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Les énergies renouvelables
Ce que les médias ne disent pas
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 05 - 2015

La transition énergétique. Tout le monde en parle. Des gens de différents horizons, scientifiques, économistes, politiciens, humanitaires et même des stars du cinéma. Les médias se sont entichés du sujet et en ont fait leur arme de prédilection pour dénoncer les agissements des grandes industries et les décisions politico-économiques, à chaque fois que celles-ci ne favorisent pas le projet dit «de la croissance verte».
Le projet est pourtant a priori séduisant, tout le monde devrait y adhérer sans réserve, et on ne comprendrait pas pourquoi faut-il livrer une bataille pour le défendre. Mais la question, en vérité, est de savoir si lorsque nous parlons de transition énergétique, nous en parlons en tenant compte de ce que nous savons ou, comme pour beaucoup d'autres sujets liés à la technologie, utilisons-nous les mots et les concepts dans des acceptions très disparates et correspondant à des notions très distinctement erronées. Qu'en est-il du bien-fondé de cette bataille qu'on voudrait livrer ? Le schéma énergétique mondial actuel se trouve face à deux contraintes majeures : la limite des ressources énergétiques naturelles traditionnelles et le fait que la consommation de ces énergies produise un gaz à effet de serre qui change le climat. Un sentiment de crise a surgi dès que nous avons pris conscience de ce problème. Nous savons que la situation va devenir critique du point de vue des ressources et du climat, et nous avons en même temps pris conscience de la difficulté qu'il y a à trouver des solutions. Afin de bien cadrer les idées, quelques données globales sont indispensables pour comprendre l'ampleur de ce que nous appelons «le défi énergétique pour le XXIe siècle». La première donnée concerne la vitesse vertigineuse à laquelle la consommation mondiale de l'énergie augmente. Au début du XVIIIe siècle, elle était estimée pour l'humanité à un quart de gigateps (un gigatep étant un milliard de tonnes équivalent pétrole). A la fin du XIXe, l'humanité multiplie sa consommation par quatre et arrive à un milliard de tonnes équivalent pétrole. En moitié moins de temps, elle arrive à en consommer deux gigateps au milieu du XXe siècle. A peine un peu plus d'un demi-siècle plus tard, elle atteint aujourd'hui une consommation au-dessus de treize gigateps. Avec la supposition improbable que la consommation moyenne par individu n'augmente plus et en dépit de tous les efforts de sobriété énergétique que nous serons capables d'accomplir, nous devrons faire face, si nous voulons conserver le même mode de vie, à des besoins grandissants d'énergie puisque d'ici 2050, la population de la planète pourrait augmenter de plus de 30%. Cette assertion nous ramène à une seconde donnée.
Il y a près de 1,3 milliard d'habitants sur Terre qui vivent aujourd'hui sans électricité et 2,7 milliards qui ont de très grandes difficultés à s'en approvisionner. Par conséquent, plus d'un milliard de personnes aspirent à accroître leur consommation énergétique dans un futur très proche. Le fait que tout le monde ne dispose pas d'énergie en quantité suffisante est un souci avant tout humanitaire. Disposer d'énergie a une incidence directe sur la qualité de vie, étant donné qu'elle conditionne l'accès à l'eau, l'éducation et la santé. Nous observons même une variation linéaire de l'IDH (Indice de développement humain) en fonction de la consommation d'énergie. Cet indicateur qui fait intervenir l'espérance de vie, l'éducation, la durée de scolarisation, le PNB/H (le Produit national brut par habitant) est rapidement en hausse dans les pays où la consommation d'énergie est en hausse. Ainsi, nous n'avons d'autre choix que d'augmenter la consommation énergétique si nous voulons achever les objectifs du millénaire, qui tournent essentiellement autour de l'amélioration des conditions de vie de tous les habitants de la planète.
