pas et on ne bouge pas. On attend ! Quoi ? Mystère et boule de gomme ! Je voudrais interpeller, respectueusement, un autre ministre. Que monsieur le Premier ministre me pardonne ce hors-jeu ! Le ministre de la Pêche (ou des ressources halieutiques, je ne sais plus, je ne vais plus à la mer depuis que les plages sont payantes) devrait s'offrir, lui aussi, une «zaafa» bien de chez nous. Monsieur le ministre, soit que la sardine boude les filets de nos pêcheurs, soit que ces filets sont déchirés, soit que la sardine algérienne est futée pour zigzaguer, comme je l'ai fait avec mon autoroute, entre nos filets, soit que cette même sardine préfère l'estomac des autres populations : espagnoles, françaises, italiennes... il faut informer cette population qui traverse l'autoroute Est-Ouest et qui, le jour du marché, salive devant les cagettes de sardines inabordables pour leur portemonnaie. Et si tous nos ministres se tapaient une colère noire, une colère structurante, une colère saine, une colère d'espoir, une colère de patriote ! Que la ministre de l'Education s'offre une colère devant le sinistre de notre école, peut-être que le métier de professeur serait une vocation, non plus un poste alimentaire. Que le ministre de l'Enseignement supérieur s'offre une colère devant le classement peu reluisant de nos universités, peut-être alors que la prise de conscience estudiantine se transformerait en campus célèbre, un peu à la Harvard. Que le ministre de la Santé s'offre une colère devant cette santé malade, peut-être alors que les puissants, en pouvoir et en argent, n'iront plus se soigner à l'étranger. Que le ministre de l'Information s'offre une colère devant une presse jugée malveillante, peut-être alors que le «cercle vertueux» serait sérieusement vertueux. Que le ministre de l'Habitat s'offre une colère devant la laideur de nos HLM, peut-être alors que nos balcons donneront l'accolade au soleil de nos matins resplendissants. Que les lecteurs continuent la chronique avec les ministres de leur choix. Ou tout autre type de responsable ! Moi, je serais curieux de voir la colère sur le visage de notre Premier ministre ou de notre Président. L'Algérie se portera-t-elle mieux qu'aujourd'hui ? Et si le peuple s'offrait une colère, qu'adviendra-t-il de nos rues ? En ce qui me concerne, ce n'est pas la colère qui me dicte cette chronique, juste envie de dire à nos dirigeants que le peuple n'a besoin d'aucune pitié, mais il a juste besoin que vous fassiez bien votre job pour le bien du pays.