Par Farouk Nemouchi, universitaire L'éclatement de la bulle pétrolière depuis janvier 2014 a mis, une fois de plus, à nu la grande vulnérabilité de l'économie nationale. Après avoir été excédentaire durant plus d'une décennie, le solde global de la balance des paiements enregistre un déficit en 2014 et les prévisions laissent présager un scénario qui menace la solvabilité financière externe de l'Algérie mesurée par le niveau de ses réserves de change. Pour ne pas avoir tiré les leçons de la crise de 1986 et du choc pétrolier intervenu en 2009, le pays s'apprête à entrer à nouveau dans une zone de turbulences en raison d'un basculement d'une situation de capacité de financement à un état de besoin de financement. Si le nombre de mois d'importations couvert par les réserves de change devient à inférieur à un trimestre, le risque de cessation de paiement et le recours à l'endettement extérieur sont des éventualités plus que probables. Pour faire face à cette crise, le gouvernement a pris deux types de mesures : la réduction des importations à travers le système de contingentement, d'une part, et l'introduction du crédit à la consommation, d'autre part. Pour apprécier la pertinence et l'efficacité de cette démarche, il convient de s'interroger sur son opportunité par rapport au contexte réel de l'économie nationale. Ignorant les nombreux signaux d'alerte sur la survenue d'un effondrement du marché pétrolier depuis au moins cinq ans, le gouvernement a poursuivi l'application d'une politique budgétaire expansionniste. Cette politique a favorisé une croissance économique tirée principalement par la consommation des ménages et la consommation publique. Ces deux composantes du produit intérieur brut représentaient 53,86% en 2013. Les commandes de l'Etat en relation avec les projets d'infrastructures ont fortement affecté le poste importations de services dont le montant a dépassé en moyenne les 11 milliards de dollars par an sur la période 2009-2014. Le volume important de cette facture payée en devises est la conséquence d'un recours abusif aux firmes étrangères dans le domaine de l'étude, du conseil, de l'engineering et de la réalisation. En l'absence d'une production nationale de biens et services, les importations se sont imposées comme la seule voie pour la satisfaction de la demande intérieure. Au lieu de saisir l'occasion offerte par la hausse de la demande pour construire un modèle économique de substitution à l'importation, les responsables algériens ont choisi la solution de la substitution des importations aux produits locaux. Cette alternative a été rendue possible grâce à une libéralisation commerciale induite par l'adhésion de l'Algérie à l'article VIII des statuts du FMI et la signature des accords d'association avec l'Union européenne (UE). La politique d'ouverture économique vers l'extérieur est une nécessité imposée par la mondialisation économique. Cependant, dans le cas de l'Algérie, cette ouverture est intervenue dans le contexte d'une économie de rente et mono-exportatrice. Elle a produit des effets dévastateurs qui peuvent empirer si le processus d'adhésion au sein de l'OMC se concrétise. Force est de constater que la politique économique fondée sur la dépense publique a détérioré la balance courante et a aggravé l'insertion passive de l'économie nationale dans l'économie mondiale. Elle a également montré les limites d'une libéralisation commerciale qui n'a pas produit des retombées positives sur la croissance économique. Le déficit de la balance des transactions courantes qui constitue le principal poste de la balance des paiements est le premier facteur responsable de la diminution des réserves de change. Le deuxième poste susceptible d'améliorer le solde global de la balance de paiement et d'influer positivement sur les réserves de change est le compte financier. Ce dernier enregistre les flux financiers, notamment sous forme d'investissements directs étrangers entre un pays et le reste du monde. En Algérie, le compte financier témoigne de la grande faiblesse des flux de capitaux en provenance de l'étranger et dévoile la déconnection de l'économie algérienne vis-à-vis du système financier international. Si l'on excepte le secteur des hydrocarbures, la politique d'attractivité des investissements directs étrangers n'a jamais été un objectif de stratégie économique nationale. En fixant la part de participation d'un investisseur étranger dans une société de droit algérien à 49%, le gouvernement érige un obstacle supplémentaire à l'afflux de capitaux étrangers. Le motif avancé pour justifier l'adoption de la règle dite 51/49 vise à garantir la souveraineté économique du pays. Cette explication est légitime si l'objectif recherché est la protection des richesses non reproductibles comme le pétrole et le gaz car elles sont la propriété des générations présentes et futures. Elle se justifie également si elle s'applique aux investissements de portefeuille car ces derniers peuvent conduire à une instabilité financière. En revanche l'élargissement de la règle 51/49 aux firmes étrangères qui sont disposées à investir dans les activités de production de biens et services est un paradoxe. Les afflux de capitaux étrangers sous forme d'investissements directs sont les bienvenus lorsqu'ils stimulent la production nationale, diminuent le chômage, développent le potentiel technologique et diversifient les exportations. Cette catégorie d'investissements contribue aussi à la hausse du solde global de la balance des paiements et par conséquent celle des réserves de change. Dans la plupart des pays, des politiques sont mises en place pour attirer les capitaux étrangers : c'est le cas de la Chine communiste qui est devenue la première destination des investissements directs étrangers (IDE) dans le monde et des pays émergents. Le gouvernement algérien semble avoir une autre opinion sur la question et il serait intéressant de savoir si celle-ci est fondée objectivement. Les partisans de la règle 51/49 doivent faire la démonstration de son efficacité économique à travers une évaluation basée sur des critères quantifiables. S'il s'avère que cette mesure a entraîné une augmentation de la valeur ajoutée des entreprises et donc celle du PIB, le niveau de l'emploi, diversifié la production, consolidé la solvabilité externe, les citoyens ne peuvent que souscrire à une démarche inspirée réellement par un élan de patriotisme économique. Si en revanche elle