Les ressources naturelles ne participent pas équitablement à nous fournir en énergie. En effet, il faut savoir qu'aujourd'hui 80% des besoins mondiaux en énergie sont couverts par les combustibles fossiles. Il s'agit du pétrole à 31%, du gaz naturel à 22% et du charbon à 27%. Les 20% restants des besoins énergétiques sont satisfaits par la biomasse. Essentiellement le bois de chauffage et les déchets organiques, à hauteur de 8%, le nucléaire à 5%, et l'hydraulique à 6%. L'éolien, le solaire et toute autre forme d'énergie, dites renouvelables, se partagent le petit 1% restant. Même si ce sont des ressources dont l'utilisation est en croissance rapide, elles restent néanmoins tout à fait marginales. C'est à partir de là que la conscience collective se trouve dans une situation de paralysie devant l'ampleur de la transition à accomplir. Le besoin d'apporter des changements au niveau des comportements en matière de consommation d'énergie est tel que certaines voix se sont élevées pour préconiser qu'il était plus raisonnable de chercher le moyen de s'adapter et non d'empêcher l'irrémédiable. Cette option, si nous pouvons l'envisager quant au changement du climat, ou du moins envisager d'en débattre, est tout simplement absurde lorsqu'il s'agit de l'épuisement des ressources. C'est de là que l'option des énergies renouvelables constitue le seul ancrage où nous pouvons rattacher nos espoirs. Faut-il encore le faire lucidement. Les biocarburants, l'éolien et le photovoltaïque sont les trois variantes qui nous sont offertes aujourd'hui. Les biocarburants sont produits à partir de matière végétale. Ils sont supposés supplanter les ressources fossiles, épuisables et hautement productives de CO2. Toutefois, leur production en quantités significatives impliquerait l'utilisation de centaines de milliers de kilomètres carrés. La conversion de 69 000 km2 de terres à usage agricole en plantations pour la matière première de biocarburant est préconisée par le plan d'action de l'UE en vue d'arriver à l'horizon 2020 à ce qu'une part de seulement 9,5% de la consommation énergétique dans les transports en Europe soit couverte par les biocarburants. Ce changement d'affectation des sols conduira graduellement à l'augmentation des prix des denrées alimentaires et mettra en péril à terme la sécurité alimentaire des populations les plus défavorisées. Certaines analyses montrent également que si cette réaffectation des sols se limite aux zones forestières, elle donnera potentiellement lieu à des émissions de gaz à effet de serre, estompant les économies d'émissions que ces carburants devaient permettre, tout en entraînant la perdition d'écosystèmes essentiels à l'équilibre de la planète. Les biocarburants ne sont probablement pas une option pour notre futur. L'énergie éolienne est, par définition, la transformation de l'énergie du vent en énergie mécanique. Elle est donc d'ores et déjà fluctuante, incertaine et conditionnée par le gré des vents. S'ajoute à cela la puissance insuffisante débitée par une centrale éolienne et son faible rendement. La construction des éoliennes, dont les dimensions sont gigantesques, nécessite également des travaux de génie civil importants ainsi que des quantités de matériaux non négligeables. Une étude du professeur Crawford de l'université de Melbourne publiée en 2009 permet de rendre compte des quantités de matériaux et des émissions de gaz à effet de serre inhérents à leur cycle de vie. Ces mêmes éoliennes ne produisent que 16% de la puissance pour laquelle elles ont été conçues, d'après des analyses faites par des Allemands de leur expérience avec cette énergie, et ce rendement diminue rapidement avec le temps. Il semble clair que cette énergie non plus n'est pas une option à envisager pour notre futur.
