Par Sélim. S. Khaznadar Les récents travaux de réfection et d'embellissement décidés et entrepris à l'élection de notre ville «Capitale de la culture arabe» nous infligent de réels tourments. Considérons de prime abord le Palais de la culture Al-Khalifa. A l'origine l'ancêtre, le Garage Citroën était un édifice de pure fonctionnalité, posé de guingois, et qui avait la visibilité dépouillée, et voulue ainsi par un constructeur talentueux, qui, croyait-il, était aimé dans les colonies. Nul souci de bonnes proportions ou d'exacte symétrie ne pouvait tourmenter sa construction. Sur la face qui ouvre sur le bas de l'avenue Ben-Boulaïd, très étrangement, et alors qu'aucun style ne le réclame (ni celui de la ville, ni celui de l'édifice, ni le projet qui va lui donner une identité) est apposé un fronton surbaissé de type gréco-romain porté par une double rangée de colonnes. Socles et chapiteaux semblent être de style toscan romain. L'ensemble présente sans délai, au premier regard, un aspect étriqué et encombré. Le nombre d'or, clé de la réussite, n'a pas été appliqué. Le nombre d'or est un nombre égal à (1+√5) / 2, soit environ 1,618 et correspond à une proportion considérée comme particulièrement esthétique. Il apparaît dans la pensée grecque avec Pythagore, au tournant du VIe et du Ve siècle avant J.-C. Euclide, dans les Eléments, a développé une théorie de ce nombre, quand il a tenté de définir la façon la plus cohérente de rompre harmonieusement un segment en deux parties inégales. Cette proportion, pour de nombreux artistes, de Léonard de Vinci à Le Corbusier, assurerait d'harmonie toute œuvre d'art. Que l'on songe seulement à la conception du Parthénon. Les Ordres, en architecture, déterminent les proportions, les formes et l'ornementation de toute partie construite en élévation. Elles ont été ignorées. Aussi, nous conseillons la lecture De Architectura de Vitruve. La rangée intérieure des quatre colonnes, (seules deux, celles des extrémités portent des chapiteaux, mais pourquoi ?) est complètement adossée à l'enceinte du bâtiment, fonctionnant donc comme des pilastres. Mais ils sont parfaitement inutiles, et achèvent de détruire l'espoir de proportion, la distance entre les deux rangées de colonnes étant trop courte. Nous revenons encore au nombre d'or. Maintenant concernant la frise (un élément de l'entablement qui se situe entre l'architrave et la corniche) est une moulure plate, en bande horizontale qui dévide souvent un motif ornemental répété à l'identique. Dans l'ordre toscan, la frise est nue, rarement décorée. Mais puisque encore une fois, les Ordres n'ont pas été respectés, la frise, qui ne porte que la raison sociale de l'édifice, aurait pu dérouler un bas-relief relatant une séquence de l'histoire de Constantine. Un revêtement de moucharabieh qui hésite entre le jaune, l'ocre, et la peinture métallisée des voitures qui promènent les mariés (ah l'atavisme du doré !) recouvre comme un mauvais lierre, les deux demi-façades, et qui jure tous ses noms de dieu avec le fronton gréco-latin. Le moucharabieh exige la ligne courbe, subtile, et ne s'affiche jamais dehors, ou alors sur de faibles surfaces, pour interdire, par exemple, une fenêtre trop exposée. En lambris ou en ornements, il est un objet féminin de l'intimité intérieure. Paradoxalement, son mésusage proverbial dans l'Institut du Monde arabe à Paris en a fait une source autorisée d'imitation. A l'arrière de l'immeuble, une perle : la passerelle qui le relie à un corps extérieur, bâti à la hâte, et qui représente une portion de wagon de notre bien-aimé tramway ! A tout prendre nous aurions préféré un emprunt à l'Orient-Express. Dans le tumulte du ridicule, qui n'aurait imaginé d'autres solutions ? Une benne de camion de chantier, un segment ouvragé de pipe-line, un sous-marin (objet hautement expressif), un tapis roulant de concasseur, une portion de jetée, ou simplement un extrait, comme on le dirait d'une citation, de notre éternelle et glorieuse autoroute Est-Ouest. La Palais de la culture, ainsi paré, ne peut dialoguer avec aucun édifice alentour. Les deux grands volumes, la Maison de l'agriculture et l'hôtel Cirta, en sont retranchés, et par leur allure et par une distinction de vieux notables. Droit devant le fronton à colonnades, se trouve un objet qui échappe à toute définition. D'un livre en métal blanc qui semble ouvert, monte une langue également en métal blanc qui s'enroule autour d'un piquet surmonté d'une boule de métal jaune brillant, hérissée de pointes. Ce summum du mauvais goût, qui décourage jusqu'à la pitié, vous atteint au plus vif. Nous avons cru comprendre qu'il s'agissait d'un monument érigé. Un monument est un objet qui est reçu, appréhendé et surtout, reconnu dans l'immédiateté de la saisie du symbole qu'il délivre. Ce symbole par ce qu'il exprime (une allégorie politique ou morale, un épisode historique, la statuaire d'une personnalité illustre...) devait donner aux citoyens l'idée d'un emblème dans la Cité qui leur est commun, et qui engage leur adhésion et leur fierté. Quelques pas plus loin de la « chose », il a été choisi de faire figurer dans la pierre le cheikh Abdelhamid Ibn Badis assis, ouvrant un livre, perdu dans sa célèbre méditation. Assis ? Non accroupi, et ramassé en une petite chose contrefaite, surmontée d'un turban énorme qui semble être l'essentiel de la statue, et chaussé de babouches de vizir, sorties d'une illustration sans ressource des Mille et une Nuits. Le tout est posé presque à même le sol. N'est-il pas vrai qu'un tel ouvrage doive reposer sur un piédestal ? L'expression est devenue celle même de la majesté. Le vénérable Cheikh n'est pas sauf de l'outrage d'un chien errant, qui la nuit, ne vienne s'y frotter et lever la patte, ou celui d'un ivrogne qui dans l'urgence ne vienne se soulager. Vous êtes révulsés de honte. La statue a été mise en bas de l'Allée, presque dans une fosse, en face de cet objet, dont nous avons dit la laideur et l'absurdité. Un buste aurait suffi, qui aurait terminé une colonne dans la partie haute de l'Allée, à l'endroit où une autre avait supporté le Coq gaulois. Ou alors sur le tumulus qui élevait la statue du général Lamoricière. Ce que l'on peut ressentir, en quittant les lieux, c'est l'accablement et l'affliction d'accompagner à sa dernière heure une personne tellement aimée, et qui a été jadis belle de beauté éminente.