a porté préjudice à l'économie du pays, alors la règle 51/49 demeure un slogan vide de sens et repose sur des présupposés idéologiques qui nuisent à la souveraineté économique. Sur le plan financier, elle prive le pays de la possibilité de compenser même partiellement le déficit de la balance des transactions courantes et de maintenir ses réserves de change à un niveau acceptable. Depuis son entrée en application en 2009, les IDE ont baissé de 3,47 milliards de dollars en 2010 à 1,96 milliards de dollars en 2013 alors que les revenus transférés principalement sous forme de dividendes ont augmenté de 5,891 milliards dollars à 7,995(1) milliards de dollars. Sur le plan économique la règle 51/49 suppose que les entreprises algériennes possèdent les atouts qui leur permettent de jouer les premiers rôles en tant qu'actionnaires majoritaires et ont les capacités de s'intégrer dans un système productif qui repose de plus en plus sur le processus de la chaîne mondiale de valeur. Une autre disposition juridique plus énigmatique que la règle 51/49 est le règlement n° 14-04 du 29 septembre 2014 adopté par la Banque d'Algérie et qui autorise le transfert de capitaux au titre de l'investissement à l'étranger par les opérateurs économiques de droit algérien. Cette décision laisse entendre que nos entreprises connaissent une forte croissance et éprouvent le besoin de se développer à l'échelle internationale alors qu'en réalité la grande majorité d'entre elles sont de faible taille et ne parviennent pas à dépasser le stade de la propriété familiale. Sur le plan financier, ce règlement légalise la sortie de capitaux et consacre une libéralisation partielle du compte financier dans un sens qui a pour effet de réduire les réserves de change. Comment peut-on défendre la souveraineté économique nationale lorsqu'on introduit des mécanismes juridiques qui créent des obstacles aux rentrées de capitaux et encouragent leur sortie ? L'attachement à cette souveraineté doit se traduire par des décisions qui préservent la solvabilité externe de l'Algérie et lui évitent la dépendance à l'égard des institutions et des marchés financiers internationaux. Il s'agit notamment de lutter contre les pratiques qui encouragent les sorties illicites de capitaux, principalement par le truchement de la facturation commerciale frauduleuse. Les transferts illicites cumulés entre 2003 et 2012 sont estimés à 15,753 milliards de dollars(2). La deuxième mesure phare prise par le gouvernement pour faire face aux déséquilibres financiers externes est l'introduction du crédit à la consommation en faveur des biens et services produits localement. L'objectif déclaré est la promotion de la production nationale et donc la réduction des importations. Le crédit à la consommation est-il la réponse appropriée pour stopper le déclin du secteur industriel qui représente moins de 5% du PIB en 2013 ? Historiquement cette technique de financement des ménages a été introduite pour soutenir la demande. Elle a été inaugurée par les entreprises et les grandes enseignes de la distribution aux Etats-Unis ; ensuite les banques ont contribué à sa généralisation. Le crédit à la consommation est donc une technique de financement des ménages pour acquérir des biens durables et un moyen qui permet aux entreprises d'écouler leur production. Ainsi le crédit à la consommation ne précède pas la production mais l'accompagne. L'économie algérienne n'est pas confrontée à un problème de mévente de la production des entreprises nationales ou d'insuffisance de la demande. La faiblesse réside du côté de l'offre qui demeure rigide en raison de multiples obstacles. Les entreprises doivent investir et pour cela elles ont besoin de crédits d'investissement. Cependant l'augmentation des investissements et la recherche des financements à travers une plus grande intervention des banques ne sont pas une condition suffisante pour le développement de l'industrie manufacturière. Le développement financier ne garantit pas la croissance économique si la volonté de modifier en profondeur l'environnement institutionnel et de promouvoir une économie de production n'est pas réelle. Si les entreprises nationales sont éligibles au crédit à la consommation quel que soit leur taux d'intégration, les investissements vont s'orienter vers les segments à faible valeur ajoutée. Ainsi au lieu de financer la production nationale, le financement de la consommation profitera davantage aux fournisseurs étrangers de matières premières et autres intrants nécessaires à la production. Enfin il n'est pas certain que les ménages vont adopter massivement ce type de financement pour acquérir des équipements. Leur épargne est déjà affectée par les remboursements liés au crédit immobilier et par la perte de pouvoir d'achat. Il y a risque de surendettement et il faut prendre des mesures pour y faire face. La Banque d'Algérie peut d'ores et déjà contraindre les banques à communiquer aux emprunteurs le taux effectif global qui reflète le coût réel du crédit et publier le taux excessif prévu par la réglementation. La limitation des importations et le crédit à la consommation relèvent d'une gestion d'ordre administratif et technique alors que les déséquilibres macro-financiers qui affectent l'économie algérienne exigent des solutions durables à travers la mise en œuvre de politiques structurelles. La préservation de la solvabilité externe du pays passe par le lancement de réformes audacieuses qui visent en premier lieu à accroître la satisfaction de la demande intérieure, ensuite conquérir les marchés extérieurs. La réalisation de ces objectifs stratégiques peut s'appuyer sur les investissements étrangers qui apportent des ressources financières et le savoir technologique. Les entreprises ont surtout besoin d'un climat des affaires propice à la création de richesses pour augmenter l'offre de biens et services. L'objectif ultime de ce changement est la remise en cause d'un système rentier qui a produit des mœurs et des comportements contradictoires avec le développement économique et le progrès social. Il est encore possible de surmonter la crise, mais si les réformes sont renvoyées une nouvelle fois aux calendes grecques, elles seront imposées et enfantées dans la douleur comme cela a été le cas avec la crise pétrolière de 1986. F. N. (1) Banque d'Algérie, rapport annuel 2013. (2) Global financial integrity, Illicit Financial Flows from Developing countries : 2003-2012.