Le photovoltaïque est la conversion de l'énergie du soleil en électricité. Le soleil distribue chaque jour son énergie gratuitement sur toute la planète, son utilisation permettrait même un partage équitable des ressources sur les habitants de la planète. La matière de base pour le photovoltaïque est le silicium, très abondant et bon marché, le sable en regorge et les déserts regorgent de sable. Du moins c'est ainsi que l'énergie solaire est présentée par les médias de masse. A l'état actuel de notre technologie, un panneau solaire en silicium cristallin dispose d'un rendement ne dépassant pas les 17%. Dans une région moyennement ensoleillée, un panneau de 1 m2 produira environ 170 kWh/an. Il produira jusqu'à 220 kWh/an dans une région du Sud, en période d'ensoleillement maximal. Une tonne d'équivalent pétrole (tep) équivaut à plus de 11 600 kWh. Les treize milliards de gigateps que l'humanité consomme aujourd'hui en moyenne correspondent à plus de 150 milliards de kWh. C'est ce que produiront environ 690 millions de m2 de panneaux solaires, surface qu'il faudra recouvrir entièrement de panneaux solaires, tout en assurant les équipements annexes des centrales et des dispositifs d'acheminement. Se limiter dans un premier temps à ne produire qu'une fraction de nos besoins énergétiques via le photovoltaïque serait probablement plus judicieux. Pour ce faire, il faudra encore produire le silicium pur en masse. Contrairement aux idées reçues, il ne suffit pas de tamiser du sable pour en sortir du silicium, les gisements ne sont en fait pas très abondants. L'exploitation de carrières de silice pose des problèmes d'érosion des sols et de dégradation de la qualité de l'eau aux alentours de ses sites. La durée de vie moyenne d'une carrière étant extrêmement limitée, de nouveaux sites sont constamment ouverts et l'impact environnemental n'en est que plus large. Durant les années 1990, la production mondiale de silicium de qualité métallique atteignait les 800 000 tonnes. Seuls 4% de cette quantité ont atteint la qualité électronique suite aux différentes étapes de purification qui produisent d'importantes quantités de déchets. Ce traitement engagea l'utilisation de plus de 100 000 tonnes de chlore et 200 000 tonnes d'acides et solvants divers. L'énergie nécessaire à son accomplissement est évaluée à 2 933 kWh d'électricité pour produire 1 kg de wafer en silicium, soit l'équivalent de la consommation annuelle d'une famille moyenne. L'énergie solaire n'a pas l'air d'être une option pour demain. Toutes ces réalités sur les énergies renouvelables ne sont pas convenablement relayées par les médias de masse, probablement de manière non intentionnelle. Affligée par son désarroi face à la crise qui se profile, l'humanité s'accroche à tout ce qui lui semble être un début de solution. La conscience collective, soucieuse d'apaiser les esprits, élucide les aspects les plus démoralisants et focalise l'angoisse des habitants de la planète en une colère qui se déchaîne contre les industries des énergies fossiles et les gouvernements dont les actions ne favorisent pas massivement l'investissement dans les énergies dites renouvelables. L'énergie solaire n'est pas une solution pour demain. Elle pourrait, et devrait, constituer une solution pour après-demain. Aujourd'hui, et vraisemblablement demain, il s'agira de mutualiser tous les efforts et de puiser dans le génie de l'homme pour développer les moyens d'exploiter les ressources renouvelables afin qu'elles puissent être plus qu'un mirage qui allèche les assoiffés sans jamais étancher leur soif et qui les entraîne, s'ils le suivent, à leur perte. Aujourd'hui, plus que jamais, le devoir de chaque Etat est d'ouvrir la voie à sa population pour un meilleur accès à l'éducation, à la science et au confort nécessaires au développement social. C'est ainsi que chaque nation participera à l'effort mondial en vue d'un projet de «croissance verte». Aujourd'hui, le devoir du collectif mondial est de remédier à la disparité en consommation énergétique de par le monde. Alors que dans un pays comme les Etats-Unis, un citoyen moyen dispose de 10 kWh par jour, un autre dans un pays comme le Bangladesh n'aurait pour lui qu'un malheureux 0,1 kWh/jour. Rationaliser la consommation énergétique mondiale ne devrait pas imposer des restrictions de même nature pour tout le monde. Dans notre pays, participer à solutionner la crise énergétique qui se profile passera inéluctablement par une hausse de la consommation d'énergie, une hausse de sa production et de son exportation. Nous n'avons pas encore atteint le niveau de développement humain optimum et nous sommes encore très loin de celui où nous nous sentirions coupables devant les accusations de crime contre l'environnement.
La seule contrainte que nous devons nous imposer sera de drainer le plus gros de notre consommation vers des efforts de développement de l'éducation, la science et la technologie. La transition énergétique s'opérera, bon gré, mal gré, mais il ne faudrait pas qu'elle s'opère, comme chacune des transitions technologiques qu'a connues le monde, au détriment d'une partie de sa population.
H. I. F.
(*) Chercheure, directrice générale de l'Agence thématique de la recherche en science et technologies


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