Adopté le 5 mars dernier par l'Assemblée populaire nationale (APN), le projet de loi amendant et complétant l'ordonnance N° 66-156 portant code pénal et relatif aux violences faites aux femmes est toujours dans les tiroirs du Sénat. Les islamistes ayant tant critiqué ce texte ont-ils réussi à faire reculer le gouvernement ? Le mouvement associatif crie au scandale alors que les politiques s'interrogent sur les raisons de ce blocage. Salima Akkouche - Alger (Le Soir) Qu'est-ce qui fait attendre le Sénat pour programmer au débat un texte de loi adopté en mars dernier par les parlementaires ? Le tant controversé projet de loi relatif aux violences faites aux femmes est toujours bloqué au niveau du Sénat. Dalila Djerbal, membre du réseau wassila, accuse un blocage : «Quatre projets de loi venus après ce texte sur les violences faites aux femmes ont pu passer au Sénat en espace de dix jours alors que celui-là est toujours dans les tiroirs du Sénat». Le mouvement associatif, dit-elle, est inquiet. «Nous avons vu ce que les députés islamistes ont fait pour empêcher que cette loi passe avec leurs arguments qui ne tiennent pas la route. C'est honteux que le droit à la violence soit réclamé par des gens censés représenter la nation. Ce recul est très grave. Ils sont prêts à vendre l'Algérie pour trois sous mais dès qu'une loi est faite pour défendre l'intégrité des femmes, ils s'y opposent, comme si les femmes ne sont pas des citoyennes», affirme cette sociologue. Selon elle, à chaque fois qu'il s'agit des droits des femmes il y a une opposition. Pourtant, souligne-t-elle, ce sont des droits inscrits dans la Constitution, et «s'ils refusent que les citoyens soient égaux alors ils sont contre la Constitution ». D'autant que, dit-elle, le projet a introduit la notion du pardon. Ce qui est déjà scandaleux, selon elle. D'ailleurs, poursuit-elle, aujourd'hui le mouvement associatif est en train de réfléchir sur ce qu'il faut faire pour montrer qu'il y a un «grand danger». Même si ce texte n'est pas une révolution, estime la sociologue, c'est quand même une avancée dont les femmes ont besoin, au moins pour dissuader les agresseurs. «J'espère que la société va bouger» dit-elle. Nadia Aït Zaï, juriste et présidente du Centre d'information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (CIDDEF), dit s'attendre à ce que le texte soit programmé pour la prochaine session de l'automne. Ce texte, dit-elle, fait une exception, «je ne vois aucune raison à ce blocage». La juriste, qui a indiqué que c'est la première fois qu'un texte relatif aux droits des citoyens et qui protège des violences est ainsi bloqué, dit que le mouvement associatif a déjà saisi et interpellé le Sénat pour avoir des explications, en vain. «Il faut qu'ils nous donnent des explications et les raisons de ce blocage. Nous ne savons pas s'il s'agit d'un retard, d'un blocage ou s'il a été juste repoussé pour la prochaine session», dit la juriste qui s'interroge aussi sur «ce qu'ils veulent faire de ce texte». Ramtan Taâzibt, député PT, s'interroge aussi sur les motifs de ce blocage. Cependant, dit-il, si l'Etat recule en raison de la pression des islamistes c'est «très grave». Le PT, rappelle-t-il, s'est abstenu lors du vote en faveur de cette loi, car il n'y a pas une réelle criminalisation de la violence en raison de l'introduction de la notion du pardon qui vide le texte de son sens et d'absence de cas de récidive qui fait de cette loi une non-loi. Karim Tabou, député et président de l'UDS «Union démocratique et sociale» se dit également incapable de donner «la moindre explication». Selon Tabou, « tout ça renvoie à un dysfonctionnement sérieux dans les institutions de l'Etat qui ne répondent à aucune norme démocratique. Nous sommes dans un cadre de bricolage institutionnel». Tabou estime que du moment que le Parlement n'a pas jugé important d'ouvrir des débats sur la corruption, la situation dans le Sud du pays et les dysfonctionnements institutionnels ou le blocage du pays, les autres questions deviennent secondaires devant de tels problèmes. Ce que prévoit le texte relatif aux violences faites aux femmes Le projet de loi amendant et complétant l'ordonnance N°66-156 portant code pénal et relatif aux violences faites aux femmes et qui a introduit également la notion de harcèlement dans les lieux publics et celle de harcèlement moral conjugal, stipule que quiconque porte volontairement des coups à son conjoint, et en fonction des blessures, risque de 1 à 20 ans de prison avec la réclusion à perpétuité en cas de décès. Un autre article prévoit six mois à deux ans de prison pour «quiconque exerce sur son épouse des contraintes afin de disposer de ses biens ou de ses ressources financières». Cependant, dans le texte, le pardon de l'épouse met fin aux poursuites judiciaires dans les cas les moins graves, mais elles sont maintenues, bien qu'allégées, dans les plus graves. Critiques et arguments des islamistes Les députés de l'Alliance pour l'Algérie verte, qui s'est distinguée, entre autre, par ses critiques violentes envers ce projet de loi, a argumenté que ce texte qui est contraire à la chariaâ vise la dislocation de la famille. D'autres députés islamistes ont estimé que la cause principale des harcèlements est «la nudité des femmes dans les lieux publics».